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OTTAWA
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OEUVRES
DE CHOLIÈRES
OE U V R E s
DU SEIGNEUR
DE CHOLIÈRES
Edition préparée par Ed. Tricotel
NOTÉS, INDEX ET GLOSSAIRE PAR D. JOUAUST
PRÉFACE PAR PAUL LACROIX
TOME SECOND
LES APRÈS-DINÉES
PARIS
LIBRAIRIE DES BIBLIOPHILES
Rue Saint-Honoré, 338
M D C C C L X X I X
in9
^,
LES
APRESDISNEES
DV SEIGNEVR
DE ChOLIERES.
A PARIS,
Chez lean Richer, rue saint lean de
- Latran, à l'arbre Verdoyant.
* 1687.
Avec Privilège dv Roy.
AUX LISEURS
E pensez^ débonnaires liseurs, qu'à tort ce
proverbe roule parmy nous, que qui refuse
après muse : si vous en doutez, il ne vous
faut venir que vers rnoy, je vous en estaleray
une preuve plus claire que le jour : Experte [dit le bon
homme) crede Robeito. J'ay passé par les piques, pour
n'avoir bien branslé la pique lors qu'il falloit, et n'avoir
battu [comme l'on dit) le fer lors qu'il estoit chaud; je me
suis trouvé de deux selles le cul à terre,. Ma muse avoit
esclos le frère de ces Apres-disnées, son nom ne peut estre
ramenteu; son perrain a esté si vilain que, pour s'exempter
de quelques honnestetez, il a desavoué son filleu, lequel de
toutes parts j'estoie prié de loger, et bien mieux qu'il n'a
rencontré. Plusieurs m'offroient leurs logis; mais je me
faisoie accroire que leur train ne pourroit compatir avec
la naturelle habitude de mes gayes philosophies, ou que
quelques uns, n'ayans les yeux bien dessillez de grand
matin, prophaneroient un si précieux joyau, ou finalement
que d'autres pourroient idolâtrer après ces conceptions. Je
nestoie pas en petite peine pour sçavoir bien choisir. Du
premier coup, je ne pouvoie honnestcment esconduire ceux
qui m'honoroient de leur semonct, que fais-je? Je veux
4 AUX LISEURS.
gouverner de mesnies mon petit Escolier que vous voyez
qu'on meine ses cousins les enfançons des Muses. Tous
ceux qui portent le titre de scolarité^ à Paris, nont pas
demeuré dans des collèges : les uns par faute de moyens,
les autres par faute de cognoissance, les autres pour mi-
'gnarder avec plus grande liberté leurs Muses. Pour les
moyens, je ne pouvoie demeurer en arrière; si j*eusse bien
pris, cncores en eussé-jc eu d'avantage. Considérez Vequip-
page qu'il a, vous trouverez (je m'asseure) qu'il y avoit
dequoy, en un besoin, fonder une douzaine de beaux col-
lèges pour s'y retirer à rechange par chasque mois de
l'année. De cognoissance en une matinée, mon petit Esco-
lier n'en prenoit qu'assez. Il a langue par tout, il est si
bien cogneu que, dés qu'il marchoit en rue, on le reco-
gnoissoit, de mesmes qu'on fait le jour à la sortie de
l'aube matiniere. Ce n'estoit point donc la diversité des
nations qui me fit perdre envie de le resigner en un collège :
il s'est de tout temps accommodé à tout. Mais je cognois-
soie son naturel estre tel que, s'il eust esté resserré dans un
collège, je le metioie à l'hazafd de crever ou peter (verba
non fœtent)^ de mesmes que fait une chastaigne mise au
feu sans estre fendue. Je prevoioie qu'il friperoit la porte,
et que, si un jour on le menoit mal, il seroit [peut estre)
bien tel de faire un trou en la nue. Toutes ces considéra-
tions, et autres irespregnantes, comme pouvez penser,
firent que je pris délibération le laisser galocher en marti-
net; je ne vouloie forcer son naturel. Pour cela je ne fus
hors de soucy. Avez vous jamais veu la caresse et suite
qu'a un nouveau venu et fraischement esclos qui apporte
choses nouvelles, non veuës, et qui n'ont accousiumées
d' estre débitées parmy nous? De mesmes des yeux de l'es-
prit je prevoyoie qu'à peine mon Escolier mettroit un matin
le nez à la fenestre qu'il ne faudroit, estant esvenlé, se des
AUX LISEURS. 5
baucher^ ou que quelques uns se deplumeroient plus viste
qu'il neust esté besoin. Tantost je luy voulais donner un
train de courtisan, tantost l'habit de philosophe. En pn je
pris resolution de ne plus délayer, et, puis que longa po-
tatio évacuât scyphos, et le trop pénible chagrin me ron-
geroit avec le temps la scrmonniere, à quelque pris que ce
fut, de le loger en une chambre laquelle fût digne de sa
qualité et représentation. J'en trouvoyede nues, bien aérées,
belles, chaudes et claires; mais le coust m'en faisoit perdre
le goust. On me fait cas d'une qui estoit garnie et équipée
de tout ce qu'il falloit; je fais le marché, je vous y loge
mon Escolier. A dire la vérité, je pensoie avoir trouvé la
fève au gasteau, et qu'il n'eilt esté possible mieux rencon-
trer que j'avoie fait. Le logis estoit beau, tout tapissé.
Mais quoy? le malheur fut tel que le quart du mois ne fut
tscoulé que mon Escolier, de grand matin, me vint trouver
pour me faire sçavoir qu'il ne pouvoit compatir avec le
maistre du logis duquel il tenoit la chambre. Enquis pour-
quoy, me paya de ces deux raisons : la première que,
dés qu'il pensoit se lever de matin à l'accoustumée, son
hoste luy faisoit dire qu'il eusî à se recoucher, que, quant
à luy, jamais il ne permettait qu'avant midy on fist régner^
la matinée chez luy. De sorte qu'il luy eût esté force, s'il
eût long temps demeuré là, d'apprendre le mesti^r de dor-
mir, poltroniser dans le lit, quiter son estude, se dénaturer
et suivre la piste de son proche apparenté M. Gaulard,
duquel le seigneur des Accords nous représente un apo-
phtegme fort gentil, lequel je suis contant coucher icy,
parce que je trouve qu'il ne vient que fort à propos undi-
quaque. Advint donc, et n'y a pas long temps, qu'à ce
monsieur escheut une bonne, forte et riche hoyrie par le
moyen d'un testament d'un sien oncle, à raison dequoy le
sieur de Merdois, son bon amy, le voulant gratifier, disoit :
n AUX LISEURS.
« Or suSy Monsieur^ vous estes bien heureux : le bien vous
est venu en dormant. — Ma foy, respondit il, je le croy,
et m'en doutoie bien, il y a long temps. Voila pourquoy
fay toujours dormy jusques à sept ou huit heures du
matin, et dormiray encores à l'avenir un peu d'avantage
pour voir s'il m'en viendra encores autant. » La seconde
estoit que, ut invidia est virtuti cornes, et que plusieurs se
ployent trop aisément aux faux rapports, le sieur Di Casa,
pour avoir trop preste Vaureilk à son homme de chambre
ou à quelque autre marran, avoit pris opinion que mon
Escolier avoit pissé contre le soleil, que l'impression estoit
si forte quil luy avoit fait porter parole de desloger de
sa chambre. Du premier coup je ne voulus croire entière-
ment mon Escolier^ pour ne point flater le de, je pensoic
qu'il y eut quelque nourrice dépucelée : je prends m.on
Escolier en main pour l'aller confronter avec son mal gra-
tieux hosie en sa propre chambre. D'abordée il faisoit
mine de nous vouloir servir de groin. Toutesfois, parce que
c'estoit en un vendredi, oit il y avoit double jeune propter
festum^ pourtant on ne mangeoit du porceau, il fut né-
cessité nous faire un autre service, lequel fut lardé du mes-
contantement qu'il avoit contre notre Escolier. Quelques
traits furent jettez, qui descouvrirent et qu'il y avoit de
l'ordure en la chambre et que Valliage estoit empesché,
parce qu'estant de bas or il craignoit la touche. Je le rele-
vis au moins mal que je voyoie que sa capacité pouvoit
porter, et, parce que je recognoissoie que quelques oiseaux
ne peuvent porter la lueur des rayons solaires, je me fis
entendre qu'il se pouvoit faire que ce monsieur avoit aucu-
nement occasion de se gruser. Pour éviter plus grandes
noises et moyenner qu'un chascun peut vivre en paix, et
afin qu'il ne fut dit que je vouloie remettre la matinée
après midy, fut accordé entre nous que pour l'advenir
AUX LISEURS. 7
mon Escoîier se pourvoirait où il verrait affaire, mais cela
ne fui sans luy payer ce qu'on luy devait. Voila que c^est
que de s'adresser en mauvais lieux et que de refuser de si
beaux partis, pour après esîre i/ mal venu. Si j'eusse esté
tel que plusieurs, lesquels je ne suis à cognoistre, j'avoie
bien moyen de faire retenir à quelques uns leur eau; mais
je n'ay eu jamais le nom de forcer personne, invita Mi-
verva. Si mon gros, gras, pansart et peu advisé compère
se chatouille pour se faire rire, et qu^il face tel compte de
sa chambre qu'on n'y puisse prendre relais par quelques
matinées, à son commandement , je tu suis fasché que
d'avoir choisi d'entrée une chambre si tresmal gratieuse à
mon Escalier. Et, comme j'ay crainte que sa tendre jeU"
nessi ne luy face perdre cœur, je luy ay incontinent dressé
le pariy de mon second Escalier, afin que tous deux ils se
puissent tenir campaignie et giunnis vitiligatorum obsis-
tere : chien eschaudé craint la cuisine : parce que l'un de
mes Escaliers ne s'est bien trouvé de la chambre que je luy
avaye choisi, je mt suis advisé [affectionné liseur) que je
feraie mieux de leur mettre la bride à l'abandon afin qu'ils
se pourchassent. S'ils rencontrent mal, ils auront occasion
de s'en prendre à moy : s'ils font bien, ils le trouveront;
s'ils font mal, ce seront ils qui auront fait la folie qui la
boiront. Toutesfais je m'asseure tant de vosîre bénignité
que tant l'un que l'autre seront receus par vous amsi qu'ils
méritent. Us ne sont en conclu, comme je desireraie. Tels
qu'ils sont je les vous présente, avec prière treshumble que
je vous fais de les recevoir avec aussi grande affection et
m'^en sçavoir autant de gré qu'il m'a fallu avaler de gouttes
de vin pendant que ces Apres-disnées se bastissoyent.
Toutes peines méritent salaire. La pluspart de vous [cray
je) me feront bien ceste courtoisie : neantmoins, afin que
personne ne sait abusé et qu'il ne soit dit que vous ayez
8 AUX LISEURS.
fait emploite de chat en poche, je suis bien contant^ tant
ay-je Vame bonne, honneste et généreuse, vous descouvrir
comment, par qui, quand, à quelle intention et surquoy
furent dressées ces Apres-disnf.es; à quoy elles vous pour-
ront servir à tous, tant en gênerai qu'en particulier. Il faut
(dit-on) cognoistre avant qu'aimer, depeur d'estre surpris :
il est bien séant que sçachiez d'où c'est que vous vient ce
qui tombe en vos mains, distinguo par gluc, car c'est par
le pendant de vos bourses maintesfois.
Sçachez donc [bénévoles liseurs) que, suivant la protes-
tation que je vous ay fait, puisnagueres^ par ma Neufvaine
première, je ne suis jamais à mon aise, sinon lors que je
vous puis faire toucher au doigt que j'estends mes os, mes
nerfs et mes veines pour l'utilité, nécessité, honnesteté et
resjouissance commune. Si je vis encores quelques années,
vous verrez que je ne suis simple prometteur, ains que,
sans estre Gascon, je suis plus prompt à exécuter^ in ter-
minis habilibus, qu'à promettre. Ce suis je qui vous fais
présent de quelques discours qui ont esté tenus, débattus et
demeslez entre quelques amis et moy. L'occasion de nostre
asseniblée fut que, pour ramentevoir la convalescence qui
m'estoit d'enhaut escheue par le moyen de ma première
Neufvaine, que je vous ay cy devant communiqué, de jour
à autre, la plus-grand part de mes amis venoient me visi-
ter pour me congratuler de Hieureux recouvrement que
j'avoie fait. Les entreveues n'eurent pas duré deux jours
que l'on mit sur le bureau la question si on pourroit s'es-
crimer par conférence. Les uns y tendaient formellement,
les autres reculoient en arrière le plus poltronnement du
monde; les autres se portèrent pour neutres. Pour faire
l'honneste, je n'osoie ny rompre la partie, ni l'échauffer
autrement. Je m'advise d'un expédient, qu'il seroit bon
que l'affaire fut décidée par ceux lesquels ne tenaient ny de
AUX LISEURS. 9
l'un ny de l'autre. Après que d'un costé et d'autre l'affaire
fut débattue, par leur advis fut résolu que l'on rentreroit
en conférence, et que, faisant droit sur la difficulté et in-
commodité proposée, que les Matinées dévoient estre em-
ploiées en affaires sérieuses, on pr endroit les Apres-disnées
pour y vaquer.
Qui m'eust donné cent mil escus autres que ceux de
Thoulouse ou de Saint-Marcel, je ne sçay si je fusse esté plus
aise, pour plusieurs profondes considérations que je ne
laisse pas à penser à part moy, encores qu'icy je ne les
couche toutes. Me suffît si je puis vous en donner le plaisir
de deux. La première, que cela me remettoit devant les
yeux la glorieuse victoire que j'eus sur ma maladie, puis
qu'en commémoration d'icelle je voyoie que l'on faisoit
renoistre ces exercices philosophiques. Qu'on me prenne
tous les jeux introduits par Vantiquité, on trouvera que la
pluspart n'ont pris naissance que de la mémoire qu'on
avoit envie entretenir, dés qu'on estoit venu a chef de quel-
que hardie et magnifique entreprise. L'autre est qu'en ce
nous nous monstrions vrais imitateurs et enfans de nos
devanciers, sur tout de ceux lesquels ont eu l'honneur
d'avoir le mieux entendu que c'estoit de se bien gouverner,
régir et policer. Nous lisons du roy d'Arragon Alphonse
qu' incontinant apres-disner il faisoit venir devant luy l'un
des plus doctes personnages qui fût en sa Cour, lequel il
faisoit discourir de quelque matière, disant que par tels
propos il entendoit faire prendre la réfection à son ame
tout ainsi qu'il avoit fait à son corps. D'autres, comme
estoit l'empereur Adrien, vouloient après le repas estre
recréez par des comédiens, liseurs ou poètes, à celle fin que
par leur gasouillis et contenance ils fussent regaillardis et
recréez. De mesmes que l'empereur Néron se faisoit venir
des joueurs d'instrumens après le repas, lesquels il faisoit
lO AUX LISEURS.
toucher pour donner la repue à Vesprit des conviez, aussi
bien qu'il avoit fait à leurs corps. L'empereur Octavius,
après qu'il avoit bien traité quelcun, nestimoit point
pourtant luy avoir fait bonne chère s'il ne luy eût fait voir
les rares et excellentes peintures qu'il avoit à ceste occasion
fait serrer et ranger tout exprés en son cabinet. Entre les
anciens [au rapport d'Alexandre ab Alex.), après avoir
fait régner le bon temps, c'est-à-dire après avoir beu et
mangé d'autant, il n'estoit question que de se mettre en
doctes discours. Mesmes entre les Grecs la coustume estoit
qu'après les banquets on proposoit des énigmes et diffîcul-
tez à soudre. Celuy qui en pouvoit venir à bout avoit un
morceau de chair, au lieu que celuy qui demeuroit en reste
et ny sçavoit mordre estoit condamné à boire un trait de
breuvage salé. Delà, paraventure, pourroit bien estre
venue la coustume^ qui est encores gardée en quelques
lieux, lors quon veut esprouver la suffisance de quelcun,
de remettre la partie après disner. Encores adjousteray-je
un petit mot touchant l'empereur Tibère, lequel se mons-
troit si bon mesnager de ce qui luy tomboit devant les sens
que toute la journée sembloit ne luy estre que comme une
foire où il auroit fait du trafpcet emploite; après le repas,
il entroit en sa chambre des comptes pour examiner ce qui
avoit esté passé. De fait, les napes ne faisoient qu'estre
dressées qu'il reprenoit tout ce qu'il avoit peu recueillir de
la lecture du jour, et proposoit des questions qui esioient
débattues de toutes façons, si bien que rien n'y manquait
que l'espoussette.
Si ainsi est, et que tant de braves esprits se sont exercez
à la mesme lice que nous avons, et en un pareil temps,
vous voyez, liseurs, si nous avons eu occasion d'y prendre
biscaye. Nous n'y avons pas seulement receu du plaisir,
ains aussi du proffit. ht, quant à vous, s'il vous plaist
AUX LISEURS. II
ensuivre T. Pomponius Atticus, lequel n employait l'apres-
disnée qu'à lire, je m'asseure que nen jouirez de moindre
contantement. Ce n'est point l'apres-disnée qu'il faut s'aller
pourmener, juxta illud : Post prandium sta, post cœnam
déambula; encores est-il plus séant de passer son temps à
telles gaillardises j non moins sérieuses que philosophiques,
que de baguenauder, fesser les dez, jouer au mat, aux
cartes, etc., ou reposer son humanité. A ce propos, jElian,
au second livre de son Histoire diverse, remarque que les
Lacedemoniens estoient si chiches du temps qu'ils ne per-
mettoient qu'aucun Vemployast soit au pourmener , soit à
nigauder. De fait, comme on eut un jour rapporté aux
Ephores que les Deceliens se pourmenoient Vapres-disnée,
ils leur depescherent quelques uns, qui tres-expressement
leur inhibèrent ces pourmenades, contre lesquelles je ne suis
point si criminel qu'à l'exemple des Turcs je voulsisse inter-
dire le pourmener ou du tout en destourner nos François,
ainsi que firent certains peuples alendroit des Komains. Je
suis bien contant de laisser toutes choses en leur entier, et
laisser couler l'eau son beau cours en bas; mais au chois
certainement l'apres-disnée je tiendroye que les conférences
serviraient beaucoup mieux que se pourmener, si on ne les
voulait reigler à la peripatetique, qui serait retomber tous-
jours à notre cadence. Puis donques que le pourmener
d'aprcs-disner est mal sain et défendu aux republiques
bien policées, que suivant iadvis des médecins il n'est pas
bon d'estudier profondement après le past, nous ne pou-
vions, et aussi vous ne sçauriez destiner les heures de vos
apres-disnées à plus honneste et louable exercice qu'à dis-
courir, deviser, ou, si vous ne voulez prendre telle peine,
depeur de vous desseicher le gosier, à entendre philosopher
la troupe de mes philosophes. Voulez-vous sçavoir le proffit
que vous en recevrez, c'est que par raison vous verrez que
12 AUX LISEURS.
j'ay envie de reigler et policer vostre vie aussi bien que la
mienne, et vous former et modeler au moule de philo-
sophie. Il me fascheroit fort de pleiger aucun, si est ce que
je me promets que bien peu s'esbattront après mes Apres-
DiSNÉES quincontinant ils n'en retirent du plaisir, de la
doctrine et de Vutilite. A l'espreuve vous trouverez que la
realité et l'effet suivront ce que je vous en dis. Tenez, je
vais vous représenter le dessein de ces discours, à celle fin
qu'avec plus grande gayeté de cœur vous vous esgayez en
ces gayes Apres-disnées.
Premièrement, pour resveiller la compagnie, on a dis-
puté asçavoir s'il valoit mieux dormir que veiller après
disner. La décision a esté que le veiller estoit plus gentil,
mieux séant, de meilleure et plus honneste grâce. Après
j'ay couché quelques questions, qui ont esté balancées de
telle façon que je m'asseure que tout homme lequel sçaura
que c'est de vivre aura dequoy se contanter. Tout ce qui
pourroit sembler estrange est que la suite des matières
n'est liée et enchaînée comme il appartiendroit. De moy,
je l'eusse bien souhaité; mais la qualité des personnes et la
circonstance du temps ne le permettoient. Tous ceux qui
demeurent sous un mesmes toit ne hument qu'un air, ne se
rapportent pas pourtant en tout et par tout pour leurs
affections, juxta illud : Tôt capita, tôt sensus : autant de
testes, autant de bonnets. Un chascun a son tour. L'un le
veut gris, l'autre cherche le verd, et Vautre n'aime que le
rouge. Mariez ces diversitez ou mettez toutes les testes des
hommes en un chaperon, et alors on passera que la liai-
son et connexité devoit s'entretenir icy d'autre sorte qu'elle
n'a fait. En après, unus idemqiie sol nobis oritur : pour
cela est-il à dire que tous les jours s' entresuivent bastis et
composez à mesmes evenemens, qualitez et constitutions?
Les uns sont froids, les autres chauds; les uns beaux et
AUX LISEURS. l3
clairs, les autres sombres, couverts et nuageux. Si telle
variété est naturellement emprainte es choses célestes, qui
ont cinq cens millions de fois plus d'arrest, de fermeté et
d'asseurance que la teste de l'homme, doit-on trouver
estrange que plusieurs ne s'accordent en un ? Je m'en rap-
porte à maints chasteaux que nous faisons en Espagne
pendant qu'on parle avec nous. Il y a plus, que Nature
se plaist en la variété et nouveauté, sur tout quant ce qui
est changé ne tient rien ou bien peu du premier, de mesmes
qu'entre nous autres François la diversité des habits nous
plaist d'autant plus que celuy que nous avons fait faire
tout neuf ne sent rien de l'autre que nous avons laissé.
Voila un homme qui tous les jours changera d'habits,
mais ils seront tous de mesme estoffe, de mesme façon et
de mesme couleur : il ne fera pas telle piaffe que le pou-
pin, mignard et leurré courtisan, lequel n'aura qu'un
habit à chasque quartier, moyennant qu'il soit tout diffé-
rent. Nous sommes François, nos humeurs sont françoises,
nos Apres-disnées ont esté basties à la françoise. On ne
doit donc s'esbahir qu'estans François nous avons donné
divers habits à nos Apres-disnées françoises. Suffit que le
corps soit philosophique , et qu'il puisse agréer et servir au
public. Jouissez de ce mien labeur, attendans mes Partis
Amoureux, que je poursuis le plus diligemment au'il m'est
possible, et vous souvenez que veut la pratique de cest
axiome : Laetari et bene vivere.
J'entens la faire revivre tant qu'il me sera possible. Vous
voyez que j'y bande tous mes nerfs; je vous ay desja donné
le resveil durant neuf matins : continuant mes coups, je
veux encores maintenant vous bailler atteinte, mais c'est en
vray philosophe. Si vous pensiez que ce fût autrement,
vous vous abuseriez de plus des trois quarts, de la moitié
et du quart de l'autre quart. Ceux qui ont envie de farcir
14 AUX LISEURS.
leur panse et epicuriser ne trouveront icy dequoy gâcher,
je ne leur presche que le jeusne, la nappe n'y est point
mise, on ne sçait que c'est du service de table. Prenez donc
courage, âmes généreuses, resveillez-vous, et employez vos
apres-disnees à visiter les desrobées de celles qui accom-
pagnent cest avant-propos ; et, à mon exemple, prenez-moy
une bonne envie de faire de mesme que moy. Vous ne sçau-
riez, à tout rompre, vous e.i trouver pis que moy ; je n'ay
point occasion de m'en mescontanter , je m'en loue, je m'y
suis pieu, j'en ay de la consolation : faites de mesmes que
moy, à celle fin que vous soyez comblez de pareil heur que
moy. Lors que vous verrez une belle engeance que vous
aurez eslevé sans y penser, le cœur vous surbondira de
joye : de ma part, Vesperance que j'ay que me croirez le
méfait desja frétiller sur le costé gauche. Ah! que vous
serez aises ! Voila un eguillon assez propre, ce me semble,
pour vous faire prendre le marteau pour battre sur vostre
enclume de telles Apres-disnées que sont celles que je vous
communique. Si sa pointe ne semble assez vive, et que
quelque lascheté vienne à la poltroniser et faire rebouscher,
si tant est que vous craignez de vous faire paroistre amou-
reux de vostre immortalité, pour la crainte qu'avez de
tomber sous la rigueur de quelques brusques, bigerres et
mal-adroits jugemens, au moins que l'amour du public
vous face franchir le saut, hazardez-vous et desrouillez un
peu vos outils^ vous pouvez beaucoup, mais, par faute de
vous exercer, vous croupissez à demy engourdis. Je sçay
bien qu'on dira que, tenant ce langage, on me pourra
rebrouer par cest arrest : Ne sus Minervam doceat; qu'il
y a des plumes assez délicates, suffisantes et isnelles ,
pour prendre le vol plus haut que je ne leur sçauroie
monstrer. Je le confesse, voire que je reputeray à
heur d'apprendre , et si m'advanceray bien de tant
AUX LISEURS. l5
qu'il y en a qui ont essayé à gaigner notre rade, mais
ont trouvé
Non omnibus datum adiré Corynthum,
et que quelquesfois il faut descharger le vaisseau avant
que Von ait outrepassé la mer. Ceux qui peuvent plus ne
feront que bien, s'ils saquittent de leur devoir. Qui les
retarde? A quoy s'amusent-ils? à niveler? Les autres qui
n'ont les aisles si roides sont semons à ce qu'ils s'éver-
tuent pour, se faisans valoir, w.onsîrer à la postérité
qu'ils n'ont esté en ce monde créatures inutiles. De toutes
les façons qu'on voudra le prendre, je demeureray tous-
jours droit sur mes deux pieds, puis que j'ay tesmoignage
en moy mesmes que la semonce que je fais part d'une
syncerité, pureté et cordiale intégrité. En un mot, l'amour
et affection que je porte à mon pays me garentira de tout
le reproche qu'on me pourroit donner pour une si hardie
entreprise qu'est celle à laquelle me lient nies Apres-disnées.
L'intention est bonne, l'ouvrier ne vise qu'à bien, les
moyens ne sont que bons : il n'est pas à croire que les
effets ne participent à la bonté. Goustez à mesmes si nos
fruits ne sont pas bons.
AUDENTES FORTUNA JUVAT.
LES
APRESDINÉES
DU
SEIGNEUR DE CHOLIERES
APRESDINÉE PREMIERE
DU VEILLER ET DU DORMIR
S'il faut dormir rapresdinée,
ES nappes levées, le S'' rEveillé,
pour faire l'honneste et monstrer
qu'il avoit l'esprit gaillard et
l'œil tendu au bois, s'addressant
à la compagnie, va dire : « Quoy
que je n'aye pas mené grande poussière durant le
disner, Messieurs, peut estre ne treuverez vous
mauvais que ceste apresdinée se passe à vous
^%^^
l8 DU VEILLER ET DU DORMIR,
resveiller par un discours commun du veiller et
du dormir. Je suis bien trompé si ce n'est tou-
cher droit au poinct et entamer l'affaire par le
costé qu'il faut. Vous sçavez que nostre delbiera-
tion commune est desrober tous les plaisirs que
nous pourrons, et dresser une escole de philoso-
phie. On a accoustumé de sonner la cloche pour
resveiller les escoliers. La leçon que nous devons
avoir est de bien haute liste, il faut avoir l'esprit
ouvert : voila pourquoy je suis d'avis qu'au préa-
lable, et avant toute œuvre, nous vuidions cette
difficulté, à sçavoir s'il faut dormir l'apresdisnée.
La décision nous rapportera un fruit merveilleux,
entant que, si le sommeil n'est à propos l'apres-
disnée, on verra qu'avec tresjuste occasion nous
nous sommes mis au party des apresdisnées. » Il
n'y eut pas un de la compaignie qui ne treuva ce
dessein tresbon, et encores mieux à propos :
pource un chascun se mit à prester l'oreille, afin
d'estre esveillé cette apresdisnée. Pour contraire
et débutant se mit en pied le S^' Patelin, lequel
promit de tenir le party des dormeurs, et mons-
trer qu'on se treuve mieux de dormir l'apresdisnée,
tant par raisons que par exemples. La matière
mise en délibération, fut permis et à l'un et à l'autre
de resveiller la compaignie par ce discours : et à
celle fin que par cy après il n'y advint quelque
desordre, on dressa un état de ceux qui devroient
DU VEILLER ET DU DORMIR. IÇ
prester le colet, bene siquidem geruntur quœ or-
dine.
A peine TEveillé eut le loisir d'attendre que
Tappointement fût prononcé, qu'il va déployer
une batelée de raisons pour monstrer que le dormir
ne vault rien après disner. Ses raisons estoient : en
premier lieu, que la digestion ne se faisoit si com-
modément du temps du sommeil qu'alors que l'on
veille ; secondement, que nous en avions l'esprit
plus lourd, pesant et hebeté lors qu'après le repas
nous reposions nostre humanité; en troisiesme
lieu, que ce dormir nous engendroit un monde de
maladies ; finalement, que c'estoit se bander con-
tre l'ordre qui en a esté prescrit par Nature. « Je
parle (dit-il) en françois, et jette mon feu dehors
(direz-vous) ; mais, s'il vousplaistm'accommoder
un peu de vos aureilles, vous trouverez que j'ay
l'halaine assez forte pour soustenir plusieurs chocs.
A cause de mon nom, et la promptitude de l'es-
prit que je semble avoir, on pourra me jetter quel-
que trait d'ecervelé, j'estime que c'est le vray
moyen de bien discourir, à generalioribus ad spe-
dalla progredi, de dresser et esbaucher de gros
en gros le dessein, après le rabotter, polir et fa-
çonner comme il appartient. Et comme les lon-
gues paroles n'alongent les jours, ains les dis-
cours, et nous ennuyent, je m'en vay entrer en
plus particulière preuve de ce que j'ay mis en avant.
20 DU VEILLER ET DU DORMIR.
Ma première raison ne semble mériter une preuve
particulière, puis que chascun de nous en a l'ex-
périence en soy-mesme. Quelquesfois je me suis
treuvé les yeux ensablez de sommeil l'apres-
disnée, j'ay voulu complaire à ma sensualité, et
joiier à la ronfle ; mais je n'estoye point plus tost
revenu à moy-mesmes pour me resveiller, que je
trouvoye que mon pauvre estomac, à cause de la
trop grande abondance d'humeurs, m'avoit laissé
toutes les viandes indigerées, criies ; je sentoye
une charge si importune que j'eusse voulu estre
encores à recommencer : quantos dolores habebam !
Par la grâce de Dieu j'estoye assez bien repeu,
ma cuisine estoit assez bien fournie, le principal
estoit qu'elle estoit mal cuisinée : le feu n'y avoit
force ; le sommeil l'humectoit de telle sorte qu'il
ne pouvoit opérer. Me voila viande de viandes
crues : je ne suis beste brute pour prendre curée
crue.
— Alte icy, seigneur Esveillé, mon amy, va
dire le S"" Patelin, vous vous eschauffez un petit
beaucoup en vostre harnois ; par bieu, si on ne
prend garde à vos affaires, vous estes en danger
d'avoir du mal. Avez-vous point promis à quel-
ques marchans de leur faire emploite de fols ? Pour
en former en haute game vous n'avez moyen plus
propre que de prescrire perpétua insomnis vigilise
votum. Tantost vous verrez que je ne vous dy
DU VEILLER ET DU DORMIR. 21
chose qui ne soit trop plus que véritable, et la-
quelle n'ait esté avérée par la pratique. Or, puis
que vous estes celuy qui avez commancé à cracher
vos preuves du resveil, il faut que je les vous face
ramascher, et par ce moyen vous faire prendre
l'envie de prendre vostre repos.
Vous trouvez (dites-vous) le dormir mauvais
l'apres-disnée, parce que vous sentez que vous ne
digérez la viande. Premièrement, vous n'estes
médecin pour en sçavoir juger, et estimez que les
cruditez stomacales que vous avez proviennent
du dormir. Consule peritos artis, ils vous chante-
ront bien autre leçon : peutestre vous apprendront
ils que c'est une indisposition naturelle qui fait
avorter la digestion de vostre repeuë ; ou bien
qu'il y a quelque cacochymie en vous qui vous
rend contraire et pernicieux ce qui de soy est
proffitable aux autres. De mesmes que vous en
voyez aucuns qui, quoy qu'ils ne soient des canes,
boi-l'eau et ahstemïi, dés qu'ils se treuvent abba-
tus n'oseroient taster d'une goutte de vin. D'autres
qui, au fort d'une fièvre ardente, se sont mis à
humeur du piot, encores qu'auparavant ils en
eussent fait une fort estroite et scrupuleuse absti-
nence. Je m'en rapporte au voisin de la Made-
laine. Si ainsi est que le vin proffite aux uns et
nuise aux autres, il se pourra bien faire que le
dormir vous aura esté contraire, encores qu'il soit
22 DU VEILLER ET DU DORMIR.
sain et nécessaire à plusieurs. Si vous me vouliez
croire, je vous conseilleroye de vous servir des
moyens qui furent gardez à la guerison panta-
gruélique. Paradventure pourroit y avoir dans
vostre corps quelque humeur qui vous causeroit
cette saugreneuse indigestion.
Ce qui me fait tenir ce langage est que je
treuve que les médecins tiennent que le dormir
sert grandement à la concoction des viandes, et
se fondent sur deux principales raisons : la pre-
mière est que la composition de Thomme, durant
qu'il dort, est toute telle qu'en hyver. On sçait
qu'en hyver toutes nos parties intérieures et du
milieu sont plus chaudes qu'en esté, ad centrum
calor frigore ambiente profligatur. De mesmes,
lorsque nous sommeillons, le sang se retire au
dedans, et par conséquent la chaleur naturelle, si
bien qu'alors la cuisson et digestion se fait mieux
en nostre cuisine stomachale. La seconde est
dépendante de la première, prise parleseffets et eve-
nemens, attenduque nousvoyons, sentonset apper-
cevons que ceux qui se traitent à ladormitoire,qui
n'espargnent le dormir à leurs yeux l'apresdisnée,
qui en un mot se donnent du bon temps, sont
gras, potelez, replets et forts, au lieu que ces
âmes damnées, qui dés le matin jusqu'au soir
ne clignent les yeux, sont hâves, maigres et debif-
fez comme des pauvres haires. Telle disposition
DU VEILLER ET DU DORMIR. 23
me fait croire que ceux qui jouent à la ronfle
après disner digèrent leurs viandes. C'est ce que
dit Hippocrate, liv. 6 Epid. tom. 5, Aphor. lo,
que le travail et l'exercice sert à la roideur des nerfs
et à la chair, mais que la viande et le sommeil prof-
fitent aux entrailles. Galen mesmes, au premier
livre des Causes des symptômes, remarque fort à
propos que, pendant que nous dormons, la faculté
animale se repose, mais que la naturelle est bien
plus vigoureuse. L'espreuve nous en est journa-
lière. De fait, il n'y a celuy d'entre nous qui ne
recognoisse en soy-mesme que, lors qu'il est en
son sommeil, nature ne laisse à exploiter ses ope-
rations naturelles. Qui dort (dit-on), il disne.
C'est un proverbe qui est en la bouche de plusieurs
et paraventure est entendu de bien peu. De ma
part, sans pantagrueliser avec les fessepintes, fesses-
tondues, etc., j'estime qu'il prend pied sur ce que
le dormir nourrit et engraisse fort. Ce qui me
conferme en ceste opinion est que j'entens cous-
tumierement dire aux femmes que les enfans sont
plus nourris par le dormir que par la viande qu'ils
prennent. Cela est bien loin de l'indigestion que
vous alléguez : si le sommeil la causoit, on n'en-
tretiendroitles enfans au dormir, on ne les y ber-
seroit, les dormeurs ne se porteroient pas si bien.
Prenons vostre patron, vous sçavez de quel bois
il se chauffe, et si vous ne pouvez ignorer qu'il ne
24 DU VEILLE RET DU DORMIR.
prenne trois ou quatre heures de repos dés le
disner jusques au soupper. Je puis bien tesmoi-
gner l'avoir veu plus de cinq cens fois sans la
première couche entre des beaux draps tous
blancs. Et quel homme est-ce ? Dieu sçait s'il se
porte bien !
— Pour réplique, S'' Patelin, va dire le S^ Es-
veillé, j'ay soubre de moyens pour rabattre la di-
gestion que vous accrochez au sommeil. Premiè-
rement, les appiehensions que vous avez de de-
venir fol par trop veiller ne sont propres que pour
faire peur aux petits enfansdenosmesnies. Asseu-
rez-vous qu'il n'y a chose plus contraire à la veuë
qu'un coup de pierre eslancé dans un œil. En
après, vos deux raisons qu'avez emploie pour le
renfort de la digestion sont si crues et mal digé-
rées que je m'esbahis comment cela vous soit
tombé en vostre aureille de nous les présenter.
Pour vous monstrer que je ne suis guidé d'un
esprit de contradiction, je vous passe le rapport
que faites du sommeil et de l'hyver, mais je vous
nie à platte cousture que somnus per omnia et in
omnibus exœquatus sit hyemi, cela à l'exemple de
nos Rabbi en droict ad l. i de kg. primo. Ma
négative est fondée sur ce que nous sçavons tre-
tous, que la nourriture vient de ce qui est au de-
dans et non point aux bords. La viande n'a pas
garde de nourrir, si elle n'est cuisinée en l'esto-
DU VEILLER ET DU DORMIR. 25
mac, si bien qu'il faut que la chaleur soit là au
milieu de la cheminée. On n'a pas accoustumé de
mettre le pot cuire sur une fenestre. Ainsi, qu'il
face froid, qu'il face chaud, le feu ne se fait qu'à
la cheminée, et neanîmoins il semble que vous
vouliez donner à entendre que la chaleur qui cuit
nos viandes n'est en vigueur, sinon lors que le
frimât du sommeil vient à donner sur nous. Je
recognois véritablement que la chaleur du feu est
beaucoup plus grande sensiblement et pour mon
regard en hyver, sur tout lorsqu'il gelé à pierre
fendant, ^ qu'au mois d'aoust ; mais pource aurez
vous bien affaire à me faire acroire que le mesme
soit à garder pour le dormir et le veiller.
— Vous robinez, S^ l'Esveillé, va dire le S^ Pa-
telin. Et, encores que de nom soyez esveillé, et
que par effect ayez les yeux ouverts comme un
chat qu'on chastre, si dormez vous dans l'ame, et
en ce ressemblerez vous aux connils, qui dorment
les yeux ouverts. Je vous soustiens que le rapport
du sommeil et de i'hyver est tresmal à propos
débattu par vous, puis que vous ne pouvez nier
que l'esloignement du soleil est ce qui nous cause
ces froidures, et, resserrans la chaleur en un, la
renforcent. Le sommeil nous est comme la nuict
ou I'hyver: abscessu solis tenebrse accedunt, l'air se
refroidit. Lors que le sommeil a fait perdre place
au veiller, les frimats et brouillats s'eslevent, le
4
20 DU VEILLER ET DU DORMIR.
froid nous fait retirer, ad interiora calor refugit,
et alors en une heure nostre estomac expedira
plus de besoigne, comme par despit, qu'il ne fait
lors qu'il n'a point de contre-barre.
— Non, non (adjousteleSM'Esveillé), je [ne]me
paye de ces raisons, puis que je voy que sur l'apres-
dinéeest la plus grande chaleur du jour, si bien que
nostre chaleur naturelle n'auroit que faire de se
resserrer si fort que vous criez. Il y a la chaleur
de l'air qui entoure et elle qui enfermeroient le
froid qui y auroit esté attiré par les exhalaisons
dormitoires. Je pourroie enfoncer d'avantage ce
discours, si je ne craignoie d'ennuyer la compai-
gnie par ma prolixité : je veux un peu aller veoir
vos gras dormeurs, lesquels vous prisez pour la
graisse qu'ils s'accueillent en dormant. Si le pre-
nez là, je le quitte, et vous lairray abonder es
conceptions devostre porchesque sensualité. Faut
que vous epicuriez et teniez que l'homme ne vit
sinon pour estre gras : cela est user des transfor-
mations de Circé sans estre charmeur. Nous ne
sommes pas voiiez à larder, ainsi que les pourceaux.
Telle leçon doit estre preschée aux anthropo-
phages. Vous cognoissez un Principal voisin de
Marmoustier, le prisez vous d'avantage pour sa
graisse que nostre doré Pindare François, duquel
à ce propos je me souviens que le seigneur Pas-
quier chante ces vers hendecasylabes :
DU VEILLER ET DU DORMIR. 2/
Auratus meus ille quem videtis,
Macro corporCj languido, pusillo,
Jejuna macie et cadaverosùj
Sed cœlesti animo intcgraque mente,
Tanto prx reliquis poetis major
Quanta corpore natus est minori :
Tarn scit scribere grœcè ut ipsx Athenx
Non possint magis Atticam referre ;
Tarn mirus artifex Latii leporis
Ut ipsum sibi vindicent Latini.
Quin et protulit ejus offîcina
Konsardumque gravem, Belumque mollem,
Quales Gallia vidit ante nullos.
Quantus ergo sit hinc licet videre :
Scribunt carmina cseteri poetx,
Summos at facit hic unus poetas.
Je VOUS veux battre d'autres raisons; l'expé-
rience nous apprend qu'une personne grasse n'est
point si plaisante, gaillarde et à gré qu'une autre
qui est maigre. C'est la chanson que disoit en
table la maistresse de l'Œil d'avis, prise, comme
j'estime, du livre intitulé les Controverses des
sexes masculin et féminin. Là, l'autheur décon-
seille ainsi de prendre femme grasse en son
patois :
Pareillement ne prenez femme grasse,
Quelque maintien qu'elle ait et bonne grâce :
Grand' puanteur au lict vous donnera,
Car à l'espaule de mouton sentira
Au faguenas et puanteurs susdites,
Dont ne prenez telles femmes maudites.
28 DU VEILLER ET DU DORMIR.
— Vous estes un fin homme, par men con-
science (respond le S^ Patelin), de me penser faire
peur par ces vers de Tennemy des femmes ; a-il
traité plus doucement vos maigres ? Escoutez ce
qu'il en dit :
Touchant des maigres n'en prenez aussi point,
Car il est dit, et notez bien ce poinct,
Que sont trois choses maigres tres-que mauvaises,
Fastigieuses, toutes plus que punaises :
C'est à sçavoir la femme, chèvre et l'oye.
Et qu'est bien pis, je veux que chacun l'oye,
Disant que c'est morceau si mal duisable
Qu'il ne convient à manger qu'au seul diable.
— Ne vous arrestez point, Messieurs, sur cest
article, vay-je dire, vous n'y ferez que le sang tout
clair, attendu que ce maistre blasonneur a donné
attache tant aux grasses qu'aux maigres, et aussi
qu'en mes Partis amoureux je me suis esbattu à
débattre ceste magnifique question : si le party
d'une grasse estplustost à prendre que celuy d'une
maigre.
— Soit, respondit le S"" Patelin, je suis content
de remettre à une autre fois la dispute touchant
la precellence des grasses et des maigres, mais je
voudroie sçavoir à quoy et comment vous con-
cluez. Vous pensez énerver mon argument des
gras dormeurs, parce que nous ne sommes pour-
ceaux : je ne suis point rôtisseur ny marchand de
DU VEILLER ET DU DORMIR. 29
lard, pour graisser la porcherie de la façon que
vous criez. Mais vous changez b mol en b carre,
et ne prenez pas advis que je puis vous battre
par vostre propre argument. De fait, qu'on l'exa-
mine, on trouvera qu'il fait pour moy, en ce que
maintenant il n'est question de la prérogative qui
est escheuë aux hommes pour l'ame raisonnable
dont ils sont douez. Les facultez animales et
naturelles du pourceau ne sont point autres (hors
l'individu) que sont celles d'un chacun de nous.
Que ainsi soit, vous voyez que l'on est repeu,
nourry et soustenu par les viandes, que si l'homme
boit et mange, aussi fait le pourceau, que tous deux
se purgent par l'huis du derrière, que le sommeil
est aussi bien commun au pourceau qu'à l'homme,
bref, pour la nature, qu'il y a bien peu à redire
entre l'homme et le pourceau. Si ainsi est, et que
le pourceau s'engraisse au dormir, je puis à très-
juste occasion conclure que le sommeil n'em-
pesche nostre digestion ; au contraire, qu'il
l'ayde fort, dont les effets apparaissent par le bien
porter.
Voila donc ma digestion qui demeure asseu-
rée, quoy que vous luy ayez voulu susciter le
sommeil pour ennemy. Pour retourner à nos
moutons, il faut que je drachme un peu, par
manière d'antidote, le second moyen que vous
avez employé contre nostre sommeil : vous dites
3o DU VEILLER ET DU DORMIR.
qu'il rend nos sens plus lourds, grossiers et pe-
sans. Si vous prenez cela secundum quld et non
ahsolute, je le vous passeray, c'est à dire que le
restraigniezà certaines personnes que je cognois,
lesquelles semblent aux araignes, qui convertissent
en poison ce qui est autrement destiné à bien.
Vous hantez tous les jours avec des personnages
qui n'oseroient boire un trait, si l'eau ne sur-
montoit le vin de deux tiers et un quart, autre-
ment il faudroit jouer à la corbette, ou aller in re-
quiem, ou escorcherà faute de peletierle regnard.
Pourtant, direz vous que l'usage du vin pur soit
préjudiciable, qu'il hebete nos sens ? Non usas, at
abusus nocet. On doit faire mesme jugement du
sommeil, lequel nous est fort nécessaire et proffi-
table, toutesfois nuit à ceux qui ont leurs parties
corporelles démantibulées. Pour un moyne on ne
laisse pas à faire un abbé : c'est un axiome mona-
chal, cui con'sentaneum est, qu'on ne doit interdire
le dormir après disner, parce qu'aucuns s'en treu-
vent incornifistibulez.
Or que ce soit en gênerai tout le contraire de
ce que vous avez proposé contre le sommeil, je
m'en vay le vous faire si clair qu'un asne y mor-
droit. Et primo, je vous apprens que par le dor-
mir le cerveau et les nerfs se délassent en recevant
lors une huileuse et douce vapeur, qui est leur
propre nourriture. En après, les esprits, se retirans
y
DU VEILLER ET DU DORMIR. 3l
vers le cœur, se reschauffent et se purifient, tel-
lement qu'après que nous sommes esveillez ils en
deviennent beaucoup plus vigoureux et forts. Lors
que vous avez besoigné tout du long de la jour-
née, je vous voudroie bien demander si vous estes
si gay, soupple et dispos, que quand tout frais vous
vous rangez à la tasche. Ne faut pas que vous
estimiez que nostre cerveau ne se lasse, consumi-
tur annulus usu, et l'arc tousjours bandé en fin se
rompt. Si vous en doutez, je m'en vay le vous
monstrer. Prenez donc que nos actions ne sont
qu'une boutée, saillie et force de nos esprits, qui,
naissans du feu de la vie, remuent non seulement
nos membres, ains aussi se joignent à nostre ima-
gination. Or, pource que les principales parties
dont nous sommes composez, .comme est le cer-
veau, les nerfs, le foye et le cœur, sont d'une
température diverse, il advient que le chaud ou
le froid, s'estant trop longuement ou trop vive-
ment attaché à quelque partie de tempérament
contraire, elle en demeure offensée, comme pour
avoir eu trop long temps à combattre son ennemy,
jusques à ce que l'homme y soit toutaccoustumé :
ce qui se void en ceux qui, pour n'estre coustu -
miersde s'ahanner en quelque chose, se trouvent
après comme tous rompus et brisez. La cause de
cela est que les nerfs, les os et la moelle, qui sont
froids, après avoir esté eschauffez par l'agitation,
32 DU VEILLER ET DU DORMIR.
venans à se refroidir, tesmoignent assez qu'ils sont
grevez, et, fleschissans à leur pois mesme, cer-
chent l'appuy et se roidissent avec peine. Le pa-
reil advient au cerveau, encor' qu'il ne soit si sen-
sible, car, estant de sa nature humide et froid,
après qu'une forte et longue imagination y a attiré
la chaleur des esprits, il se ressent d'une telle
émotion; et lors, quelques fois aydé des vapeurs
qui sont montées après le repas, quelques fois
par le moyen de la bile froide, laquelle y est atti-
rée, comme il advient aux hommes melancoliez,
ou bien affessy de soymesmes, il vient à rechasser
les esprits contre bas vers le cœur, et, en repre-
nant sa qualité, reçoit volontiers ce qui est hu-
mide et froid, le respandant, après s'en estre raf-
fraischi, sur tous les nerfs, tellement que les filets
qui tendent les paupières se laschent et les laissent
tomber sur les yeux; les gros tendons aussi du
col s'amollissent et ployent au fais de la teste. Ce
sont les causes de la lassitude, et la manière par
laquelle le sommeil nous saisit. Si vous prenez
bien ce que j'entens, vous trouverez que le dor-
mir, tant s'en faut qu'il nous appesantisse, qu'au
contraire il nous raffraischit et renouvelle pour
nous remettre à la besoigne mieux qu'aupara-
vant.
Ce qui m^ancre d'avantage en ceste opinion,
que nostre jugement est subtilisé d'avantage par
DU VEILLER ET DU DORMIR. 33
le sommeil, c'est que je treuve que les plus nota-
bles apparitions qui nous sont ramenteuës par les
Escritures sacrées sont advenues pendant le dormir.
Sainct Paul n'avoit point les yeux ouverts durant
l'extase de son ravissement; voire mesmes, ainsi
que l'Histoire Ecclésiastique remarque, il semble
que Dieu ait expressément choisi le sommeil, à
celle fin que durant iceluy il fit de choses admi-
rables. La production de la femme fut lors
qu'Adam dormoit. Le texte de Moyse y est for-
mel : Immisit Dominus Deus soporem in Adam^
cumque obdormissei, tidit unam de costisejus et re-
plevit carnem pro ea, c'est à dire : « Le Seigneur
Dieu fit tomber un somme sur Adam, et, quand il
fut endormy, il prit une des costes d'iceluy, et
resserra la chair au lieu d'icelle. » Et, parce que le
docte du Bartas, au sixiesme jour de sa Semaine,
a tres-doctement descrit ceste endormie produc-
tion, je suis bien contant icy vous donner le plaisir
de ses vers :
Comme le médecin qui désire trancher
Quelque membre incurable, avant que d'approcher
Les glaives impiteux de la part offensée,
Endort le patient d'une boisson glacée,
Puis sans nulle douleur, guidé d'usage et d'art.
Pour sauver l'homme entier, il en coupe une part :
Le tout-puissant ternit de nostre ayeul la face,
Verse dedans ses os une mortelle glace,
Sille ses yeux ardans d'un froid bandeau de fer,
5
34 DU VEILLER ET DU DORMIR.
Guide presque ses pieds jusqu'au seuil de l'enfer,
Bref^ si bien engourdit et son corps et son ame-
Que sa chair sans douleur par ses flancs il entame,
Qu'il en tire une coste, et va d'elle formant
La mère des humains, gravant si dextrement
Tous les beaux traits d'Adam en la coste animée
Qu'on ne peut discerner l'amant d'avec l'aimée.
Je ne suis pas grand théologien, il ne m'ap-
partient pas mettre le nés si avant es Escritures
divines, je veux rapprocher mes preuves et les
vous faire toucher au doigt. Prenez moy Fulgose :
il vous fera veoir de beaux et segnalez exemples
propres à justifier que Dieu a opéré en plusieurs
personnages de choses nompareilles durant qu'ils
estoient allictez au dortoir. Il fait mention de
Gennadius, médecin carthageois, lequel ne peut
recevoir l'impression touchant l'immortalité des
esprits que lors qu'il dormoit. Sainct Augustin
conferme le mesmes en sa missive à Eradius. Il
tesmoigne le mesmes du martyr Noël, de l'her-
mîte d'Egypte Egyption, et de quelques autres.
Preuve indubitable, ou je ne voy rien, pour jus-
tifier que, lors que nous dormons, nostre esprit
est plus à délivre et prest à exploiter quelque chose
de bien.
— Certainement, va dire le S^ Esveillé, vous
estes un grand clerc, et estes sçavant jusqu'aux
dents ; mais je voudrois bien sçavoir de vous si
DU VEILLER ET DU DORMIR. 35
VOUS estes devenu ainsi docte, jouant à la ronfle.
Vous avez bien affaire à me le faire croire, attendu
que vous sçavez que
Non jacet in molli veneranda scientia lecto.
Et, quant aux changemens que vous avez cotté
de Fulgose, merveilles que ne prenez garde que
ce sont cas extraordinaires, qui ne peuvent estre
estendus plus outre que la personne qui a esté ho-
norée et advantagée de tels passedroits, si bien
qu'encores que j'aime mieux ne le decroire que
l'aller voir pour le croire, si est ce que casibusspe-
cialibus générales non eluduntur.
— Vous en cassez de belles ! réplique le S"" Pa-
telin. Que direz vous des songes et prognostics
que nous avons durant le sommeil? Socrates ne
prévit il pas lors de son repos qu'il seroit maistre
du divin Platon ? Je m'en rapporte à ce qui nous
en est appris par les vies des philosophes, où on
nous fait entendre que Socrates, trois jours aupa-
ravant que Platon luy fût amené, vit en vision un
petit cygne qui se remplumoit en son sein et,
après avoir acquis des aisles, s'en-vola incontinent,
fredonnant fort mélodieusement, dont le bon
homme de Socrates estoit en grande peine, ne
pouvant penser que signifioit telle vision : il de-
meura en cette perplexité jusques à ce que Platon
luy fut amené pour estre son disciple, lequel il
36 DU VEILLER ET DU DORMIR.
n'eut plustost veu qu'il declaire au Patrice Ariston
que son fils Platon estoit celuy duquel il avoit
songé, qui estoit le cygne, lequel devoit estre paré
des plumes qu'il prendroit dans son sain, à sça-
voir de la philosophie qu'il luy enseigna par l'es-
pace de vingt ans. Expressément j'ay choisi cest
exemple, parce qu'il est segnalé et contre lequel
vous ne pouvez emploier reproche aucune.
En voulez-vous une preuve plus évidente, je
la vous vay prendre de vostre main, pour la vous
remettre devant les yeux. Vous avez cogneu ce
grand chancelier de France, Antoine du Prat, du-
quel on raconte que tousjours il dormoit, et si
pour cela ne laissoit d'avoir l'esprit tendu à Faite
et prompt : dormant, il ne perdoitpas un mot de
ce qui luy estoit dit. Les estrangers sont tesmoins
de la vérité que je dis, et sur tout ceux qui, ayans
par leurs ambassadeurs fait leur remontrance au
Roy, par la bouche et organe de ce chancelier,
eurent sur le champ et de poinct en poinct la re-
solution de ce qu'ils demandoient, outre leur es-
pérance. L'autre estoit ce digne procureur du Roy,
Gilles Bourdin, lequel, avoit il disné, se tenoit
dans une chaire, appuyé sur ses coudes, et vous
reposoit assez proprement son humanité. Pour-
tant n'estimez pas que l'audience fut déniée aux
parties, lesquelles il vous escoutoit patiemment,
puis leur donnoit fort bonne response sur le fait
DU VEILLER ET DU DORMIR. Sy
qu'elles luy avoient proposé, sans broncher ny
leur faire tort d'une seule syllabe qui eust esté
prononcée. Le sieur Pasquier luy a, à ceste occa-
sion, dressé cest epitaphe :
Seu suhscribere supplici Ubello,
Seu defendere Kegis acta vellet,
Volvendisque libris domi vacare,
Librorum helluo, regius patronus,
Kegno et munere nobilis forensi,
Stertebat média patrum corona,
Stertebatque domi, palamque clamque,
Nec tempus vacuum, locus vel uUus,
Quo non sterteret ille, tamque dormiit
Ut mors hune inopina dormientem
Interceperitj omnium bonorum
Magno cum gemitu, altiore damno.
Mortuum tamen, ô viator, illum
Tu ne credideris : quid ergo ? verè
Somno perpetuo quiescet ille.
— Ce ne sont point contes, Messieurs, vay je
dire. J'ay familiarité avec un personnage, lequel a
demeuré fort long temps avec ce M. Bourdin ; il
m'en a asseuré de choses plus estranges, mesmes
que, lorsqu'il vouloitchevir à poinct d'une bonne
affaire, falloit qu'il prist tout bellement son repos.
Vous sçavez que je suis grand rechercheur et qu'il
n'est pas aisé de m'en prester une, que je veux
estre payé sur tout de raison; pource j'ay pris
plaisir à sonder l'occasion pourquoy, lors que ces
38 DU VEILLER ET DU DORMIR.
Messieurs dormoient, neantmoins leur esprit ne
laissoit d'estre en action perpétuelle. En fin j'ay
trouvé que c'estoit pour autant que leur esprit ne
se lassoit au gré, branle, et à la cadence du corps.
De fait, c'est une folie de croire que le cerveau
soit sensible. C'est une négative tenue par tous
les philosophes, lesquels sont les mieux habillez
d'entendement. Ce n'est pas que je veuille tenir
le cerveau tousjours bandé, je sçay qu'il y a du
relais, duquel le seigneur Bretonnayau en son
Temple de VAme a tresbien poétisé, parlant de la
fantasîe. Pource je vous donneray, s'il vous plaist,
le plaisir de quelques vers qu'il a, à ce propos,
composé :
Quand le commun repose, et l'objet empesché
N'entre plus par le sens, de la vapeur bousché,
Il ressemble un enfant : ell' a une nourrisse,
Qui, chantant son do-do, l'endort, afin qu'ell' puisse
S'aller esbattre seule : ainsi ceste cy sort
Du corps emmaillotté du frère de la mort.
Dont, s'escartant de luy, solitaire repense
En ce qui s'est passé depuis sa cognoissance,
En ce qu'elle a ouy, de ce qui luy souvient
Et dedans le miroir que devant elle tient
Où de jour et de nuict son image remire,
Des ombres qu'elle y voit les phantosmes retire,
Qui si confusément s'offrent tous à la fois
Que ranger ne les peut, ny en faire le chois.
Et,commeeir en commence,quelqu'autre vient se mettre
Au devant, l'autre après sur le champ demande estre
DU VEILLER ET DU DORMIR. 3g
Premier expédié; le voulant depescher,
Une foule en voicy, qui la vient empescher.
Pour ce imparfaits sont tous, l'un n'aura que la teste
Et cest autre les pieds, luy manquant tout le reste.
L'un du corps la moitié aura tant seulement
Qui point n'aura de bout ny de commancement, etc.
Ainsi vous voyez que Tassoupissement du
corps n'engourdit pas le cerveau, qu'il est tous-
jours aux champs, qu'il chasse; s'il n'e prend à
tous coups, c'est que la foule est trop grande.
Car, quant à moy, comme je disois, je ne croy
pas que le . cerveau soit sensible et se lasse de
mesme que le corps; cela est plus clair que le.
jour, que, quant à luy, per se est omnis sensus
expers; si donques il est sensible, faut que ce soit
par le moyen des membranes qui le recouvrent et
envelopent. Or elles ne peuvent recevoir coup
par la lassitude que où toute la masse du cerveau
se lasche et affaisse après avoir perdu tous ses
esprits, ou pour avoir esté desseiché par une forte
et longue imagination. Icy on ne parle point de
l'otTuscation des humeurs, qui, quand tout est dit,
n'est pas contraire à la composition du cerveau :
car, estant de sa nature humide et froid, il est de
tant plus aidé qu'il y a plus d'abondance de va-
peurs humides, grosses et espesses. Voire mais,
que fay-je? Au lieu que je devroie abréger vos
discours, il semble que je veuille plustost partiser
40 DU VEILLER ET DU DORMIR.
pour l'un que pour l'autre, et in utramque aurem
dormire. Je vous prie, seigneur Patelin, pour-
suivez.
— C'est bien dit (va il respondre), je suivray
par ordre, et examineray le troisiesme moyen;
mais ce sera, s'il vous plaist, après que vous, sei-
gneur Esveillé, vous serez un peu exprimé
d'avantage que n'avez fait. Ce n'est pas tout
d'improperer un monde de maladies au dormir.
Asserenti probatlonis onus incumbit.
— Je le veux bien (dit l'Esveillé), et, afin que
je ne marchande point long temps, je prendray
l'expérience qui m'apprend, et à vous aussi, que
les apoplexies, pesanteurs, catarres, et autres ma-
ladies sont alambiquées au rosaire du sommeil.
Vous hantez vostre grand voiageur, comment
est ce qu'il se porte? Vous sçavez que toutes les
apresdisnées il se jette sur son bahu emmitoufflé
de toutes façons, et là il vous fait gaillardement
pose de quelques quatre ou cinq heures. A tous
coups il est menacé de suffocations, deffaux de
respirer, courte haleine , et tant d'imperfections
que, quand au monde il n'y auroit que ce dor-
meur si mal salarié de son dormir, encores est il
assez martyrisé.
— Una hirundo non facit ver (réplique le S*"
Patelin), non plus que pour un moyne on ne
laisse à faire un abbé. Tous ceux qui s'escriment
DU VEILLER ET DU DORMIR. 41
du dormir l'apresdisnée ne sont point si mal ap-
pointez que celuy dont vous entendez parler. A
sçavoir si le Gespide Jason, pour estre dormeur,
ne surprend point le dragon? Il n'est ny gout-
teux, ny apoplectique, il fait la figue à tout tant
de friquets et eratez, qui ne sçavent pas à moitié
que c'est qu'ils font. Vous imputez quelques ma-
ladies au dormir par fausse présomption. Les mé-
decins, direz vous, le tiennent et l'ont si bien
sondé : Qiisestio facti est unde jus oritur. Ils pren-
nent le plus souvent le blanc pour le noir; voire
ce qui est salutaire, ils dient qu'il est maladif et
nuisible à la santé. Ne vous souvient il point de
nostre voisin de Touraine, du conte qu'il nous fît
à Agen, que, comme il avoit sa femme allictée
d'une forte et violente fièvre, les médecins luy
défendirent tresexpressement de donner du vin à
ceste pauvre fiévreuse : luy, qui avoit plus d'envie
de la voir en terre qu'en pré, afin d'en estre bien
tost detrapé, luy fit apporter une grande bouteille
du plus fort et puissant vin qu'il peut recouvrer,
et ce sous prétexte que, comme bon mary, il ne
vouloit esconduire sa chaire espouse de la re-
queste qu'elle lui faisoit de pouvoir un peu choc-
quailler. Il faisoit son conte d'estre vefve inconti-
nent; au rebours se trouva que ce vin lui remit la
vie au corps. De cela je veux inférer que vos mé-
decins s'en peuvent faire accroire lors qu'ils char-
6
42 DU VEILLER ET DU DORMIR.
gent le dormir de quelques maladies qu'il n'en-
gendre point. Vous parlez des catarrhes, ce sont
les veilleurs qui en sont héritiers : pituita siqui-
dem est scholasticorum morhus peculiaris. Ce ne
sont point dormeurs que les courtisans des Muses.
Recommencez donc si vous voulez dire vray, et
apprenez à parler.
Pour respondre tout d'un coup, je voudroye
bien que me fissiez ceste amitié que me dire si
on se treuve plus mal de trop dormir que de trop
veiller; vous ne pouvez tenir contre le dormir :
qui dort, il disne. Si doncques le trop veiller est
plus nuisible que le trop dormir, je puis con-
clurre in modo et figura que le dormir ne preju-
dicie point tant que le veiller. Or, que les trop
grandes veilles nous extasent nostre santé, cela se
justifie par infinité de tesmoignages. Elles nous
amaigrissent, elles alangourissent nos forces, elles
offensent mesmes notre entendement. Je ne parle
point de ceux qui sont devenus fols par trop
estudier. Le plus propre moyen pour faire perdre
le sens à un homme et le faire sortir hors des
gonds de la raison, c'est l'empescher de dormir.
Quand vous voyez un malade qui pert son repos,
aussi tost vous inferez qu'il a le cerveau vuide,
que son estomac n'a point pris repeuë suffisante;
si le dormir d'après disné estoit si contraire à la
santé, presseroit on le malade de manger afin de
DU VEILLER ET DU DORMIR. 48
pouvoir prendre repos, et par ce moyen recou-
vrer sa santé? Vous faites mine de parler contre
les dormeurs, et si palpablement on cognoist que
vous resvez quand vous nous faites le chevet de
nostre lit si mal à propos que le dormir nous
malade.
Or, que les veilles soient grandement dom-
mageables, il n'y a qu'un mot qui serve et puis la
fin, je pourroie emmonceler un grand tas de
preuves. Entre les plus communes est ceste cy
que les Histoires nous apprennent, que la plus
grande rigueur qu'on a peu garder alencontre
d'un ennemy, c'a esté de luy pouvoir empescher
son dormir. A ce propos, Polybe recite que les
Carthageois, ayans pris M. Attilius Regulus, luy
coupperent les paupières, et le veillèrent si fort
que par trop veiller ils l'entomberent au cercueil
du dormir mortel. De mesmes Persée, roy de
Macedone, estant tombé entre les mains du con-
sul ^mil Paul, ne finit autrement ses jours pré-
cipitamment que pour avoir esté empesché de
prendre son repos.
Je semble à ceux qui descouvrent de leur
veuë le bord, et me resjoûis de ce que j'ay passé
par dessus le ventre de trois de vos moyens qu'a-
vez dressé contre le dormir d'après disné; je
m'asseure que le quatriesme ne me fera pas peur.
Afin que je ne vous soye double, comme un asne
44 DU VEILLER ET DU DORMIR.
rouge, je veux bien que vous sçachiez que je ne
puis comprendre pourquoy vous contrenaturez
le sommeil d'après disné, vous ne sçauriez pré-
tendre aucune chose, sinon parce que la nuict,
estant sombre, nous bousche la veuë, et que la
clarté du soleil nous semond à la contempler et
nous en servir. Mais j'ay la response toute preste.
Premièrement, l'argument que vous prenez n'a
que la peau, encores tressimplette. Si les ténèbres
de la nuict nous licentient au dormir, faudroit
dire qu'il ne faudroit se lever du lict en hyver que
lors qu'il est jour. Tenant ce langage, vous voila
l'advocat d'un mien compère du seigneur Gau-
lard et de maints galebontemps, qui prennent un
singulier plaisir de dormir la grasse matinée, et
d'ailleurs ennemy de la santé de plusieurs, les-
quels, s'ils croyent vostre conseil, dans peu de
temps serviroient de graisse aux fosses S. Inno-
cent. Pour suppléer le deffaut de la lumière du
soleil, ils ne prendroient que du feu : Dat requiem
somnus; et après me recommande. Peutestre esti-
mez vous que le dormir d'après disné soit artifi-
ciel, ou bien qu'il ne soit naturel : je m'en vay
vous mettre en butte les vignerons et les villa-
geois de vostre pays, lesquels mideronnent l'apres-
disnée; voulez vous sçavoir que c'est? Ils se
jettent bien et beau sur la terre ou ailleurs, et là
dant fessis requiem artubus : Nature le leur ap-
DU VEILLER ET DU DORMIR. 45
prend. Ce ne sont point douillets qui se patinent
et drelottent, ils y vont à la bonne foy, le grand
chemin des vaches. Les autres animaux mesmes
pratiquent le repos sur le midi, après qu'ils ont
fourré leur panse. Et après vous direz que le dor-
mir d'après disner est contre-naturel? Baye, et
autant pour le brodeur, aut bourdeur.
— Per fîdem, Messiou, va dire nostre bon
homme de Gavot en son patois assez proprement
lourd, je cray que vo avi envie de me faire faire
dodo to le jor! Per san Pirou, je dormo et dan le
corp et dan l'arma, resveilli may un pou : vey, se
vo me groussi plu guère, je dremeray tôt à fay.
Resveilli may, genti garson avoe ceste mottete.
Quay, dites quaque ran, etc. »
Ce maistre pitautvousgaschoit si gorrierement
ses mottets savoyars qu'il y en eut bien peu de la
compaignie qui ne pissa dans ses chausses, je
parle des plus sobres et retenus : car les autres, à
fine force de rire, les vous conchierent de belle
fine forte que je n'ose dire. En fin, quand le hola
du ris fut donné, je voulu renouer la dispute, et^
pour coudre le bec à ce maistre Claudin, je tendis
à ce qu'on quitta le dormir et que l'on se resveilla.
Le S^ l'Eveillé n'en eut pas voulu tenir deux
œufs à Pasques rouges, et pource, se servant de
ceste opportunité, faisoit mine de vouloir donner
un resveille-matin : « Bien, Messieurs, je vois
46 DU VEILLER ET DU DORMIR.
que maintenant, par la grâce de Dieu, vous avez
tous les paupières deprises et dechassiées, il faut
qu'à mon tour je vous monstre que les veilles
nous rendent et entretiennent plus lestes, dehait
et dispos que lors que nous sommes brommars,
assommez de sommeil et engourdis du dormir,
duquel je ne sçay pourquoy quelques uns ont
jugé si mal à propos qu'ils l'ont voulu représen-
ter comme celuy qui nous mettoit à recoy, à l'aise
et en repos.
— Je vous prie (va dire le S^' Patelin), ne vous
enfournez point en ces animadversions, vous n'y
feriez que le sang tout clair, et trouveriez bien à
qui parler. Et, afin que tout d'un coup je vous
ferme la bouche, je m'en vay vous envoyer en
l'escole du docte du Bartas, lequel, au premier
de sa Semaine, vous apprendra, sous la louange
de la nuict, que c'est que vous devez estimer, et
nous aussi : il est bien fol qui s'oublie, touchant
le sommeil :
La nuict est celle là qui charme nos travaux,
Ensevelit nos soins, donne trefve à nos maux,
La nuict est celle là qui, de ses ailes sombres,
Sur le monde muet fait avecques les ombres
Dégoutter le silence, et couler dans les os
Des recrus animaux un sommeilleux repos.
O douce nuict! sans toy, sans toy l'humaine vie
Ne seroit qu'un enfer, où le chagrin, l'envie^
La peine, Pavarice et cent façons de morts
DU VEILLER ET DU DORMÎR. 47
Sans fin bouireleroient et nos cœurs et nos corps.
O nuict! tu vas ostant le masque et la feintise,
Dont sur l'humain théâtre en vain on se desguise
Tandis que le jour luit. O nuict aime! par toy
Sont faits du tout égaux le bouvier et le roy,
Le pauvre et l'opulent, le Grec et le Barbare,
Le juge et l'accusé, le sçavant et l'ignare,
Le maistre et le valet, le difforme et le beau :
Car, nuict, tu couvres tout de ton obscur manteau.
Celuy qui, condamné pour quelque énorme vice,
Recerche sous les monts l'amorce d'avarice.
Et qui, dans les fourneaux noircy, cuit et recuit
Le soulphre de nos cœurs, se repose la nuict.
Celuy qui, tout courbé le long des rives, tire
Contre le fîl du fleuve un trafiqueur navire.
Et, fondant tout en eau, remplit les bords de bruit,
Sur la paille estendu, se repose la nuict;
Celuy qui, d'une faux maintesfois esmoulue,
Tond l'honneur bigarré de la plaine velue,
Se repose la nuict, et dans les bras lassez
De sa compaigne perd tous les travaux passez.
— Je croy, quant à moy, S^ Patelin, répliqua
rEsveillé, que vous estimiez que nous ne sça-
chions bien que deux et trois font cinq. Vous
vous faites tort et au seigneur du Bartas, lequel
j'honore et respecte sur tous les poètes de nostre
nation. Faites du fin tant que vous voudrez, si
avez vous affaire à un homme qui n'est un brin
endormy. J'ay l'œil au bois. Doncques ce docte
poète, après qu'il a discouru de la façon que vous
avez dit, voicy qu'il couche consécutivement :
48 DU VEILLER ET DU DORMIR.
Seuls, seuls les nourrissons des neuf doctes pucelles
Cependant que la nuict, de ses humides ailes,
Embrasse l'univers, d'un travail gracieux
Se tracent un chemin pour s'envoler aux cieux,
Et plus haut que le ciel, d'un vol docte, conduisent
Sur l'aile de leurs vers les humains qui les lisent.
Voila vostre dormir équipé de toutes ses fa-
çons, vous y deviez bien venir pour tordre le nés
à l'intention d'un si sage escrivain : vous voyez
quMl seraphise ceux qui ne s'assujettissent à vostre
beau dormir; si ne faut il pas que je vous laisse
en si beau chemin, je vous veux donner carrière
entière, et vous mettre en butte le seigneur de
l'Escale, dans les Poésies duquel vous trouverez
qu'il a autresfois donné atteinte à vostre som-
meil : de fait, après s'estre bersé pour s'y accaser,
en fin il a trouvé qu'il s'y gastoit les reins, et
qu^il n'y avoit rien tel que d'avoir les yeux ten-
dus , ouverts et esveillez. Pource voicy qu'il
chante :
«
Mutanda vox est, Somne, carnifex rerum,
Kubiginosx inertie penu putre.
Proies paterque crroris atque terroris,
Qui somniorum turbulenta dirorum
Momenta das et ante momtra non visa,
Maie procax everritor honx famse,
Imago mortis, morte tetrior dira.
Namque illa ssevis liberabit à caris,
Tu, pos\ labores semimortux vitœ,
DU VEILLER ET DU DORMIR. 49
Es harum acerba vena parricidarum.
Tibi quid imprecemurj impotens lurco,
Sentina stuprorum, hospes ebriosorum,
Exul beau cursibus procul cœli?
Nunquam ut quiescas lassus, et tui oblitus.
Cela est gratter votre sommeil de la façon qu'il
faut, et ne se chatouiller point pour se faire rire.
Je passe par dessus les pollutions nocturnes qui
se font lors que nous nous ramentevons la jonc-
tion ou l'attouchement des pièces du sac, manus,
femora, subucula aut lintea hymeneum plerumque
excipiunt. Combien de pauvrettes se treuvent sur-
prises et engagées lors qu'elles sont saisies du
sommeil? Vous sçavez si je dis vray, et comment
s'en trouva la damoiselle qui, sans estre nommée,
n'est que trop connue. Je passeray bien plus
outre, et diray que les masles mesmement s'y
trouvent enlassez. Le divin Platon, sur le com-
mencement du 9. de sa Republique , s^en ouvre
assez. D'ailleurs je vous apprens que pendant le
sommeil nous sommes visitez de ces sales cupi-
ditez lors que nostre partie raisonnable est as-
soupie, affaissée et endormie, car alors la sensi-
tive brutale et animale fait ses choux gras, elle
monte sur ses grans chevaux, quia fœnum habet
in cornu : elle regimbe, elle gambade, elle fait ses
jeux, elle frétille nostre chair, elle la roidit, elle
l'eschauffe, elle l'enflamme, elle attise si fort le
7
5o DU VEILLER ET DU DORMIR.
fourneau de l'appétit qu'elle fait fondre la graisse
de concupiscence. De fait, c'est alors qu'il n'y a
chose à quoy elle ne se hazarde, en ce ressem-
blant à la perdrix, qui, ayant la teste couverte,
pense qu'on ne la sçauroit descouvrir. De mesmes,
parce qu'elle a les yeux ensablez de sommeil, il
luy semble advis que le reste du corps ne luy
paroist, qu'on ne l'apperçoit, qu'elle peut rafîer
à couvert, qu'il n'y a aucun qui l'esclaire. De là
vient qu'elle pera toute honte et vergoigne.
Ce sont discours philosophiques, et qui peu-
vent estre vérifiez assez aisément par l'espreuve
trop ordinaire. Je ne vous veux point mener es
landes et guerets du paganisme : visitez le bon
père Loth, et vous verrez si nos affections dor-
ment lorsque le corps sommeille. Moyse raconte
au XIX. chap. de Genèse qu'après la retraite que
Loth fît lors de la destruction de Sodome et Go-
morrhe, il monta de Segor, et habita en la mon-
taigne et ses deux filles avec luy dans une ca-
verne. Là, l'aisnée dit à la plus jeune : « Nostre
père est ancien, et s'il n'y a aucun en la terre
pour entrer à nous selon la coustume de toute la
terre. Vien, et baillons du vin à boire à nostre
père et couchons avec luy, afin que nous conser-
vions semence de luy. » Ce qui fut fait, et l'aisnée
vint et coucha avec son père sans que le bon
homme l'apperceut ou la sentit quand elle se
DU VEILLER ET DU DORMIR. 5l
coucha ny quand elle se leva. Le lendemain, la
puisnée passa par telle espreuve avec les mesmes
circonstances; ainsi elles conceurent toutes deux,
et l'aisnée enfanta un fils, qui eut à nom Moab,
et la plus jeune aussi un fils, qui fut appelle Ben-
ami.
Histoire tres-veritable, et qui ne peut estre
contrerolée, laquelle monstre à l'œil que l'opéra-
tion generative ne sommeille point en nous du-
rant nostre dormir. Par ainsi vous avez beau
phantasier tous les repos qu'il vous plaira atta-
cher au sommeil, c'est une monnoye qui ne se
prend par deçà, et pourroit, paraventure, ^ervir
aux gens delà l'eau, et à laquelle je treuve autant
de nez comme à ces rencontreurs qui veulent re-
présenter le sommeil en façon d'un garson qui
endort un lyon; vous voyez que sa furie n'est
point abbatue, qu'il rugit, qu'il fait de terribles
mesnages.
— Par le sang d'une petite puce (va dire le
S^ Patelin), c'est dommage que vous n'avez nom
Jocrisse; je croy qu'il vous feroit fort bon veoir
mener les poules pisser; donnez luy une serviette
pour se torcher; il a manié de l'empois, ses
doigts en sont engluez. Aga, frare Piarre, hé Jo-
belin bridé, il craint de dormir de peur de pisser
au lict. Tel le mouille qui n'y pisse pas : quelquess
fois les petits enfans y suent aussi bien que le-
52 DU VEILLER ET DU DORMIR.
grands, et puis hazard sur les balais. Mais, quand
j'y pense, vous estes grand clerc jusqu'aux dents :
vous philosophez à la martingale, avec vos distil-
lations et fontes de graisse alambiquées. Me vou-
lez vous croire, ne resveillez le chat qui dort, il
a des ongles et des griffes. Et, quant à Loth, je
suis bien d'advis que vous le laissiez là où il est,
car où voudriez insister d'avantage, en un besoin
je vous payeroie de la mesme response, qui est
donnée par le seigneur Theodate en la neufiesme
Matinée, et vous remettroie entre les mains de
ceux qui ont à vuider de telles diffîcultez théolo-
gales.
— Permettez moy, va dire l'Esveillé, faisant
une pirouette à demie gambette pour se desen-
dormir le pied, que je débande un peu au resveil
de l'Aurore, et que je spécifie les commoditez
que nous apporte le réveil. D'une mesme fron-
delée je feray deux coups : je donneray sur le cap
des dormans, endormis ou endormies, et feray
renaistre l'aube dorée du veiller.
Tous ceux qui ont les yeux en la teste (je n'es-
time pas qu'il y ait aucun qui les porte aux pieds)
demeurent d'accord avec moy que la veille est la
vraye marque de la vie. Si bien que, quand il n'y
auroit que ce seul article en gênerai, voila le
veiller en règne, mon procès est gaigné : senten-
ciez, juge; il me semble que j'ay soubre de
DU VEILLER ET DU DORMIR. 53
droict. Partant je conclus qu'il ne faut dormir
l'apresdisnée.
Pour parvenir à ces fins, j'ay sur tout à prouver
deux articles : le premier est que la veille est h
marque de nostre vie; l'autre, que, s'il y a temps
auquel nous devions nous remuer, c'est l'apres-
disnée, besoigner, travailler et m swmma monstrer
par les opérations que nostre teste n'est pas cuite,
que nos mains ne sont ternies, que nos pieds ne
sont engourdis, et finalement que nous vivons.
A la besoigne on recognoist l'ouvrier; ça, que je
m'escrime.
Entre ceux qui ont le los d'avoir le mieux ren-
contré pour la philosophie et théologie scolas-
tique lors qu'il a esté question de tomber sur le
commencement de l'estre qu'eutl'homme, unavoce
dicentes, ont tenu qu'il est plus vray semblable
que le premier homme ne commença point à
vivre par le dormir. Ce qu'ils preuvent par des
considérations fort charnues et qui ont autre
chose que la peau. En voicy quelques unes : la
première, que d'autant que la femme est plus à
rabaisser que n'est l'homme, de tant l'auteur de
Nature a voulu que l'estre de l'une et de l'autre
prist source toute différente. La femme fut tirée
de la coste d'Adam pendant qu'il dormoit : aliud
in Adam. La seconde, que les naturalistes ont
observé que le change continuel qui se fait de la
54 DU VEILLER ET DU DORMIR.
substance plus grossière au suc, et du suc au sang,
et encor de luy en esprits, lesquels animent tous
nos sens, est la vraye et première action de la vie.
Et, comme il ne se peut faire que le feu n'agisse
sur l'humide, aussi est il impossible que la vie
soit sans mouvement : car aussi ces trois mots :
vie, mouvement et action, sont presqu'une mesme
chose.
— Quand je vous entens ruer si gaîîamment
sur la subtilité (respond le S'" Patelin, refroignant
et haussant ses sourcils), je me mescrois de l'opi-
nion que j'ay de vous en moymesme, et me semble
que, si estiez un peu plus grand seigneur que
vous n'estes, vous estes taillé pour vous faire en-
tendre que Salomon ne mérita point plus estre
visité par la royne de Saba pour sa grande sa-
pience que vous pour vos perfections philoso-
phiques. Gardez de revenir au reconte, et que,
contant sans vostre hoste, ne faille que contiez
deux fois. Vous voulez trancher si fort du doc-
teur subtil que vous y perdez vostre latin : vos
subtilitez sont si minses qu'elles se subtilisent en
chose de moindre existence que n'est le vent.
Sur quoy est ce que vous fondez la diversité de
la forme dormie ou esveillée en la création de
l'homme et de la femme : la Terre, de laquelle
l'homme fut patronné, veilloit. Pauvre homme,
vous n'entendez les Escritures, aussi ce n'est ma-
DU VEILLER ET DU DORMIR 55
tiere de vostre cabale. Venons à Tautre, qui tend
à monstrer que la vie est en perpétuelle action,
qui le vous nie? Cela a este vuidé cy dessus.
Toutesfois, afin que je vous face sentir que j'en
parle comme il faut, je veux bien m'en ouvrir
d'avantage et recognoistre que ce qui se meut en
nous est maintefois tout divers, et, en un mot,
qu'il y a deux sortes de veilles, l'une quand tout
est en action, et l'autre lors que l'une des deux
parties seulement se meut; de sorte que l'action,
que vous phantasiez en la vie, ne fait aucun tort
au sommeil, puis que, durant le dormir, nos ope-
rations vivent. Immo dor miens etiam septem con-
gios Pyrenœos agit. Jamais nous ne sommes en
repos, sinon lors que l'ame ne nous bat plus au
corps. Ce n'est point le discours que je veux
mettre en jeu, je quitte les functions de nostre
ame raisonnable, les bestes mesmes dormans sont
en action, quœ plus minusve recepit. Je le con-
fesse; mais aussi, si la quantité ou la qualité fai-
soit tort à la substance, ce seroit à dire que l'ac-
cident destruiroit celle qui luy donne estre. Je
crois qu'il vous sembloit que nous n'avions mangé
de la philosophie, j'en cracheray gros, si je veux,
comme tous les reaffles de l'an. Advisez à esclair-
cir l'autre chef de vostre preuve.
— Çà, çà, j'en suis content (va dire le seigneur
l'Esveillé); vous ne pouvez me mettre en ny que
56 DU VEILLER ET DU DORMIR.
la vie, laquelle est bien reiglée, doit tenir cest
ordre, que le matin soit consacré sur tout à
prières et oraisons : alors l'esprit est plus libre,
moins esbloûy et captivé. C'est au matin qu'il
faut vaquer aux choses sainctes : sacra jejune per-
aguntur. Si vous pouvez nous persuader que
l'homme peut vivre sans faire aucune chose, ah!
saincte Dame! je seroie au bout de mon rolet;
mais aussi par mesmes moyen faudroit que vous
nous fissiez prenùre à tretous la qualité de moynes :
desecularisez nous, vous le ferez? vous ne pou-
vez. Pourquoy donc empescherez vous que nous
ne veillions après disner? Ou il nous faut travail-
ler, ou mourir de faim, ou estre moynes, choi-
sissez l'un de ces trois. Et que me direz vous là
dessus?
— Plus que vous ne pensez, respond le S'" Pa-
tehn. Quel homme estes vous? Je dis qu'il ne
sera point besoin de despouiller nostre semlante,
et si ne lairrons à jouer bragardement à la ronfle
l'apresdisnée. Combien de centaines de millions
de personnes se contentent de s'acquitter de gros
en gros du service qui est deu à Dieu, qui pensent
faire beaucoup et tenir Dieu en reste, s'ils se
mettent à solemniser le dimanche. Soit, je veux
que tous les jours nous soyons tendus à nostre
devoir, pour cela sera il question d'employer
toute la matinée à prières? Brevis oratio pénétrât
DU VEILLER ET DU DORMIR. Sy
cœlos : il n'y a dévotion qui ne se perde à la
longue. On peut bien servir Dieu et travailler en-
cores cinq et six heures devant disner. Pourquoy
donc nous menassez vous de nous rendre moynes ?
Mais, je vous prie, qu'on examine un peu quel
fonds il y a en vostre illation : vous nous voulez
deseculariser, parce que vous entendez que ceux
qui sont vouez au service sacré ne font autre
chose que prier Dieu. En ce vous vous abusez
bien lourdement, tesmoin les prestres de vostre
pays, qui vous labourent bragardementles champs.
Plusieurs moynes qui le matin font bien autre
chose que prier Dieu : ceux qui composent des
livres vaquent ils aux prières tousjours.? Direz
vous que Baptiste Mantouan n'ait esté habile
homme, qu'il n'ait fait aucune chose? Ses œuvres
le nous tesmoignent treslaborieux, etneantmoins
il estoit carme. Jugez ainsi d'une infinité d'autres,
qui ont tresbien recogneu que Testât d'un reli-
gieux s'estendoit bien d'avantage et plus loin
qu'à fueilleter son bréviaire et dire son olfice seu-
lement. Et ainsi, de toutes les façons que vous
voudrez le prendre, tousjours nous pourrons tra-
vailler le matin, avec l'exercice du devoir de
pieté que tout fidèle chrestien doit rendre à la
majesté divine.
Si ne vous veux je laisser en si beau chemin :
car je veux passer bien plus outre, et vous mons-
8
58 DU VEILLER ET DU DORMIR.
trer qu'ayans besoigné le matin, nostre journée
est faite, de sorte qu'il nous est loisible de dor-
mir l'apresdisnée, principalement es endroits où
elle se reigle au my jour. Ne pensez point que
ce soit une coustume mise en pratique par quel-
ques sots qui soient mariez au village, le droict
nous y fait voye. Vous avez ce beau et segnalé
texte en la loy : Medicus 26, ff. de operis liberto-
rum. Là, le jurisconsulte Alphenus nous propose
un fait de fort gcntile grâce, c'est d'un médecin,
lequel, estant frappé au coin de ses compai-
gnons, ne prenoit plaisir qu'à gaigner et faire
valoir ses drogueries. Ce monsieur le médecin
avoit quelques affranchis, lesquels s'entremenoient
de regarder ses recipé et secourir les malades par
quelque façon qui ne sentoit gueres bon à ce
maistre patron, lequel s'imagina une caprice mu-
lesque, que sachalandise pourroit decroistre, si le
monde voyoit que ces affranchis pouvoient aussi
bien penser les malades que leur patron, ou qu'on
diroit que, puis que c'estoit une médecine de
valet, qu'il ne falloit que testonner à demy : qui
eut esté une dysenterie tresdangereuse. Que fait
ce grippe-gain? Pour abbaisser les cornes à ses
affranchis, il tend à ce que, pour le service qu'ils
luy dévoient, ils eussent à le suivre lors qu'il iroit
en pratique : de mesmes que vous voyez à Paris
et ailleurs suivre les mules et les mulets, à qui,
/
DU VEILLER ET DU DORMIR. 5()
devinez. Il fut question de sçavoir si c'estoit la
raison. Voicy que respond Alphenus, que ce
messer le pouvoit, dummodo libérales opéras ah
eis exigerety hoc est ut adquiescere eos meridiano
tempore et valetudinis et honestatis sux rationem
hahere sineret : qui est à dire que monsieur le pa-
tron pouvoit avoir ceste queue de ses affranchis,
moyennant qu'il leur permît de reposer sur le
midy; si bien qu'encores que l'avarice du méde-
cin fust telle que, pour attraper l'escu, il ne se
soucia de perdre le repos du midy, ses affranchis
ne dévoient porter la peine de l'avarice qui brus-
loit cest insatiable.
Conformément à cecy, le jurisconsulte Pom-
ponius, /. 2, ff, de annuis kg,, nous apprend que
celuy qui estoit tenu et astraint à donner à un
autre la corvée ou la besoigne que son esclave
eût peu faire par un jour, s'il ne l'a envoyé à la
tasche du grand matin, ains à la sixiesme heure
du jour, qui est nostre midy (juxta illud Evange-
lii : nonne sunt duodecim horœ diei?)^ pourtant il
n'est acquitté et deschargé de son obligation; et,
pource, voicy le département du jour que fait
Marcial au 8 epigramme de son quatriesme livre :
Prima salutantes atque altéra continet hora ;
Exercet raucos teriia causidicos;
In quinta varias exercet Koma labores;
Sexta quies (assis, septima finis erit.
6o DU VEILLER ET DU DORMIR.
Comme s'il nous eût voulu apprendre que les
Romains employoient la matinée de ceste façon :
c'est que de sept jusques à neuf ils s'entresaluoient
et se donnoient (ce dit ly contes) le bondi,
signor; de neuf jusqu'à dix, on plaidoit à l'au-
dience; de dix jusqu'à onze, les uns prenoient la
pourmenade, les autres achetoient de l'appétit au
jeu, les autres s'exerçoient en autres façons; de-
puis onze heures, on se retiroit pour disner;
après, on vous reposoit bravement son humanité.
Et de hait, garson.
— Et quoy! Messieurs, vay je dire, ne sera ce
jamais fait? Je croy que qui ne vous diroit hola,
ne vous deparceleriez de toute ceste relevée.
Voulez vous que je vous accorde? Vous dites
tous deux vray, mais c'est avec distinction. Il y a
des naturels d'hommes qui se treuvent bien de
dormir l'apresdisner, la complexion des autres ne
le peut porter. Ce que vous avez proposé, sei-
gneur Patelin, servira aux supposts du seigneur
Gaulard, encores qu'il ne daigne se resveiller aux
fraisches matinées. Et vous, mon Esveillé, vous
avez plaidé pour moy et tous ceux qui se treuvent
indisposez du dormir l'apresdisner. Je ne suis
point de ceux qui voudroient tirer ceste dispute
plus en longueur, ny d'ailleurs asseoir un juge-
ment pour en faire et bastir une determinaison
en forme d'arrest : si est ce que, si mon advis est
DU VEILLER ET DU DORMIR. 6l
suivy pour le coup, seigneur l'Esveillé, vous
l'emporterez. Pour le présent, je ne veux em-
ployer des raisons et argumens, mais je vous
diray, mon bon maistre monsieur Patelin, que
vous estes fort mal fondé, je ne dy point pour
raison de la subtilité persuasive, sed ratione loci
et temporis. Vous sçavez que l'entrée de ces con-
férences n'a esté que sous le commun accord de
toute la compaignie, qui unanimement a consenty,
décrété et ordonné qu'on emploieroit des apres-
disnées à ces passetemps philosophiques. S'il fal-
loit dormir, il n'y auroit que de la ronfle. Du
commencement je vous en eusse adverty, mais je
me suis pensé que, veu la qualité et rang que je
tiens à présent en ceste assemblée, cela eût esté
trouvé d'un peu mauvaise grâce et assez difficile
digestion; mesmement qu'à la première ouver-
ture je tendois au resserrement.
APRESDISNÊE IL
DU MARIAGE.
S'il vaut mieux nestre marié que de l'estre.
u lieu que les champions de nostre
première apresdisnée disputoient des
privilèges, droits et prérogatives des
vénérables dormans, ceste seconde
apresdisnée resveilla toute nostre compaignie
d'une bien autre façon. Le S^ Rodolphe com-
mence à ouvrir le jeu sans y penser : le bon
homme y alloit mieux à la bonne foy qu'un cou-
peur de bourse. Il vous accoste leS^ Panthaleon,
qui estoit Pun des fins marchans de la bande, et
qui, avant que quitter la partie, nous en donna
de bien vertes. Dés qu'ils ont esventé que le
pauvre S"^ Rodolphe parloit de prendre party
avec une fille :
« Messieurs, dit-il, gaigne sa vie qui pourra;
voicy ce bon seigneur qui se va au premier jour
64 DU MARIAGE.
passer maistre potier; il va faire emploite d'une
bonne bague qui luy donnera bien tost langue et
crédit en Cornoûailles. Et, afin que vous co-
gnoissiez que je ne vous chante que la vérité, je
vous prie, que luymesmes face le discours de ses
desseins à l'assemblée. A peine de l'amende,
vous me direz que j'ay bon nez, et que c'est
dommage que je ne suis fleuron ou chien de
chasse, de loin je sentiroye bien où seroit le
gibier. »
Si ce bon marchand de Panthaleon avoit bonne
envie que Rodolphe estalast dequoy pour nous
employer à rire ceste apresdisnée, la queue, au
moins la langue fretilloit à Rodolphe, qui bele-
toit d'aise qu'il avoit en soymesmes de s'estre peu
imprimer dans son imaginative l'idée nociere. Et
pource, si tost qu'il vit que l'on ne disoit mot :
(( Messieurs, va il dire, ce me seroit folie et
mescognoissance, mais encores plus mal séant, si
je vous tenoie couvert et caché le grand heur qui
resjouit l'intérieur de mon ame de ce que j'ay
peu donner jusques au parc de mariage, au moins
j'y guigne fort. On me dit que ce n'est marché
de chevaux, et qu'assez viste j'auray loisir de
bander au repentir. Je vous cognois, mes amis,
je vous fais voir dans le cabinet de mon ame.
Voyez, n'y ay je pas une perle nociere.? Si elle
m'est proffitable, vous me congratulerez; si elle
DU MARIAGE. 65
m'est contraire, faudra que vous m'aidiez à m'en
dessaisir. Je vous prie, qu'on ne me rue des pan-
tagruelismes panurgiques à la Rabelesque, cela
ne serviroit qu'à empirer ma douleur, et, en tout
cas, on diroit de nous que nous pratiquerions le
proverbe, qu'après bon vin bon roussin; qu'après
estre bien saouls et avoir la panse bien pleine,
nous cracherions de gros mots de gueule à tuer
chien.
— Vous avez raison, lui vay je respondre, Sei-
gneur Rodolphe, et ne pouvons que vostre re-
queste ne vous soit entérinée ; vous estes un hon-
neste homme, et qui aimez vostre honneur. Si-
j'estoie grand docteur, je m'offriroie à vous don-
ner quelque bon conseil sur ceste vostre entre-
prise, mais deux occasions m'en empeschent
principalement : la première est que je ne suis
légiste, je suis jeune, mal rompu aux affaires, et
si je ne cognois celle à laquelle voudriez don-
ner; l'autre que, quoy que je soie nouveau au
monde, je me souviens avoir ouy dire à l'oncle
de monsieur le Prévost que, pour s'estre trouvé
durant sa vie en plus de dix mil traictez et festins
nociers, il ne pourra estre dit que jamais il ait
conseillé ou dissuadé à aucun de se marier. La
raison, disoit il, estoit que, si ceux qui eussent
pris son advis s'en fussent trouvé mal, il n'y a
point tant de minutes d'heures en un an qu'il eut
66 DU MARIAGE.
receu de maudissons par jour; que, si quelques
fois il eut bien rencontré, on l'eut voulu faire ma-
quignon à tous propos; et quelquesfois, ou il
eut servy de quelque mauvaise monture rosse et
de pauvre affaire, ou le piqueur qu'il eut baillé,
parce qu'il n'eut esté entendu au mestier, il eut
foulé son traquenart, et, qui pis est, il se fut
gasté luy mesmes. « Pource, me disoit il, mon
amy, lors qu'on me demandoit mon opinion d'un
mariage, jamais je ne disoie mot, ains ne faisoie
que bransler la teste. Que si le mariage ne ve-
noit à point : « Je te l'avoie bien prédit, respon-
doie je; s'il estoit heureux: )) « Un tel (disoit on)
ne l'a aussi empesché. » J'aime mieux pécher en
omission qu'en commission; mais je vous diray :
voila Le seigneur Panthaleon, qui est docteur de
quandoque, allas in utroque, hardy au possible,
ne craignez pas qu'il ne vous puisse donner quel-
que bon conseil; il le fera pour l'amour de la
compaignie, quoy que ce soit contre sa coustume
de faire des consultations seiches. Ce sera à faire
à luy remonstrer que ce sera pour enfler ses tomes
de conseils. »
Nostre maistre Panthaleon ne demandoit pas
meilleur pain.
« Or ça, mon amy (parlant à Rodolphe), j'ay
bien pris vostre fait, vous parlez de vous marier;
nous avons icy messer Alexandre ; il faut qu'en
DU MARIAGE. 67
vostre présence nous en communiquions par en-
semble par manière de devis.
Et bien, Monsieur, sur le champ va il dire au
docteur Alexandre, voicy le seigneur Rodolphe,
qui n'est pas en petite peine : vous avez peu en-
tendre que c'est qu'il a, je vous le deduiray en
deux mots : Questio juris est, non facti. Depuis
quelque temps, il a pris fantaisie de se mettre en
mesnage, uno verbo, de se marier; mais, avant
qu'entrer en tel train, il desireroit que nous luy
apprissions s'il y fait seur pour luy, et s'il s'en
treuvera bien. Je cognois le seigneur Rodolphe
il y a long temps : il a la teste assez prés du bon-
net, qui me fait croire que malaisément il se com-
portera avec une femme, de sorte que je ne seroie
point de ceux qui le voudroient pousser à se ma-
rier. Or, voicy les moyens que je me donne par
la cervelle : le premier que, s'il y a personne qui
ait l'aureille prime, la teste verte et l'œil au bois,
c'est le seigneur Rodolphe; il est frappé au coin
de ses père et mère. Contons, je vous prie, par
escot, et vous verrez que je ne me mesconte pas.
Le seigneur Rodolphe mourroit, ou il faudroit
qu'elle mourut, si elle le faisoit bélier. La femme
est taquine et avaricieuse, et il veut estre hon-
neste homme ; la femme ne demande que du bruit,
et il ne cherche que la paix. Le voila donc tombé
en desespoir, s'il n'y a que vous qui l'advisiez,
68 DU MARIAGE.
OU bien il pourra gentiment et beau se confiner
en un bel hermitage. »
Va respondre messer Alexandre : « Ne préci-
pitons pas les affaires, vous chargez fort les
pauvres femmes. Allez hardiment à pied : si vous
faites si pauvre chère aux montures, ne pensez
pas que par après en trouviez. Et bien, s'il y a eu
quelques femmes mal advisées, vous inférerez
que toutes les autres femmes ne vallent rien. C'est
syllogiser in barbara celarent, à la coquarde. Une
harondelle ne fait pas, dit on, l'esté, et neant-
moins, parce qu'il y en a eu (à ce que tenez) qui
n'ont pas tousjours dormy, vous tascherez à nous
faire entendre que la meilleure du reste n'a valu
un niquet. Demeurez là et ne vous bougez, et
vous verrez que n'estes si avant de la partie que
vous présumez.
— Ne pensez point que ma proposition géné-
rale (réplique, à demy refrongné, le seigneur
Panthaleon) soit si crue et maigre que vous la
fantastiquez; je tiens que c'est grandissime mer-
veille s'il se treuve une seule femme honneste, et
vous tenez qu'elles sont toutes plus qu'elles ne
sont. Escoutez ce que nostre bon père Accurse
nous apprend. En la loy Exhis, ff. de legib., quel
exemple est ce qu'il produit pour monstrer que
l'on ne bastit des loix pour les choses qui sont
rares, ne prend il pas les bonnes femmes, « des-
DU MARIAGE. 69
quelles, dit il, n'est ja besoin que l'on ordonne
quelque sanction, c'est une chose rare et contre
leur naturel. » Ce que luy mesmes a tresbien
recogneu sur la loy 2. C. De lis qui ven. et imp,,
lors qu'il baille ceste raison, pourquoy les femmes
sont plustost receuës au bénéfice de l'aage que
les masles, que c'est pourautant que la mauvaise
herbe croist soudainement. Il y a eu d'autres de
nos docteurs lesquels ont bien passé plus outre,
lors qu'ils ont escrit que la femme n'avoit natu-
rellement aucune bonté et probité, que, si elle
luy survenoit, c'estoit un surcroist outre-naturel
et miraculeux. Si ainsi est, vous n'avez occasion
de dire que mon illation est trop prompte et gé-
nérale d'un particulier. Au contraire, c'est miracle
si toutes ne sont vicieuses et pires que je ne les
vous ay depeinct. Nous pouvons argumenter des
choses qui sont coustumieres, et qui le plus sou-
vent sont pratiquées. Vous ne pouvez sine nefario
scelere retrancher quelque point de l'autorité
qu'Accurse a entre ceux de nostre robe; moins
pourriez vous alléguer que le bon homme fut
mal mené de sa femme : cela seroit jouer au de-
viner contre ce qui nous est tesmoigné par nos
mémoires, et si encores ne gaigneriez vous rien,
puis que, quand il auroit esté mal en femme, si
n'estoit il si indiscret que, pour marteler la mau-
vaise teste de la sienne, il se mit à mesdire et
7Ô DU MARIAGE.
detracter de tout le reste du sexe. Il estoit trop
bien appris. Vous luy feriez à ce compte moins
d'honneur qu'à Socrates, lequel, pour avoir esté
endosé de la plus despite femme que la terre
porta onques, ne prit fantasie de mesparler de sa
mauvaise Xantippe.
— Voire mais, à vostre advis, respond messer
Alexandre, combien trouve on de Socrates à la
douzaine? Comme Xantippe estoit la plus mau-
vaise femme qu'on eut sceu voir de deux yeux,
Socrates estoit si froid et patient que ses amis se
cheuretoient plustost de voir les indignitez de
ceste diablesse que ce pauvre philosophe donna
mine qu^il sentit avoir receu quelque coup. Et,
parce que Socrates avoit la chair dure, qu'il avoit
bon dos, qu'il portoit tout, vous nous voudrez,
ne ferez pas.? faire croire que tous les maris sont
de mesmes. Je ne veux point aller en Italie,
Espaigne ou Alemaigne; sans bouger de vostre
Cartier, vous cognoissez nostre capitaine du logis :
sans aller à la Morée, on le trouvera assez; con-
tremirez le avec Socrates, vous trouverez qu'il y
a bien à redire. Sa femme, je le recognois, luy a
joué de tresmauvais tours, n'a pas esté à sa vie
qu'elle ne luy ait tendu des embusches; mais de
s'en-aigrir de la façon qu'il fait contre les femmes,
les tenir ainsi sur les rangs, qu'en voudriez vous
dire ? Vous sçavez les exécrations qu'il marmonne
DU MARIAGE. 7I
tous les jours contre elles, les belles injures dont
il les vous coiffe, et que pour ceste occasion il a
perdu la grâce de nostre bonne dame. Il a pour
le moins soixante dix ans sur la teste : c'est à
ceste heure que, si jamais il a peu l'estre, qu'il
doit estre sage, et neantmoins vous voyez que le
tort qu'il a receu de sa Perigourdine l'a mis en
telle altère qu'il ne vous sçauroit dire deux mots
d'une femme qu'il ne la vous représente comme
une vilaine, meschante, malheureuse, caron-
gne, etc.
— Mais pourquoy (répliqua le seigneur Pan-
thaleon) mettrons nous plustost Accurse de la
compaignie de ce mauvais homme de capitaine
que du rang de Socrates? Tous deux ils estoient
gens lettrez et philosophes, et vous voulez faire
sympathiser l'humeur d'un guerrier avec celle
d'un docteur juriste: je seroie d'avis que vous fis-
siez monter ce capitaine en chaire; mais ils sont
tous trois cassez et hors de cartier, mesmes notre
capitaine ne pose plus de sentinelles, si ce n'est
au coin d'une cuisine et auprès d'une bouteille.
Je ne diray pas qu'il radotte; mais vous sçavez
que le malheur de la guerre est tel que ceux qui
l'ont hanté, et qui sur tout y ont eu commande-
ment, estiment que ceux ausquels ils ont affaire
soient leurs gouges, goujats et telle fretaille. Les
femmes ne veulent perdre leur rang : si ce capi-
72 DU MARIAGE.
taine a la cervelle faite à l'estuvée, sa femme Ta
à la composte. Or, pour vous oster d'opinion
qu'Accurse ait esté poussé par quelque sinistre
affection à coucher par escrit ce que je vous ay
allégué touchant la mauvaistié des femmes, je
suis bien contant, moyennant que la compaignie
ne le trouve pas mauvais, de seconder son dire
de l'autorité de plusieurs autres grans person-
nages. Le divin Homère, au deuxiesme de son
Odyssée, introduit Agamemnon, lequel, parlant
de la femme, dit que l'on ne sçauroit imaginer
chose plus ennuieuse et meschante que la femme,
suivant le proverbe tiré du poète Menandre, que
la mauvaise femme est le trésor de tous les maux,
et que là où sont les femmes, les maux ne les
abandonnent non plus que les puces font les
chiens. Euripide en sa Medée, et le tragique Se-
neque en son HippoUte, nous apprennent que les
femmes ne sçavent que c'est de faire bien; mais
de brasser quelque meschant tour, elles y sont
tres-experimentées.
— Faites moy une amitié, seigneur Pantha-
leon, va dire messer Alexandre, de ne me ramen-
tevoir les tesmoignages de ces poètes, car, afin
que je ne vous cache point ce qui en est, je n'en
tiens point grand conte. Ils ont leur langue trop
satyrisée. Sur tout vous me faites icy parade d'un
fort brave homme qu'Euripide, je dy pour le
DU MARIAGE. 78
fait de question, comme si vous estiez à sçavoir
que Aule Gelie, au quinziesme livre de ses Nuicts
attiques^ chap. 20, escrit qu'il a esté de tout
temps fort enverré contre les femmes, soit que
son farrouche naturel l'estrangea de la compai-
gnie des femmes, soit que de despit qu'il eut
d'avoir espousé deux femmes, suivant l'ordon-
nance du Sénat d'Athènes, ausquelles il ne pou-
voit fournir, il se soit mis à hayr les femmes si
fort qu'il n'a peu qu'il ne se soit contredit à soy-
mesmes. En son Andromache, il tient que ce
n'est chose honneste qu'un homme ait la charge
et gouvernement de deux femmes; et neantmoins,
au rapport de Stobée, il se plaind des loix no-
cieres, de ce qu'elles ne sont bien establies, parce
que, pour bien-heurer un homme, il faudroit
qu'il eut plusieurs femmes, moyennant qu'il eut
moyen de les nourrir et entretenir.
— Vous seriez bien aise, messer Alexandre,
pour cet incident estourdir la matière (répliqua le
seigneur Panthaleon), et, sous prétexte d'entrer
en reproches et debatre le tesmoignage d'Euri-
pides, m'empescher de donner l'atteinte vive que
j'ay desja commencé sur la mauvaise corne des
femmes: vous verrez que vous ne ferez pas ce que
pensez. Puis que n'en voulez qu'à Euripide, je
vay sauver son tesmoignage, après je vous re-
trouveray bien. La contradiction que présupposez
74 DU MARIAGE.
n'est pas mal-aisée à rabattre. De fait, Euripide
tenoit que c'estoit un bien grand mal qu'un
mary eut deux couches, deux femmes et deux
atteliers. C'estoit bien assez qu'il fut tendu à une
besoigne; mais, puis que le décret du Sénat fai-
soit voie à ceste double charge, il croyoit qu'il
falloit plier le col. Toutesfois, pour soulager
l'ennuy, la fatigue et l'oppresse, qui sucçoit la
moelle du corps des plus avigouris, il donne un
remède qui n'est point impertinent : c'est que
l'on ait deux femmes, afin que l'on choisisse celle
qui sera la moins mauvaise pour se jouer avec
elle, et qu'on laisse là l'autre : si bien qu'encores
que, si ses souhaits avoient lieu et que son opi-
nion tint le rang de loy, chasque homme ne deut
avoir que sa chascune, toutesfois, puis que le
décret public introduisoit le couple de l'accouple
féminine pour le masle, il estimoit le mary heu-
reux qui, obéissant à la loy, forçoit mesmes sa
nature, mesprisoit ses aises, et fouloit aux pieds
le soin qu'il devoit avoir de sa famille, laquelle
ne pouvoit estre qu'en garbuges, quereles et
noises. Vous tenez qu'il a espousé deux femmes
ensemblemeni, je vous advertis qu'il a bien esté
mary de deux femmes, mais c'a esté l'une après
l'autre (ainsi que le remarque le scholiaste Mos-
chopule), de mesmes que le fut nostre Socrates,
lequel en premières noces eut à femme Myrtone,
DU MARIAGE. j5
fille d*Aristides, surnommé le Juste, laquelle ne
luy apporta aucun douaire et de laquelle il eut
deux fils, à sçavoir Sophronisque et Menexene.
En secondes noces, il frappa à ceste fausse pièce
de Xantippe. Pour Tinimitié que vous imposez à
Euripide contre le sexe femenin, je la pourroie
vous mettre en ny tout à plat, attendu que je
treuve qu'Athénée nous le rend fenin et fort
affoulé de l'amour des femmes; mais je feroie
entrebattre Athénée avec Suidas et Aule Celle :
j'aime mieux emploier la response que fit So-
phocles à un certain personnage, qui luy propo-
soit le mesmes d'Euripide que vous m'avez fait,
qu'il hayoit à mort les femmes, (c En ses tragé-
dies, respondit il, il leur porte véritablement
quelque dent, pource que les femmes ne sont
tousjours de mesmes qu'au lict, » qui estoit au-
tant que si, en bon françois, il eut dit qu'Euri-
pide estoit fort mal édifié des mauvaistiez et hu-
meurs dépravées de la femme, encores qu'il prit
plaisir à les hanter et familiariser ; ou bien nous
pourrons icy emploier la response que fit le poète
Philoxene à ceux qui trouvoient mauvais que
Sophocles eut prisé les femmes, et que luy les
délava d'une terrible façon. « Sophocles, dit-il,
a représenté les femmes telles qu'elles devroient
apparoir, et je les fais voir selon qu'elles se com-
portent. » Voila Euripide qui est à couvert; re-
76 DU MARIAGE.
venons à nos moutons. Vous vous plaignez de
ce que je vous mets en butte les poètes ; puis
qu'ils ne vous agréent, il faut que je vous serve
d'autres mets. Entre les Epistres de S. Hierosme,
il y en a une de Valeriùs à Ruffin, où il met que
la bonne femme est aussi rare que le Phœnix, et
que les essaims des mauvaises sont si pleins et
fertiles que tout le monde est brouté et essourdé
du bourdon de ces guespes. A ce doit estre rap-
portée la response qui fut faite à un qui estoit
sur les termes de faire le sot (je veux dire saut),
ainsi que le seigneur Rodolphe, mais ilnesçavoit
qui luy seroit plus propre, ou une pucelle, ou
une vefve. On luy dit : E malis multis quod mi-
nimum est, id minimum malum est. Qui potest
mulieres vitare vitet, ut quotidie pridie caveat ne
faciat quod pigeât postridie. Diogenes le cynique,
ayant veu deux femmes qui se saccottoient aux
aureilles, « voila, dit-il, un aspic qui emprunte
du venin de la vipère. » Le Sage, en VEcclesias-
tique, chap. 25, tient que la malice de la femme
est plus dangereuse que la poison de la couleuvre
et du dragon. Salomon, en VEcclesiaste, ch. 7,
escrit qu'il a trouvé entre mil un homme de bien,
mais n'a sceu en trouver une bonne entre toutes
les femmes. Et sainct Hierosme escrit que la
femme est le chef de tous maux, qu'en la saincte
Escriture le diable et la pluspart de ses allèche-
DU MARIAGE.
77
mens nous sont représentez et remarquez par la
femme. Partant Aristippe n'avoit pas mauvaise
raison de dire, lors qu'on luy reprochoit de ce
qu'il avoit donné pour femme sa fille à son en-
nemy : « Que pouvoie je lui donner de pis pour
bien le tourmenter et le mettre en affaires? » Icy
je ne vous veux ramentevoir les plaintes qui sont
dressées par Tertuliien, Origene et quelques
autres docteurs, sur ce que la femme provoqua
le père des humains à la transgression du com-
mandement sacré, vous me renvoieriez aux feuilles
de figuier; mais voyez de quelles couleurs S. Jean
à la Bouche d'or la vous descrit : a La femme,
qu'est ce autre chose que l'ennemie d'amitié, une
peine inévitable, un m.al nécessaire, une tentation
et espreuve naturelle, une calamité désirable, un
danger domestique, une perte délectable ou dé-
testable, la nature du mal fardée des couleurs du
bien? » En voulez vous une autre description,
laquelle aucuns attribuent à Simonides? « La
femme est le naufrage du mary, la tempeste de la
maison, le destourbier du repos, la captivité de
la vie, le dommage journalier, la bataille volon-
taire, la guerre de grans frais, la beste sauvage
appellée au banquet, un chagrin accroupy, une
lyonne embrassant, une scylle parée, un animal
malicieux. »
— Ce sont là d'estranges qualitez, seigneur
78 DU MARIAGE.
Panthaleon, respondit le docteur Alexandre, les-
quelles auriez bien affaire à vérifier, si vous en
estiez pressé. Toutesfois, puis que ne faites que
les employer d'autruy, faut que je les prenne
pour mesmes prix que vous les avez. Je ne vous
demanderay point pourquoy vous appeliez les
femmes mal nécessaire, parce qu'il y en a en
ceste compaignie qui vous ont relevé de ceste
peine en la Guerre des masles contre les femelles.
Si ne faut il pas que vous m'eschappiez à si bon
marché, et, puis que je ne puis agir alencontre
de vous pour vos qualitez, si faut il, ou que vous
quittiez la partie, ou que vous disiez pourquoy
vous avez avancé que le seigneur Rodolphe ne
pouvoit tendre aux femmes pour ces raisons :
la première, qu'il ne veut porter le bonnet à
simple corne; la seconde, qu'il veut tailler du
grand et magnifique; la troisiesme, qu'il mour-
roit s'il y avoit du brouillis en sa maison, et ainsi
vous voulez dire que les femmes sont tresmal
seures pour la desserre, qu'elles sont avaricieuses,
et qu'elles parsèment un mesnage de quereles. Il
faut le prouver, ou s'en desdire, ou publier qu'on
parle à crédit. Voy! que vous estes eschauffé,
avez vous point aujourdhuy baisé votre Lucrèce?
Ora pro devoto fœmineo sexu. Ne dites mot jus-
ques à ce que vous oyez amen, et vous verrez
beau jeu, si la corde ne rompt.
DU MARIAGE.
79
— Messer Alexandre, va dire le seigneur Pan-
thaleon, vous pensez, ce croy je, que je manque-
ray de preuve, j'en ay à revendre plus que vous
n'en voudrez, mais je veux que vous y touchiez
au doigt, et, s'il est besoin, que mordiez dedans.
Je ne vous serviray que de raisons et d'exemples,
en serez vous pas content?
J'ay dit que les femmes sont de tresdangereuse
garde, sur tout pour la serrure; je ne veux point
icy de tesmoignages des anciens poètes, orateurs
et philosophes; sondons les raisons de ceste infir-
mité : trois me suffiront pour le présent. Sainct
Jean à la Bouche d'or nous donne la première,
parce que ceste convoitise prend sa source de
l'oisiveté : de fait, ceux qui sont incessamment
bandez au travail ne prennent pas le loisir de
jouer à la beste à deux dos. Or, que la femme
soit oisive, sédentaire et emploiée à peu de tra-
vail, cela n'est que par trop évident. La seconde
est, parce que par l'accouple du masle la femelle
reçoit un naturel accomplissement, entant que
la partie naturelle qu'elle a vuide, c'est la ma-
trice, est tousjours béante jusques à ce qu'elle
soit remplie : nature ne se plaist au vuide. La
troisiesme raison est prise des médecins, qui nous
apprennent que ceux lesquels travaillent fort ne
sont point si enclins au mestier que ceux qui sont
lents, posez et retenus : l'expérience nous en est
8o DU MARIAGE.
manifeste en ces grosses mistrouilles qui à leur
mine devroient dévorer cinquante charrettes fer-
rées; elles sont fioettes à l'enclume. Il y a plu-
sieurs autres raisons, mais elles sont si grasses
que je n'ose les faire voir à la compaignie, j'au-
roie peur de luy faire souslever le cœur. Avez
vous oublié ce que Balde escrit In rubric. ext.
de cohab. cleric. et mulier.y que la femme désire
le masle tout ainsi que la matière se comporte à
l'endroit de la forme, et que le fer est attiré par
l'ayman. A vostre advis d'où vient que les ordon-
nances des empereurs punissent par mort le mary
adultère, /. quamvis, C. de adult., et la femme
n'est que recluse en un monastère après avoir eu
le fouet : auth. hodie, sous le mesme titre des
Adidteres? N'est ce pas à cause de leur fragilité
et naturelle inclination? La propre passion de la
femme c'est la convoitise.
— Ce sont brides à veaux que ce que vous
contez, seigneur Panthaleon, répliqua messer
Alexandre, je vous renvoie à la pratique; mais
voyons que vous estes un subtil ergoteur, vous
voulez faire accroire que les femmes prennent
plaisir qu'on bande les estœufs dans leur trou,
parce que les loix ne sont point si rigoureuses
contre elles lors qu'elles le permettent que contre
les maris. Mais je vous respons que tant nos ju-
risconsultes anciens que les empereurs se sont
DU MARIAGE. 8l
fort rudement ruez sur ces pauvres femmes. Que
je die vray, il n'estoit pas permis à la femme, en-
cores qu'elle eut surpris son mary en adultère, de
l'accuser ou de le tuer, voire de le toucher du fin
bout du doigt, ainsi que Caton a remarqué en
son harangue du douaire dans A. Gelle, livre lo,
chap. 2 3, dont le comique Plaute fait plaindre la
pauvre Syra en ceste façon :
Les femmes pour le vray sont bien plus misérables
Que ne sont les maris, lesquels peuvent mener
Leurs garses au logis sans en estre punis :
Les femmes n'oseroient aller se pourmener;
D'avec elles soudain ils seroient des-unis;
Hé Dieux ! que ne sont ils reiglez par loix semblables ?
Pourquoy est ce que la dame qui se sera laissé
sursaillir à son esclave sera grièvement punie, et
le seigneur qui s'accouple à celle qui luy est
esclave, qu'en a il ^ est il recerché ? Ses enfans sont
avantagez de beaucoup, appert par la loy der-
nière C. Com. de manum., et par le 4 chap. de la
nov. 78. Lors que l'empereur Vespasien, dans
Suétone, establit que la dame qui s'estoit accou-
plée à son serf fût esclave, assujetit il le seigneur
à une telle rigueur? Des bayes! La raison de
ceste diversité est proposée par la glose au para-
graphe : Si qua cum servo, 12, q. 2, parce que la
paillardise est plus sale en la femme qu'au mary.
1 1
82 DU MARIAGE.
Mais, puis que ce sont opérations naturelles et
illégitimes, c'estoit bien la raison que la femme,
qui naturellement est poussée à ceste naturalité,
fût plus supportée que le mary, ou que le mary
y baçide plus fort par sa nature. Ce qui m'entre-
tient plus en ceste opinion est que n'est pas au
bon Pétrarque, qui n'en ait voulu dire sa râtelée
aussi bien que les autres. C'est sans doute, dit-il,
que le sexe femenin est plus attenu de garder sa
chasteté que ne sont les masles. En voila de
belles! Qui est plus à reprendre, ou celle qui na-
turellement, selon vostre maxime, estant encline
à faire plaisir, héberge ceux qui pourroient se
morfondre à l'esgout, ou ceux qui se violentent,
par manière de dire, pour tendre au larcin qu'ils
font. Les femmes portent la serrure; naturelle-
ment elles prennent plaisir que leur nature soit
parfaite par le remplissement des parties qu'elles
ont vuides. Les hommes portent la clef : s'ils cro-
chètent la serrure, ne sont ils pas plustost punis-
sables que les femmes? 11 faut que vous me pas-
siez cest article; autrement, si c'estoit un autre
que vous qui voulût tenir la négative, je luy
ferois entendre à deux pieds de son nez qu'il ma-
quignonneroit pour les enfans de la matthe. En
un mot, vous me pourrez payer par ce que j'ay
leu dans la Forest nuptiale et les Matinées de vous,
seigneur de Cholieres, sur la différence qui est
DU MARIAGE. 83
du crime de felonnie et des excès du seigneur au
respect de son vassal : reprenez, je vous prie,
seigneur Panthaleon , vos preuves, le temps me
dure que n'ayez fait, car, si j'ay le loisir, je vous
en donneray de bonnes.
— Je m'en vay, respond le seigneur Pantha-
leon, à ceste heure aux exemples de celles qui
ont esté si safîres d'engouler que j'ay horreur et
frémis lors qu'elles me reviennent devant les yeux.
Combien d'eau eut il fallu pour estaindre le bra-
sier de l'impudique Messaline, femme de l'empe-
reur Claude, lequel, comme il ne la pouvoit as-
souvir, estoit aussi encorné d'une estrange façon,
car elle, prenant l'habit, le nom et la qualité de
la putain Lycisca, presque toutes les nuits s'en
alloit au Huleu et Champ-gaillard des bordele-
ries, et là se prostituoit à tous allans et tous ve-
nans. Voire estoit elle tellement eshontée qu'elle
deffioit à ce choc impudique les plus fortes pu-
tains, qui toute leur vie n'avoient fait que courir
l'aiguillette, lesquelles à tout coup elle acculoit :
voire un jour, au rapport de Pline, elle fît quitter
la partie à une qui avoit le bruit d'estre l'une des
insatiables du pays, et à ceste fois là ne plia point
pour vingt cinq sursaillies d'estalons. La Quar-
tille de Petronius Arbiter se vante que Junon
l'eut advisée de mauvais œil, si elle eut peu se
souvenir d'avoir esté pucelle, car, estant petite
84 DU MARIAGE.
fillette, elle s'accrochoit avec des petits garson-
nets, et avec des plus grands à mesure qu'elle
croissoit en aage. Les deux Jeannes, roynes de
Naples, méritent bien d'estre en ceste liste, et
sur tout la seconde, qui ne laissoit eschapper un
homme ayant beau nés qu'il ne battit à la porte
de son pucelage perdu. Il y en a eu d'autres qui
n'ont peu estre retenues par la saincteté naturelle
d'incestuer. Vous avez les filles de Loth, Myrrha
ou Cinyra (de laquelle parle Stobée Serm. 62),
Pelopeia, qui aima impudiquement son père
Thyeste; Harpalyce, qui brusloit après Clymene,
son père; Hipodamie, après Œnomae; Procris,
après Erychthée; Nyctimene, après Epopée, et
Valérie Tusculanarie, laquelle, au rapport de
Plutarque en ses Paralelles, chap. 45, fut telle-
ment énamourée de son père Valere que par les
menées de sa chambrière elle trouva moyen de le
faire incestuer avec elle. Ce que le bon homme
ne descouvrit pas plustost qu'il se fit mourir.
Si les pères n'ont peu estre exempts des bru-
tales passions effectuées parleurs filles, les propres
enfans ont servi mesmes d'estalons à leurs mères.
Ceste grande royne des Assyriens Semiramis ne
s'abusa elle pas après son propre fils, Ninus, qui
en prit un tel desdain qu'il luy fit en achapter la
réparation par la perte de sa vie? Parisatis fut
bien plus hardie : car, pour couvrir l'enormité
DU MARIAGE.
85
exécrable de l'inceste qu'elle avoit commis avec
son Darius, elle voulut qu'il fût doresen avant
permis riere le ressort du royaume Persan que les
accouplemens nociers fussent indifferens entre
les pères, mères et enfans. Peut on pallier l'in-
ceste d'Agrippine avec Néron, de Cratea avec ce
Periandre, qui, quoy qu'il fut enroolé entre les
sept sages de la Grèce, si ne peut il se sauver de
l'amour incestueuse de sa mère Cratea.
Les frères ont ils esté exempts des allechemens,
ou plustost incestes de leurs impudiques sœurs?
Les amours de Biblis avec son frère Caunus sont
trop descouvertes par Ovide au 9. de sa Méta-
morphose. La Romaine Camille ne peut espar-
gner son propre frère Papyrius ; Canace, son frère
Macarée; et de nostre temps un personnage qui
n'a icy point de nom [mémorise defuncti id datur)
lequel a eu le pucelage de sa propre Margot,
ainsi appelloit il sa garse-sœur.
Les belles mères ont eu à si peu de respect la
couche de leurs maris que leurs propres enfans
d'autres licts leur ont servy de sursailleurs : Arsi-
noé, femme de Lysimaque, appella à ce sale
combat Agathocles ; Demeneta se perdoit de l'af-
fection dont elle estoit outrée alendroit de Gne-
mon, fils de son mary Aristippe. Les deshon-
nestes amours de Phedra à Hipolite, de Gidique
à Comminius, de Philonome, femme de Cyrnus,
86 DU MARIAGE.
à Tennes, et de nostre Limosine, qui nous donna
le plaisir des Roys, justifient assez de l'inconti-
nence des femmes.
Je n'ose parler de celles qui se sont adressées
tant à leurs gendres qu'aux frères mesmesde leurs
maris : il faudroit que je disse plus que je n'ay
envie. Vous voyez le jardin où la pierre est jettée.
Je vous veux dire choses bien plus estranges, et
qui vous feront dresser les cheveux en la teste,
c'est que n'a pas esté aux bestes brutes qu'elles
n'ayent esté sodomisées par les femmes. Juba,
Pline et Hygin nous apprennent que Semyramis
fut tellement esprise de l'amour d'un cheval que
sa frénésie ne peut passer jusqu'à ce qu'il l'eut
sursaillie. Volaterran, en sa Philologie, liv. 32,
chap. 5, remarque qu'en la Toscane, sous le pape
Pie troisiesme, une fille fut tellement outrée de
l'amour d'un chien qu'en iîn il l'engrossa d'un
monstre qui avoit les pattes et aureilles de chien
et le reste de l'homme. En l'isle de Mendos,
Strabon et Hérodote certifient que les femmes
s'accouplent privément et sans difficulté avec les
boucs. L'horreur du meslange des femmes par
ensemble me ferme la bouche, pour, quittant
toutes les sortes prœposterse veneris, vous apprendre,
que, si je vouloye enfler la partie, je vous feroye
à vous mesmes dresser les cheveux en la teste.
— Non non , seigneur Panthaleon, j'ay bon
DU MARIAGE. 87
courage quant à moy, va respondre messer
Alexandre; mais tous ceux qui nous escoutent ne
sont (peut estre) de mesmes. Je ne vous veux pas
contrerooler vos exemples, je sçay que les avez
pris de bon lieu; mais j'ay trois moyens dont je
vous vay battre. Le premier est que, si les femmes
ont esté sales et desbordées, les hommes ne sont
esté plus sobres. Cela est un article, lequel vous
ne me pouvez nier ny mettre en conteste : la vé-
rité des histoires vous donneroit sur le nés et
vous pocheroit les yeux. Le second est que la
faute est bien plus grande aux hommes qu'aux
femmes, attendu qu'ils sont establis pour les
régir, reigler et gouverner; et ils ne sont plus
sages qu'elles, ils font des fautes aussi lourdes
que les femmes. Le troisiesme est pour vous rem-
barrer, et prévenir la response que me pourriez
faire, que la bouche chancreuse des masles ne
guérit pas la vérole des femmes, car je soustiens
que les hommes sont bien plus hardis, plus ar-
dens et plus violens au choc cupidique que les
femmes : ce ne sont pas elles qui prient et qui
forcent.
— Vous le dites, réplique le seigneur Pantha-
leon; Salluste, que dit il de la docte Sempronie,
laquelle estoit si vivement picquée de l'amour du
masle qu'elle n'attendoit d'estre priée ? Elle estoit
la suppliante, et tant d'autres qui font le mesmes.
88
DU MARIAGE.
Il est bien vray qu'il y en a plusieurs qui se font
requérir et courtiser; mais est ce (à vostre opi-
nion) qu'elles n'ayent bien bonne envie de se re-
gaillardir? Ou la honte leur fait tenir leur eau,
crainte qu'elles ont d'estre renvoyées esconduites
avec autant de pieds de nez, ou bien c'est qu'elles
ont envie qu'on croye qu'elles y sont, par ma-
nière de dire, pressées et contraintes ; mais celles
qui ont la bride abattue et un peu de pied sur les
masles, asseurcz vous qu'elles secouent bien le
pochet. Je m'en rapporte à la plainte qu'en faisoit
le capitaine Giulio des Clonaris de sa donne Me-
gille. Plustost, disoit il, eut il desconfit cinq cens
ennemis par la roideur de son bras bressan que
pouvoir contanter cette goulue, insatiable. Dés
qu'elle le pouvoit tenir, et que la jonction des
pièces estoit faite, il ne falloit pas penser qu'elle
le quittast jusques à ce qu'à force de tirer il ne
demeura une seule goutte d'ancre au cornet :
elle vouloit que rien ne restast et que tout fut
mis dans son sac. Le pauvre Agamemnon de la
Cru en sçauroit bien que dire; maintesfois, lors
qu'il eut voulu se reposer ou jouer à beau jeu,
force luy estoit de bander droict au trou, c'estoit
le coup de la partie : il falloit obéir aux comman-
demens de la dame qui l'avoit pris pour second.
— Vous nous parlez, va dire le seigneur
Alexandre, des Messalines qui ne pensent qu'aux
DU MARIAGE. 89
ramonneurs de cheminées, et vous voudrez dire
que toutes les femmes sont de mesmes. Il y au-
roit autant d^apparenceque qui voudroit dire que
tous les hommes fussent aussi vigoureux que
Hercules pour dépuceler et engrossir quatre
vingts tant de filles en une nuict, ou aussi chauds
que ce Castillan qui fut limité à quatre fois. »
Comme je vis que ce discours s'eschaufîoit, et
que tous deux, colerez, surhaussoient leurs voix :
(( Messieurs, commençay-je à leur dire, ayez pitié
et respect des femmes : vous avez icy madamoi-
selle Euthelie et sa cousine madamoiselle Lucrèce ;
pensez vous qu'au partir d'icy elles seront bien
édifiées de vos discours? Si vous me croyez et
voulez me faire plaisir, coupez icy tout court la
broche à Venus, il y a assez en quoy vous esbat-
tre, aussi bien avez vous encores beaucoup d'arti-
cles à dévider. Si vous estendez autant sur chacun
comme sur cestuy, je m'en vay commander qu'on
nous apporte icy à souper.
— Il n'en est de besoin, va dire le seigneur
Panthaleon,je m'en vay esloigner dutroupunais,
pour visiter le mesnagement des femmes, et mon-
trer que ce ne sont que chiches-faces, taquines,
chipoteuses et avaricieuses, au lieu que l'homme
veut estre honorable, magnifique et libéral. Cice-
ron, au premier livre de VInventionj dit que les
femmes sont avaricieuses. Accurse adjouste le
90 DU MARIAGE.
superlatif, qu'elles sont tresavaricieuses. De fait,
on tient que c'est outre et contre nature, voire
miracle, si la femme donne quelque chose, parce
que cela n'advient pas gueres souvent. /. Sed si
ego in fi. ff. ad Se. Vell. l. Si a sponso, c. de don.
ante nupt. Aristote mesmes nous tesmoigne que,
privement et familièrement, l'avarice se festoyé,
traite et banqueté dans l'ame des vieillards et des
femmes. Qu'est il besoin de s'arrester en une
preuve qui est aussi claire que le jour?
— Seigneur Panthaleon , respondit messer
Alexandre, je ne vous veux donner la peine d'am-
plifier ce qu'avez proposé, seulement je vous
prieray de me faire ce bien que d'adoucir ce mot
d'avaricieuse : jamais je ne le vous passeray, cela
escorche mes aureilles; c'est une qualité odieuse,
qui rendroit les femmes plus misérables que Tan-
tale et plus mechaniques que le marchand de
Chios Septice. Maintenant on les appelle bonnes
mesnageres; et, si le seigneur Rodolphe pouvoit
estre assorty d'une de ceste qualité, je vous pro-
mets qu'il ne seroit pas mal party. En un besoin,
si vous ou luy vouliez faire des renchéris, je vous
renvoieroye en l'escole de messer Alphonsin
Barbadique, auquel le seigneur Corneille Contar-
dini un jour tenoit ce langage, qu'il l'avoit tous-
jours cogneu fort libéral, neantmoins que sa
femme luy faisoit perdre, à son bien grand regret.
DU MARIAGE.
91
cest honneur, pour estre si escharse que tresvo-
lontiers elle voudroit que tout ce qu'elle mange,
vous, moy et tous ceux qu'elle cognoit, fut len-
tilles. « Je la tiens telle qu'elle prendroit la peine
de le ramasser pour en faire, par plusieurs fois,
nouveaux repas. Je me plains, direz vous, de ce
qui ne me touche pas; si seroyeje bien aise que,
comme Dieu vous a eslevé en dignité, vostre mai-
son reluisit en magnificence pour empescher ce
qu'on dit de vous, que vous n'estes qu'un pleure-
pain et vostre femme une chiche-face. Je sçay
bien qu'on vous fait tort, attendu qu'avez l'ame
si bonne que détestez toutes ces vieillaqueries;
par tout je fais resonner que telle taquinerie ne
vient de vous, que c^est Madona Francisquina ;
mais on me respond que vous estes le maistre;
que, s'il y a du desordre, c'est vous qui devez en
respondre. — Cela est vray, seigneur Corneille,
mais vous ne dites pas que je ne demande que la
paix en ma maison . Autresfois j 'ay voulu tout jetter
par les escuelles, je m'en suis trouvé si mal que
j'ai perdu toute fantaisie de plus m'en formaliser.
En parle qui voudra ; s'il estoit en ma place, as-
seurez vous qu'il trouveroit bien à qui compter.
Et voulez vous que je vous die? je ne perds rien
en cela, ma femme est bonne mesnagere, elle serre
bien tout ce que j'ay, elle fait tout servir, rien ne
se perd. On la fait escharse, je n'en cognois pas
92 DU MARIAGE.
beaucoup qui jettent leur bien par la fenestre;
que, s'il y a quelques uns qui veulent user de pro-
digalité, à la fin on se moque d'eux : il vaut mieux
tenir que quérir. Si ma femme fait mal, ce n'est
qu'à elle, je ne voudroie pas qu'elle tint tort à au-
trui, il n'est rien tel que d'en avoir : elle me traitte
bien, j'ay l'escu en bourse, ou, pour le moins, je
sçay qu'il est en lieu où il me fait proffît. Pensez
si j'ay occasion de me mescontanter du bon mes-
nage de ma femme. »
— C'est là le langage d'un vilain usurier, mes-
ser Alexandre, et qui, à ce que je puis appercevoir
par ces discours, ne se tourmenteroit pas beaucoup
que sa femme le fît cornard, moyennant qu'elle
rapportast des escus ou ducats en sa case. Pren-
driez vous bien le seigneur Rodolphe pour un tel
homme? Il a le cœur assis en trop bon lieu : et
ne faut pas que vous croyez que ma présomption
.soit imaginaire; la preuve y est ordinaire. Se-
neque, au deuxiesme de ses Declamaisons, dit que
l'avarice est le fondement de toutes les démarches
des femmes, la cornardise en est un dépendant
pour les maris qui ne sçavent en ce tenir assez
bonne bride à leurs femmes. La pratique nous en
est donnée tous les jours. En voulez vous un
exemple, sans nommer personne? Escoutez ces
vers latins, que vous trouverez, si je ne suis gran-
dement abusé, dans VHipponax du seigneur Jules
DU MARIAGE. 9$
Cesar de l'Escale, poète et médecin Veronois :
Dotata Erynnis, absque dote mendicans,
Non te minus rogabit annulum, arniillam,
Torquem, nitelam sericam, cicadamque
Qux fîbulabat Athidas comas morsu.
Si non dabis, qux node, qux die ringens
Obmurmurabit ! oblatrabit! Urgebit,
Aversa cernet, accubabit aversa^
Addet minas, minisque, ni caves, facta.
Cavesve, non cavesve, jam dabit factum.
Paratum habebit, qui daturus est, mœchum.
Si quxris unde comparaverit, dicet :
Avunculus, te rusticum esse cognoscens
Et cimbicem, suxque neptis osorem,
Tractationis istius malx pœnas
Te vult daturum, me tremente, te invito.
— Vous employez tres-mal, selon mon juge-
ment, ces vers. Seigneur Panthaleon, répliqua le
seigneur Alexandre, car le poète ne veut pas là
donner une attache à l'avarice de la femme, mais
à celle du mary, qui n'eut receu sur corne s'il eut
donné à sa femme ce qu'elle luy demandoit, et à
la trop grande piaffe que vouloit faire ceste mi-
gnonne qui, pour s'attiffer et parer, eut bien voulu
despendre tout le bien du mary, voire n'espargna
sa propre pudicité.
— A la vérité, messer Alexandre, vous serez
certainement recevable, respondit le seigneur
Panthaleon, à proposer ce que répliquez; mais,
94 DU MARIAGE.
puis que les femmes ne sont moins frappées de
l'avance que de l'orgueil, qui les pousse à se po-
piner de la façon, encores trouverez vous que je
ne m'esloigne point tant du but que vous criez.
Et cependant j'emploieray cecy, afin de ne plus
le redire, que le seigneur Rodolphe, pour ne s'ha-
bituer en Cornouailles, doit bien se garder de se
marier : s'il refuse les joyaux, le voila de la con-
frairie des béliers. S'il fait pennader et courtisanner
sa femme, voila de la proye qu'il met à l'hazard
du premier Tiercelet qui aura la griffe forte pour
l'enlever.
J'ay le plus mal-aisé en queue, non pas à
preuver, mais à faire digérer à ceux qui veulent
prendre le party qui est maintenant cerché par le
seigneur Rodolphe; voire, quand il n'y auroit
que ce seul point, j'estime qu'il seroit beaucoup
-plus expédient à un homme de ne sçavoir ou
n'avoir sceu que c'est de femme que se veoir
ainsi misérablement empestré es liens et cordages
de ces diablesses. Un mary veut vivre en paix, il
ne cerche que ce soûlas, et voicy une Proserpine,
une Megere, une Alecto, qui revirera sans dessus
dessous tout le mesnage. Ce sera une criarde,
unegrongneuse, une rechignée, une jalouse, une
rieuse ou une moqueuse : quel contantement aura
le mary? Il lui faudra avaler les humeurs de sa
femme doucement, ou bien faire trotter martin
DU MARIAGE. çS
baston par la maison, au defîaut que les deux
poings ne suffisent.
— N'entrez pas en cest incident, vay-je dire;
car, à ce que j'ay peu descouvrir, il y en a qui
s'apprestent pour pourmener un peu les batteurs
de femmes.
— He bien ! puis que vous ne voulez, va dire
le seigneur Panthaleon, qu'on se rue encores sur
elles, n'entrons pas à la reprimende et guerison
de la playe ; manifestons quelle est la maladie, et
quel tintamarre il y a en la maison lors que la
femme fait ses jeux.
Que les femmes soient des crieuses et qui par
leur braillement essourderoient cinq cens milliers
d'hommes, l'expérience n'en pourra que trop
rendre sages les incrédules. La foudre et le ton-
nerre ne font point un tel tintamarre que fait une
femme lors qu'elle se met sur ses ergots pour ab-
bayer. Ne vous souvient il point du conte que
nous fit à ce propos dernièrement le bon Padre
Marcellin d'un Cretois et d'une Cretoise ? Ce pau-
vre insulaire se tuoit à travailler pour faire quelque
chose, afin de gaigner sa pauvre vie et de ses en-
fans, si n'eut il osé demeurer en la maison : à tous
propos, il trouvoit sa femme à hurler après Tun,
tantost après les autres. Quand il vit que ce train
dura trop, et qu'il commença à s'ennuier, il as-
sembla ses parens et ceux de sa femme, leur re-
96 DU MARIAGE.
monstre qu'il luy estoit impossible de compatir
au bruit que menoit continuellement sa femme,
les prioit d'aviser à y remédier. De sa part, s'ils
le trouvoient bon, il avoit délibéré de faire trans-
porter ses meubles en un logis bien esloigné de
sa demeure ordinaire, sans que l'on transmarchast
ny son lict ny son vin, et entendoit que sa femme
se tint au logis nouveau tout du long du jour, et
qu^à mesure qu'on auroit affaire de vin on en allast
quérir en l'autre logis : sur tout luy deffendoit
qu'elle n'entrast point en ses vignes. Qui furent
bien esbahis, ce furent les parens tant d'un costé
que d'autre, qui voulurent sçavoir de luy l'occa-
sion d'un si nouveau et estrange remuemesnage.
Il ne se fît pas gueres prier à la leur communiquer.
« Mes bons amis, dit il, je ne veux permettre que
ma femme soit auprès de mes vins, ny qu'elle
mette le pied dans nos vignes, parce que je sçay
que le bruit du tonnerre fait souvent tourner les
vins. Le tonnerre ne m'a onques, par la grâce de
Dieu, encores fait de mal, voire ne m'a point esté
si ennuyeux que sont les criailleries de ceste mau-
vaise créature. J'estime avoir autant et plus de
force que le vin, car il tourne au tonnerre, ec je
ne m'en estonne aucunement. Si donques je suis
espouvanté de ce qui est plus grand, plus fort et
plus roide que le tonnerre, ne fais je pas bien, at-
tendu que je le puis, de divertir ce qui pourroit
DU MARIAGE. 97
aussi bien nuire à mon vin comme il me nuit à
moymesmes? Pour faire verir les raisins, alors je
suis bien contant qu'elle y vienne, une seule
goulée deseshurlemens fera en un moment tour-
ner et verir toute ma vinée. Au soir, j'entens
qu'elle et moy ne nous découchions pas de nostre
logis ancien et ordinaire : je Tempescheray bien
en ma présence de meffaire à mes vins; si je sens
qu'elle veuille lascher quelque coup de tonnerre
préjudiciable à mes vins, ce ne sera à faire qu'à
boucher le trou de la pièce, et tout doucement en
syringuant luy amortir sa ribaude chaleur. »
Voulez vous la description de la femme lors
qu'elle est en sa frenaisie.? Je la vous bailleray
telle que le Montferrandois de Boissieres la nous
a patronnée en ses Sizains des humeurs de la
femme.
Par la maison elle est pire que la tempeste;
On peut bien dire alors : Cerbère est en sa teste;
L'ennemj la gouverne et par tout la conduict :
Elle jure, elle crie, elle est pis que farrouche,
Elle jette brasiers et flammes par la bouche.
Et plus que les torrens d'Auvergne [elle] a de bruict.
Elle court, elle faict toute chose au contraire :
Père, mère, mary, seur, voisinage, frère,
La pansans rapaiser, ne la font qu'animer;
Pareille aux vents esmeus et au plus fier orage.
Et au feu ébrandy par tout un maisonnage,
Et au courroux des flots dangereux de la mer.
i3
ç8 DU MARIAGE.
Comm' un chien enragé sa bouche elle s'embave,
Comm' un hors de son sens l'honneur elle déprave;
Son courroux violent est du tout indompté :
Elle rompt, elle brise, elle frappe et renverse.
Elle met tout à bas et jette à la traverse,
Comm' un fleuve courant d'un ravage irrité.
Tout est en grand desordre et en pauvre mesnage
Quand la femme est tombée en son ardente rage;
Le lyon eschaufîé n'est pas si furieux.
J'estime la terreur de l'esclair et tonnerre
Plus douce que n'est pas la féminine guerre,
Et n'est point tant comm' ell' en ses feus dangereux.
Le courroux de la femme abbat tout et démarre,
Et meine un si grand bruit et si grand tintamarre
Que le plus asseuré en est tout estonné :
On ne sçait si ce vient de la troupe infernale
Qui face (desliés) leur terreur générale,
Ou si c'est la furie, ou si Dieu a tonné.
Elles ont la caboche si despitement patronnée
que, si le mary l'entend jaune, elles le veulent
verd ; s'il le veut de droit fil, elles le prendront
de biais ; lors que le mary le veut, elles ne le veu-
lent pas; et, quand il ne le veut pas, elles le veu-
lent; ce qui a tresbien esté remarqué par Terence
en son Eunuque :
Novi ingenium muUerum :
Ndunt ubi velis} ubi noliSj cupiuni ultro.
Et pource un sage philosophe nous admonnes-
toit qu'il ne falloit prescrire et ordonner de cer-
DU MARIAGE.
99
taines bornes et barrières à la femme, laquelle n'a
aucune tenue, et est glissante plus qu'on ne sçau-
roit estimer. Par ainsi, disoit-il, si tu la veux
retenir, lasche la; si tu la presses pour la mettre
à l'estroit, tu la perds tout de mesmes qu'il ad-
vient d'une anguille. Dés qu'elles ont pris le
ply de faire des bestes, de contrarier et de tenir
bon contre leurs maris, c'est du camelot : pour
mourir elles ne se changeroient pas. Quelques
uns ont voulu recercher la raison pourquoy elles
estoient ainsi acariastres et opiniastres au mal, et
qu'à tous bouts de champs, lors qu'il estoit ques-
tion du bien, elles giroûettoient. Ceux qui ont
frappé le plus prés au blanc ont dit que cela ave-
noit parce que de leur naturel elles estoient
mauvaises, ainsi que tantost j'ay rapporté d'Ac-
curse. Les autres, parce qu'elles n'avoient dans
leur teste que du vif argent qui leur corrompoit
leur raison. D'autres les nous représentent sans
raison, partisans avec le philosophe Platon, qui
doute si la femme doit estre couchée au rang des
animaux raisonnables ou des bestes brutes. Il y
en a qui ont passé plus outre (c'est l'opinion des
Severians et Archontiques), qui ont tenu que les
femmes estoient la besoigne de Sathan, ainsi que
remarque S. Epiphane au premier livre des Hère-
sieSf tom. 3, sect. 45, et partant que, suivant le
naturel et patron de leur père, elles ne s'addon-
BIDUOTHECA
Cftaviensis
lOO DU MARIAGE.
noient qu'à mal faire et contredire. Prenez laquelle
des raisons vous plaira ; de ma part, je sçay que
les femmes sont de tel arain que, si elles ont
chaussé quelque foie impression dans leur cervelle,
toutes les tenailles de Vulcan ne les leur sçau-
roient arracher. Je vous en vay donner un exemple
qui ne sera point hors de propos. Faut donc que
vous sçachiez qu'il y eut une femme qui une fois
appela son mary pouilleux, lequel s'en fascha, et,
voyant que ses prières et remonstrances n'avoient
point le crédit de tirer les pouls hors de la bouche
de sa femme, il se mit à la vous espousseter assez
proprement, présumant que ces coups desniche-
roient les pouls; mais de tant plus il frappoit,
tant plus drus formiiloient ils en la bouche de sa
femme; si bien la dourda que ses bras furent
plustost lassez que la langue de sa femme. De la
faire appeler en jugement il n'osoit, tant pour la
honte qu'il eut receu et pour la qualité de pouil-
leux, et de n'avoir sceu domter sa femme, que
par ce qu'il sçavoit bien que le magistrat n'eust
sceu donner une plus dure réprimande à ceste
fausse teste qu'estoit celle dont il l'avoit desja
festoyé de la façon qu'avez entendu. Toutesfois
les pouls luy faisoient si mal au cœur qu'il ne
pouvoit se commander, attendu l'opiniastreté de
ceste poûillerie, qu'il n'excéda ceste acariastre.
Après avoir long temps discouru à parsoy des
DU MARIAGE. lOI
moyens qu'il devoit tenir, il s'advisa que para-
venture l'appréhension de la mort la despouille-
roit de ceste pouilleuse furie : il la vous prend,
la lie et garrotte, puis la met sur la margelle du
puys, lui jurant que, si elle ne se desistoit de l'in-
jurier de ce nom de pouilleux, qu'il la noyeroit
dans le puys. C'estoit bien à propos, et plus
qu'auparavent elle vous luy dechiquetoit ses
pouilleuses poûilleries. Cela fut cause qu'il la
vous descend avec la corde du puys dans le puys
jusques aux aisselles, où, bien qu'elle trampast
assez pour se rafîraischir, elle redoubla ces crie-
ries pouilleuses. « Si te garderay-je bien de plus
me dire cela » (va dire le mary),et luy plongea la
teste dans l'eau. Quand la femme se vid le bec
bouché, ne pensez pas qu'elle quittast sa pouil-
leuse poursuite; elle fait tant qu'elle fait passer
ses mains en haut, et avec les ongles faisoit comme
si elle eust tué des pouls : tellement que vous voyez
que la mort mesmes ne peut faire changer de pro-
pos à ceste mauvaise femme.
— Estes vous saoul de parler contre les pau-
vres femmes, S^Panthaleon? va dire messer Alexan-
dre. Vous avez eu tout le loisir qu'il vous a pieu,
je ne vous ay sonné mot pour vous interrompre,
vous avez dit tant de poûilles qu'avez peu contre
ce pauvre sexe. Je pourroie vous y respondre;
mais je vous veux monstrer que ce n'est pas des
102 DU MARIAGE.
femmes ce que vous criez , car vous et tous ceux
qui partisez contre elles avez tousjours ce mot à
la bouche, qu'elles ne faillent jamais par le bec,
que tousjours elles veulent avoir le dernier [dis-
tinguo secundum subjectam materiam) . Je passe
sur toutes vos mesdisances, comme si cela n'at-
touchoit les femmes ; mais, je vous prie, dequoy
vous servira toute ceste longue estendue de dis-
cours? Le S^ Rodolphe est encores aussi irrésolu
maintenant qu'avant que nous fussions entrez en
dispute.
— Dictes vous, messer Alexandre, répliqua le
S'' Panthaleon, j'ay plus fait que ne pensez; et
qu'ainsi soit, si le S^ Rodolphe ne veut estrepar-
roissien de S. Pierre aux Bœufs, s'il veut vivre
en paix, s'il veut tailler de l'honneste homme,
que sa femme luy escorne sa miche, qu'elle preste
(quoy, devinez le) sans l'en advertir, qu'elle mette
son mesnage en confusion, qu'elle le veuille faire
monstrer au doigt comme un pleure-pain, un
vieillaque et un taquin, ne dois-je pas conclurre
qu'il ne se doit marier? Le principal cartier contre
lequel il doit braquer, c'est le canton de sa femme ;
je luy descouvre le danger, les advenues qu'il y a,
à fin qu'il ne s'y jette à l'improviste : de sorte
que, si mon advis avoit lieu pour voix en chapitre,
le S^' Rodolphe ne se marieroit point.
— Oh ! S"^ Panthaleon (va dire messer Alexandre) ,
DU MARIAGE. I o3
que VOUS estes un pauvre juge! Vous aulnez toutes
les femmes à une aulne. Tous trous sont trous;
mais il y a de plus grans, de plus larges, de plus
profonds et de plus estroits que ne sont les au-
tres : toutes les femmes ne sont basties sur une
enclume. Voila Madamoiselle, à laquelle quelcun
de ceste troupe a, fort à mon gré, donné pour ana-
gramme : VŒU (Tadvis, voudriez vous dire qu'elle
n'observe le jeusne, ou qu'elle fît les nigauderies
qu'avez proposé? Vous l'avez en trop bonne ré-
putation ; elle est de la partie, un chascun de nous
la cognoit. Biffez donc de vos mémoires et dis-
cours ce qu'avez proposé en gênerai, si le vouliez
approprier à chascune des femmes en particulier;
si toutes les honnestes vous avoient donné sur le
meurre, vous seriez bien camus, au moins vous
auriez le nés bien applaty.
Au reste, voulez vous souhaiter plus grand
souhait qu'est celuy que les maris ont conjuga-
lement, je vous renvoie à ce qui nous en est pro-
posé au premier dialogue de la Guerre des Fem-
mes avec les Masles. En après, qui a il de plus
misérable qu'un homme seul.? Yx homini solil
Finalement, la lignée qui est produite ravive de
nouveau le père jettant le dernier souspir de la
mort. Il y a un médecin angevin qui, en sa Con-
ception de l'homme, a descrit les malheurs de ceux
qui meurent sans enfans par ces vers :
104 DU MARIAGE.
O malheureux vieillard qui, courbe et tout tremblant,
N'as point qui te soustienne, et qui, te ressemblant,
T'ayme, serve et honore, et, comme la cicogne,
Te rende en ta vieillesse une pareille soigne,
Qui travaille pour toy et te nourrisse lors
Que les nerfs sont usez de ton impuissant corps.
He! quel grief creve-cœur, quand en l'ame volante
Le mourable vieillard pense, et se représente
Que ceux qui, héritiers, doivent ses biens avoir
Voudroient ja prest à mort en la terre le voir?
Quel creve-cœur encor, quand le bon homme pense.
S'il ne se hastc assez, qu'on cerche qui l'avance.?
Mais les enfans bien nais, bien nourris, généreux,
De voir leurs géniteurs se reputent heureux,
Vesquissent ilz autant que de Lamech le père.
Si j'estoie grand théologien, je pourrois subti-
liser sur ce que le mariage a esté pratiqué entre
Adam et Eve avant qu'il fust aucun bruit du
péché.
— Vous en avez assez dit, messer Alexandre^
respondit le S'" Panthaleon^ et plus que je ne pen-
soie; mais j'ay dequoy vous respondre. Je ne suis
de ceux qui détestent le mariage, je recognois
son institution saincte, louable et à priser, mais
les inconveniens et le coust m'en font perdre le
goust. A la traduction du S*" de S. Marthe j'op-
poseray ce qui a esté fait contre le mariage ; à vos-
tre belle solitude de neiges, l'authorité de Pétrar-
que en ses Méditations et Discours pour le
solitaire. Quant aux enfans, c'est une grande
DU MARIAGE. I05
bénédiction de Dieu; mais ils sont si difficiles à
eslever, à nourrir, à instruire, à enseigner et à
reigler. S'ils sont de bonne espérance, et qu'ils
facent proffit, c'est un grand contentement au
père et à la mère ; mais ils n'ont heure de repos
pour observer et guetter que mal aucun n'ad-
vienne à ce beau rejetton. Viennent ils à se mes-
cognoistre et ne valoir rien, cinq cens fois le jour
ils font pleurer leurs pères et mères sur leurs
genoux. La mort les vient elle happer, voila le
deuil qui vient saisir les pauvres père et mère :
et pource celuy ne se mesprenoit, lequel disoit
que n'avoir point d'enfans est un bien incogneu.
Heureux celuy, dit-il, qui ne doit nulle chose,
Plus heureux est encor' qui femme point n'espose;
Plus que ces deux heureux est qui n'a point d'enfans.
Mais cil qui se marie hors de son meilleur sens
Est plus heureux que tous, si sa femme au suaire
Il voit, ayant receu d'elle un riche douaire.
Pour le reste des charges du mariage, pour ne
vous sembler que je veuille enfler la partie, je
n'emploie que ce que les Ténèbres de Mariage
ont peu vous en apprendre; vous les avez leu
avec moy : il y a du lourd et du gauffe, si peut
on en tirer quelque chose à propos pour ce
que je vous propose. Si bien que je conclus
par mon advis que le S'' Rodolphe peut se
marier.
14
I06 DU MARIAGE.
— Messieurs, va dire le capitaine Gaspard du
Soucy, de peur de vous interrompre, je n'ay en-
cores osé ouvrir la bouche : j'ay entendu tous vos
amples discours, et, puis que je voy que vous
estes en termes differens pour la resolution, de
mesmes qu'est le S^ Des Portes et Y. R., poète
xaintongeois, pour le mesme fait que vous re-
muez, j'ay estimé que la compaignie ne treuvera
mauvais que je mette au dessous de vos opinions
celle qui est du philosophe Socrates, lequel, en-
quis par un jeune homme lequel luy seroit le plus
séant et convenable, se marier ou se passer de
femmes : « Las! mon amy, respondit, prens y
bien garde : car d'un costé et d'autre s'offrent de
grandes incommoditez; et, après avoir fait l'un
ou laissé l'autre, tu auras occasion de te repentir.
Si tu te passes de te marier, tu seras continuelle-
ment en solitude, sans plaisir et contentement: tu
lairras périr en toy ta race, et si tu auras héritier
autre que celuy qui sera sorty de tes reins. Si tu
te mets en mariage, tu te mets de fièvre en chaud
mal: le soin continuel te rongera l'esprit, tu auras
incessamment les aureilles battues de plaintes et
de reproches, tes alliez te groigneront et porte-
ront mine rechignée; tu seras subjet au caquet et
commandement d'une femme estrangere, à sçavoir
de ta belle mère, qui te voudra maistriser et con-
trerooler. Et le pis qui y est, tu seras contraint,
DU MARIAGE.
07
sans estre bélier, de porter les cornes plustot que
ne voudras longues, et nourrir les enfans que tu
n'auras engendrez. » Si vous pouvez faire vostre
proffit de cecy, seigneur Rodolphe, serrez le; je
ne suis des plus grands clercs de nostre parroisse.
Croyez moy, demeurez garson : il n'y a rien tel
que de vivre en liberté.
— Et quoy ! va dire le S'' Galeas, Monsieur du
Soucy, vous serez donc de ceux qui à beaux coups
de pierres vous banderez contre le mariage.
Advisez à la conséquence et tresperilleuse des-
convenue où pourriez engager le S'" Rodolphe :
vostre conseil luy pourroit bien couster plus
cher qu'au marché. S'il est homme naturel et
enharnaché de toutes ses pièces, vertu bieu, pen-
sez vous qu'il veuille laisser enrouiller son grand
boute boute et qu'est ce , par faute de le remuer
et desgourdir? S'il s'accroche, la jonction des
pièces ne se fera point par voye légitime, il y
aura de l'attentat sur qui, contre qui et au préju-
dice de qui ? devinez le, ou dittes le moy, et après
je le vous rediray. Mais je vous voudroie bien
demander s'il n'est pas mieux fait, et avec beau-
coup moins de danger, de descharger son fardeau
là où on a droit que d'aller fouler l'herbe d'autruy,
aller en dommage, estre condamné à l'amende,
quelquesfois y perdre le moule du bonnet ou du
pourpoinct, faire une corvée dont on ne vous
I08 DU MARIAGE.
sçait gré, chasser au connil en une garenne qui
n'est vostre, ains à un qui, s'il vous y surprenoit,
vous estropieroit? Les beaux petits bastards et
bastardillons ne vous font ils point peur? Ne se-
roit ce pas mieux de produire une lignée sans
reproche que de forger de la fausse monnoye au
coin d'autruy? Mais je ne treuve point vostre ad-
vis de si difficile digestion que la trop violente
instance qui a esté faite par le S^ Panthaleon
contre les femmes. Si le S^ Rodolphe y prend
pied, voila ce pauvre homme perdu ; il prendra
tellement à desdain les femmes que leur présence
luy fera perdre la vie. Je ne vous mettray en
butte que Jean II, grand duc de Moschovie, le-
quel avoit les femmes en si grand horreur qu'il
s'esvanouissoit au seul regard des femmes, ainsi
qu'escrit le baron d'Herbestein, parlant des Mos-
chovites, qui ne voyent jamais (dit il) leurs
femmes que le jour des noces. Il y en a eu d'autres
qui, pour se passer des femmes, se sont accointé
des bestes brutes. Plutarque nous donne tesmoi-
gnage d'une exécrable hippomanie en ses Paral-
lelles, où il parle de Fulvius Stellus, lequel, pour
la hayne qu'il portoit aux femmes, se mesla avec
une jument, laquelle du depuis lui produisit une
fort belle fille, qui fut à cette occasion nommée
Epone ou Hippone. Encores, s'il eut suivy la
sage modestie de Simonides, il y eut eu quelque
DU MARIAGE. lOQ
apparence de je ne sçay quoy de louable en ses
discours. Ce poète nous représente diverses fi-
gures monstrueuses des femmes : il veut que les
unes ayent esté basties d'une truye, les autres pa-
tronnées au naturel d'un regnard, les autres à la
façon d'un chien, les autres engendrées de la
mer, les autres forgées es cendres d'une anesse,
les autres procréées par une belete, les autres par
une jument, les autres par un singe. Sous le ri-
deau de ces estranges et hideuses productions, il
nous fait voir la malice et dépravé naturel de la
femme, mais sur la fin il fait prendre air à celle
qui est esclose par l'abeille , laquelle il prise
comme celle qui bien-heure son mary, le resjouit
et le console. A tout rompre, et, quand c'eut
esté à bander et à racler, il falloit garder pour le
moins ceste sobriété, sans donner une si rude
touche sur les imperfections féminines. Voulez
vous que je vous die ce que j'estime de vostre pro-
position. Seigneur Panthaleon, c'est que voudriez
volontiers pactiser avec ceux, lesquels (au rapport
de Josephe) faisoient difficulté de se marier, non
point qu'ils eussent à mespris une si saincte et lé-
gitime accouple qu'est la maritale, mais l'intem-
pérance des femmes les en degoustoit tellement
que, par ce qu'aucunes estoient peu seures à la
desserre de la croupière, ils se faisoient entendre
qu'il estoit impossible, ou bien ce seroit miracle,
IIO , DU MARIAGE.
qu'aucune d'elles gardast tellement la loyauté à
leurs maris; juxta illud^ extrait du Romant de la
Rose :
Toutes estes , serez ou fustes
De fait ou de volonté putes;
Et qui bien vous recercheroit
Toutes putes vous trouveroit.
Mais qui tiendroit aujourd'huy tel langage,
encores que nous allions tousjours de mal en pis,
si est ce que j'ay grand'peur qu'il n'en eschappe-
roit pas à si bon marché que fît Jean Clopinel,
dit de Meun.
APRESDISNÉE III.
DE LA PUISSANCE MARITALE.
A sçavoir si le mary peut battre
et chastier sa femme ?
E n'est point à vous , Madamoiselle
Euthelie, que j'en veux, va dire le
S"" Barthélémy : il n'y a celuy de la
compaignie qui ne sçache bien que vous
ne sçavez encores que c'est de mary; cela me fait
vousprier, avanttoute œuvre, ne vous mettre point
de la partie; je sçay de quel bois vous vous
chauffez : quand on frotte trop long temps et
rudement, à la fin il cuit. Ne faites que prester
audience, et vous verrez beau jeu, si la corde ne
rompt; j'ay affaire à vous. Seigneur Sylvestre. Ce
que j'ay à mettre sur le bureau est assez familier,
mais tres-mal résolu et encores pirement prati-
qué : car il y a des hommes qui se font entendre
que leurs femmes sont piastre, deschargent sur
elles en vilains. Vous cognoissez le capitaine de
112 DE LA PUISSANCE
l'Estoile : avant hier, il vous dourda sa pauvre
femme d'une si estrange façon que je n'estime
point qu^elle puisse se relever du lict de trois
mois. Ex facto quœstio incidit^ à sçavoir si le
mary peut battre et chastier sa femme; on ne
pouvoit la présenter mieux à propos que main-
tenant; ce sera une consultation seiche que je
feray icy par manière de récréation.
Quant à moy, je conclus à la négative, et
soustiens que le mary n'a droit aucun de frapper
et outrager sa femme; mesmes, si j'estoie en des
lieux parmy le monde que je sçay, qui ne sont
à dix lieues de S. Claude, le capitaine de l'Es-
toile recevroit une dure réprimande d'avoir ainsi
excédé sa femme : il n'y a point de religion, et
n'y a amour qui ne s'y perde.
— Faut, mon bon maistre, respond le S"" Syl-
vestre, que vous ne sçachiez à qui vous avez
affaire, ou plustost de qui c'est que vous parlez,
comme si vous ne sçaviez trop mieux que je ne
le vous sçaurois déduire que la femme est en la
puissance du mary, tant par le droict divin que
par les droicts de nature et tous autres qui ont
esté receus et pratiquez par diverses nations. Le
commandement de Dieu y est exprés, que la
femme laisse père et mère pour suivre le mary,
au premier chapitre de Genèse, qu'elle luy soit
sujette comme à son seigneur : c'est la leçon que
MARITALE. Il3
S. Paul au 5 chapitre de son Epistre aux Ephesiens
chante aux femmes, suivant Tarrest qui est
donné contre Eve au troisiesme chapitre de Ge-
nèse , que sa volonté sera sujette au mary, le-
quel aura seigneurie sur elle.
La nature nous donne les enseignemens de
ceste sujection, tant par les bestes brutes, qui
défèrent aux masles,que par les femmes mesmes,
lesquelles ne sçauroient estre plus asservies que
de servir, par manière de dire, de vaisseau pour
recevoir dans leur corps les excremens naturels
de leurs maris. Cela est tellement naturel que,
comme nous dirons par après, il y a des loix qui
expressément défendent aux femmes de faire
refus de tendre leur escuelle.
Quant aux peuples et nations, vous en trou-
verez à peine qui ait osté l'empire aux maris
qu'ils ont sur les femmes. Sainct Augustin, en ses
questions sur le livre des Nombres, monstre que
les Hebrieux retenoient ceste puissance entre
eux. Par la loy de Romule, le mary n'avoit pas
seulement tout commandement sur sa femme,
ains aussi pouvoir de la faire mourir pour les cas
que Denis d'Halicarnasse touche au deuxième
livre. Par les loix des Lombards, la femme estoit
en mesme sujection que par celles de Romule;
de ce nous en avons tesmoignage tout évident
aux loix des Lombards, chapitre premier et der-
i5
114 DE LA PU ISSANCE
nier, comme aussi au titre Quai. mul. lib. alien.
permiss., si bien que les maris avoient toute puis-
sance de vie et de m.ort, de laquelle ils usoient
encores du temps de Balde, il n'y a point deux
cens soixante ans. Geste puissance estoit aussi
commune à toute la Grèce, selon Polybe, liv. 2,
et Lysias, Du Meurtre d'Eratostene. Nos ancestres
Gaulois avoient (au rapport de Gesar, au sixiesme
livre de ses Mémoires de la guerre civile) toute puis-
sance de vie et de mort sur leurs femmes et enfans,
tout ainsi quesurleursesclaves. S'il y avoittantsoit
peu de souspçon que le mary fût mort par le fait
de la femme, les parens la prenoient et luy bail-
loient la question: si elle estoit convaincue, ils la
faisoient mourir cruellement, sans l'autorité du
magistrat. Voila la nature, le droict divin et la
pratique gardée du commun consentement de
tous les peuples : pourquoy ferez vous donc dif-
ficulté de passer ceste puissance ?
— J'ay quatre belles responses à vous faire là
dessus, va dire messer Barthélémy. Premièrement,
vous tordez le nés aux textes qu'avez alléguez; en
second lieu, je vous donneray une contremire de
l'observation qu'avez proposé ; tiercement , je
vous monstreray que ces droicts n'ont aucun pou-
voir sur nous, parce qu'ils sont retranchez, et
que l'usance et pratique en est abolie; finalement,
que vous ne concluez à battre.
MARITALE. Il5
Les passages que tirez des lettres sacrées sont
un peu violentez, par ce que les prenez trop à la
lettre. La sujection qui est là enjointe n'est point
telle qu'elle esclave les femmes aux maris : elles
leur sont sujetes, mais c'est selon le Seigneur, le-
quel n'a oncq partisé pour nous desaffranchir de
nostre liberté. Mesmes S. Paul^ au 3 ch. de son
Epistre aux Colossiens, enjoint aux maris d'aimer
leurs femmes, et qu'ils ne s'enaigrissent point
contre elles. Cela est bien loin de leur lascher la
bride pour fraper et tuer. Pource S. Ambroise, au
5 liv. de ses Six Journées, ch. 7, parlant au mary ;
« Tu n'es pas, luy dit il, seigneur, mais mary ;
tu n'as pas eu une chambrière, mais une femme.
Dieu a voulu que tu fusses le gouverneur d'un
sexe inférieur, non point un puissant pour le
gourmander. »
Je pouvoie allegoriser avec aucuns qui subti-
lissent assez seraphiquement sur l'interprétation de
cette sujection recommandée par les textes qu'avez
cotte, et vous dire qu'un bon docteur Hugues,
au premier livre des Sacremens, parte 12, tient
que le Sainct Esprit est coustumier d'entendre
par l'ame ou l'esprit le masle^ et par le corps
ou la chair ce mot de femme. Si bien qu'en-
cores qu'il soit parlé de la conjonction mari-
tale, ce neantmoins elle doit estre rapportée à
l'uniformité de l'accord qui doit estre entre l'esprit
i6
DE LA PUISSANCE
et la chair. Or ceste symmetrie mélodieuse ne
peut avoir lieu, sinon lors que, par une saincte
sympathie, la chair débile se rend sujette et obéis-
sante à Tesprit. Si je me servoie de ceste mytho-
logique exposition, je reneque Mahom si vous
ne me renvoieriez avec ces matagraboliseurs qui
autresfois donnèrent durant deux mois et demy
dans ceste dypsadique question : Utrum chimera,
in vacuo bombinans, possit comedere seciindas in-
tentiones. J'ay mangé à disner trop de souppe,
elle me rend si lourd et pesant que je ne puis
toucher à ceste transcendentalité, et me contante
d'aller le beau pas, sans me vouloir souslever
plus haut qu'il ne m'appartient, et puis donner du
nés en terre.
Vous avez mis en butte quelques peuples, les-
quels ont eu commandement sur les femmes; que
direz vous à ce que le bon Hérodote escrit en son
EuterpCy que les femmes Egyptiennes traffiquent,
tavernent, et ont les mesmes charges que les
hommes par deçà, lesquels sont Marions, gardent
les maisons, font le mesnage, de mesmes que les
femmes par deçà; que les femmes portent les
charges sur le dos, les masles sur la teste, lesquels
pissent estans acroupis, et elles tout debout? Et,
parce que vous me pourriez battre de ce que Hé-
rodote semble rapporter ceste estrange coustume
des Egyptiens à ce que la température de leur
MARITALE. II7
climat luy sembloit toute autre que celle des
autres pays, je vous en proposeray encores
d'autres exemples. Clément, au 9 livre de ses Re-
cognitions, escrit que la coustume estoit entre les
Gelons, que les femmes labouroient les champs,
bastissoient les maisons, et les maris estoient ce que
l'on dit en vostre pays fenin caqua. Mais Dio-
dore passe bien plus avant au quatriesme livre de
sa Bibliothèque : là il remarque que parmy les
Gorgons il n'y a que les femmes qui exercent les
estats publics, au lieu que les maris obéissent aux
femmes, font tout doucement le mesnage. Dans
la Rose des Nymphes illustres, que vous nous avez
communiqué. Monsieur de céans, j'ay remarqué
que, parlant de Marpesie, royne des Amazones,
vous avez cité plusieurs beaux tesmoignages (les-
quels j'emploie contre vous, Seigneur Sylvestre,
et ne les repeteray, par ce que vous les avez leus
aussi bien que moy et pourrez les revoir au pre-
mier jour que ceste belle Rose aura roulé sur
l'estampe) qui monstrent que les maris n'ont
point eu par tout ceste grande authorité sur leurs
femmes que vous criez.
Voire mais, qu'est il besoin de particulariser
certaines nations? Entre celles que vous armez
de ceste puissance maritale, les femmes ont tenu
le dessus, par la confession mesmes des maris,
qui estoient les sujets. Je ne vous veux point
I l8 DE LA PUISSANCE
oposer le service que nous vouons lors qu'ho-
nestement nous traitions l'amour à nos femmes,
parce que vous me respondriez que ce ne sont
que feintises et desguisemens , qu'f/ maie passato ,
gabato il santo, que ce "ne sont qu'allechemens
pour prendre à la pipée celles qui feroient diffi-
culté d'entrer à la jouste. Cela estoit coustumier
que les Latins appelloient leurs femmes dames et
maistresses, vous en avez deux textes formels en
laloy 38 et 41 de leg. 3. ubi A/6er.; voire quelques
uns les appelloient tressainctes dames : le texte y
est en la loy Titia, § qui Marco, D, de ann. leg.
Nos lecteurs se sont rompu la teste pour sçavoir
à quelle occasion les femmes estoient douées du
titre de saincteté in superlativo. Il n'y en a point
qui ait mieux rencontré sur ceste interprétation
que le bon homme Tartarin de Belleperche , le-
quel, au parquet de mariage qu'il addresse à Ma-
damisella des Basses Marches, monstre que c'est
à tresjuste occasion que les femmes sontappellées
dames tressainctes, par ce (dit il) que nous leur
offrons des chandeles d'autant plus précieuses
que ne sont celles qui sont présentées aux saincts,
que la chair humaine est plus excellente que la
cire, ou que les hommes sont quelque chose de
plus que les abeilles. Ce qui a esté bien séant de
proposer en ce lieu, puis qu'il y a quelques per-
sonnages de grand esprit qui ont tourné leur
MARITALE.
119
bonnet à quatre brayettes (cela s'entend de tra-
vers) à cause de ceste qualité de Domina sanctis-
sima, vous voyezs'il aditvray. Sed de his aliàs, il
faut que je retourne à mes brebis.
L'empereur Claude César n'appelloit il pas sa
femme Messaline Madame^ comme aussi l'empe-
reur Adrian sa femme Noele ou Natalia, au rap-
port de Jaques a Voragine? Entre les docteurs
juristes (qui, s'il y en aucuns qui soient difficiles à
passer quelque qualité, le sont tout ce qui se
peut) nous avons Jean André, qui donne le nom
de madame à sa femme Milance, au chap. Cum
secundum^ col. î de prxhend., au chap. Qui prior,
col. pen. de reg. ju. lib. vj. in merc.
Il n'est pas qu'en lisant les auteurs grecs vous
n'ayez observé le mesme, tant en Homère, Me-
nandre, qu'autres. En VEnchiridion d'Epictete,
chap. 5 5, vous trouverez que ce philosophe, dis-
putant du devoir et soin du mary alendroit de la
, femme, dit que les femmes, dés l'aage de qua-
torze ans, sont appellées dames, par ce que les
maris les flattent, caressent et amadouent, afin
qu'elles leur prestent le bissac. Ce ne seroit ja-
mais fait si je vous vouloie alléguer ce que je
pourroie pour vous justifier de la puissance la-
quelle les dames ont sur leurs maris. Si vous avez
envie d'en avoir tout ce qui vous esclaircira ce
point ad longum sine require, voyez ce qu'en ont
I20 DE LA PUISSANCE
escrit le docteur Cujas, 3. obs. i8 in fine; J. For-
mier I, Select, ii; Chassaigne, in suo Catalogo
gloriœmundi, parte 1 1, consiL 3 1; Bald., cons. 3 80,
col. ult.y lih. 2; Lucas Pen., in l. quicunque, col. 4.,
c. de remilit., lih. 12. Prenez, je vous pri'e, vos
tablettes et escrivez ces cottations, afin que vous
voyez si je me moque.
Mais, quand je pense à vous^ vous estes un fin
homme, Seigneur Sylvestre, seriez vous bien tel de
penser ramener en jeu ce qui a esté abrogé, cassé
et annullé, ou nous vouloir reigler et assujettir
aux droits abolis par les ordonnances postérieures ?
C'est dommage que vous n'estiez du temps
du docteur André, ad specul. Ut. qui fil. sint
legit. Fer fidem, vous luy eussiez esté un bon
support, aussi bien se trouva il acculé pour
n'avoir sceu trouver en toute son Italie ny ailleurs
qui voulut, partisant à son opinion, maintenir
que la femme n'est point en la puissance du mary.
Je vois bien que c'est : vous estes Bourguignon
Comtois, vous voulez porter la croix S . André ; et si
j'ay grand'peurque, si vous continuez vos coups,
que vostre femme ne vous enroole en la bande
Jeannine : vous ne serez Jean que pro simpUci,
vous ne le sçauriez estre double, puis que vous
avez nom Sylvestre.
Estimez vous que la puissance de la vie et de
la mort de la femme soit de présent en la puis-
MARITALE 121
sance du mary ? Ce sont brides à veaux. Que direz
vous à l'action qui estoit donnée aux femmes
contre leurs maris au cas de mauvais traictement,
de sorte que, quoy que Justinien ait voulu faire
du bon mesnager pour les masles, si n'a il peu
denier à la femme, injuriée et traictée indigne-
ment par son mary, de demander séparation?
C'est bien loin de tuer ou de battre.
— A quoy vous sert tout ce long discours, vay
je dire. Messieurs? Il semble que vous preniez
plaisir de vous contrarier et nous repaistre de vos
contradictions, comme si cela n'estoit plus clair
que le jour, qu'il faut que la femme obéisse, ho-
nore et révère son mary et luy soit sujette. Ce qui
est tellement vray que Justin, au 32 livre, nous
apprend qu'Olore, roy de Thrace, contraignit
les Daces, pour avoir esté vaincus de leurs enne-
mis, de servir à leurs femmes, en signe de servi-
tude extrême et de la plus grande contumelie
dont il se peut adviser. Puis qu'il est question de
batture, vous devez disputer si la puissance mari-
tale permet au mary de battre sa femme.
— C'est fort bien dit, respond le S^" Sylvestre :
toutesfois ce qui a couru cy dessus me sert de
beaucoup et de demie preuve pour donner au
mary pouvoir de battre sa femme. Cela sur quoy
je prens pied est que j'entens que la puissance du
mary sur la femme n'est pas moindre que du père
i6
122 DE LA PUISSANCE
sur l'enfant. Or, qu'il y ait voye au chastiment
de l'enfant, cela est plus clair que le jour. Aris-
tote, en ses Politiques, passe bien plus outre,
quand il nous advertit qu'il y a certaines nations
qui ne tiennent point plus de conte des femmes
que de leurs esclaves. Le philosophe les appelle
Barbares; pourquoy ? je ne le puis comprendre :
il devoit donc barbariser de mesmes les Romains
et autres peuples, lesquels, ainsi que j'ay dittan-
tost, avoient la puissance de la vie et de la mort
sur leurs femmes, aussi bien que sur leurs escla-
ves. Toutesfois aujourdhuy nous ne sommes en
ces termes : nous avons une reigle qui n'est point
tant rigoureuse; je ne pense point faire tort aux
femmes quand je les accouple pour ce chef avec
les enfans. Suivant ceste considération, je treuve
que plusieurs grans docteurs ont permis aux ma-
ris d'epousseter leurs femmes : Alber. Gand., in
tract, maleficioriim, tit. de pœnis reorum, col. ult.;
Bald., in l. filius, C. de patria pot.; Panorm.,m c.
cum contingat, col. vj, de foro compet. et cap. ex
transmissa post princ. de rest. spol.; D. Bonaven-.
tura, in iiij. sent. dist. 3 y, uhi etiam Richard, et
plusieurs autres, tant théologiens que juristes.
— Telle permission, Messer Sylvestre, répliqua
le S'" Barthélémy, ne doit estre emploiée qu'au
cas de nécessité, qui est lors que la femme est in-
corrigible, car autrement ne présumez pas qu'il
MARITALE. 123
soit ny loisible ny honeste au mary de battre et
outrager sa femme : le mary n'y a point d'honneur,
ainsi que tient le bon Mnée au deuxiesme de
V Enéide virgilienne.
. . . .Nullum memorabile nomen
Fœminea in pœna est , nec habet vidoria laudem.
Faut que vous soyez bien despit et en-verré
contre les femmes, que voulez leur estre plus ri-
goureux que M. Caton, lequel on disoit estre
l'ennemy juré des femmes. Plutarque, en sa Vie,
tesmoigne de luy que jamais il ne frappa la sienne,
tenant cela pour sacrilège. Pource je prise grande-
ment cette sentence, qui nous est donnée par
M. Holkot en la 54 leçon sur la Sapience de Salo-
mon. « Il faut gouverner la femme, dit il , en
mansuétude, non point avec austérité tyrannique;
par paroles, et non par coups; par amitié, et non
par crainte ; par douceur, et non par amertume. »
Auparavant luy, saint Jean Chrysostome, en la
26. homilie sur la première Epistre de S. Faul aux
Corinthiens, en donne un saint enseignement. « Je
ne dis pas, dit ce S. Docteur, qu'il faille battre
sa femme; à Dieu ne plaise, car c'est une très-
grande vilainie, non point à celuy qui est battu,
mais à celuy qui bat. Que si tu es tombée
entre les mains de tel mary, ne t'en ennuyé point,
mais asseure toy d'un loyer qui t'est appresté, et
124 DE LA PUISSANCE
d'estre prisée en ceste vie. Et vous, maris, je
vous advise de cecy, qu'il n'y ait aucun péché si
grand qui vous pousse à battre vos femmes. Que
parlé-je des femmes? Mesmes il ne faut permettre
à un homme franc de battre sa serve et esclave
et mettre la main sur elle. Que si c'est un grand
deshonneur au mary de battre son esclave, ce le
sera beaucoup d'avantage d'estendre sa main
contre la franche. Nous pouvons recognoistre
cecy par les législateurs gentils, qui contraignent
celle qui a esté battue de ne plus habiter avec le
mary, comme estant indigne d'avoir plus accoin-
tance avec elle. De fait, c'est un tresgrand tort
d'outrager comme une esclave celle qui est com-
paigne de ta vie, et t'a esté auparavant conjointe
pour tes nécessitez. Partant on peut dire que cest
homme , s'il est plustost à appeller homme que
beste sauvage, est semblable et à un patricide et
matricide, car, s'il nous est commandé de laisser
père et mère pour l'amour de la femme, ce n'est
point afin que nous l'outragions, ains à ce que
nous accomplissions la loy divine (ce qui est telle-
ment agréable au père et à la mère qu'ils en
sçavent gré d'estre délaissez, et le pourchassent
avec grande affection), commuent ne sera ce une
estrange folie d'outrager celle pour laquelle Dieu
nous commande de délaisser nos pères et mères ?«
Vous voyez la leçon qui nous est donnée par
MARITALE. 125
les théologiens chrestiens, n'estimez pas que les
anciens payens ne tinssent la mesme maxime.
Plutarque nous en fera sages, lequel, en ses En-
seignemens nociers, remarque qu'aux sacrifices de
Junon on ne mettoit le fiel, pource que Junon
estoit la déesse nociere, et pourtant ils enten-
doient que le mariage devoit estre exempt de
tout fiel, d'amertume, de colère, de courroux et
de rancune. Il y a plus, qu'un certain personnage,
pour avoir dourdé et excédé sa femme, est appelle
tyran. C. i, extra de lis quœ vi metusve causa
fiant.
De ma part, je les tiens dénaturez, ou du tout
ignorans, attendu que, s'ils se remettoient devant
les yeux qu'Eve fut tirée de la coste d'Adam, il
n'est pas qu'ils ne missent de l'eau dans leur vin,
ou ils seroient hors du sens de se outrager en
leur partie. C'est la remonstrance que fait Pierre
Lombard, livre second des Sent. dist. \%, et ibi
DD. Theologi; Hugues de S. Victor, en son
livre du Sacrement.
Ainsi donc , encores qu'on vous quitte de
gayeté de cœur la puissance qu'a le mary sur la
femme, si ne s'ensuit il pas qu'il luy soit permis
de la battre, suivant l'opinion de la Glosse, in c.
sicut alterius j, qusest. i, par la loy Consensu, c.
de repud.y laquelle permet à la femme qui a esté
battue et outragée par son mary de le répudier,
126 DE LA PUISSANCE
quitter et planter là pour reverdir : ce que Bar-
tole tient mesmes en la loy Cum satis vers, prœterea
uxor, c. de agric. et cens. Je sçay bien que Justi-
nien a corrigé ceste ordonnance des empereurs
Theodose et Valentinien : si n'a il laissé impunie
la tyrannique témérité du mary, lequel il con-
damne bailler à sa femme durant le mariage
autant que vaut le tiers de son douaire, Auth. sed
novo jure, et de repud.
Mesmes je trouve que le mary lequel a frotté
sa femme, si elleluyeschappe, et qu'après de des-
pit, animi gratia ou autrement, elle luy plante
les cornes par le meslange qu'elle aura avec un
autre, ne pourra l'accuser et gaigner le dot selon
la forme du statut , et ce suivant le conseil de
Pierre Anch. cons. 408, suivie et approuvée par
Ang. Aret. in Tract, malef., in verbo : Che mhai
adulterato.
— Vous parlez comme Dieu, Seigneur Barthé-
lémy, respond messer Sylvestre, et ne considérez
pas qu'il vous fascheroit bien fort d'estre bravé par
quelcun sur lequel vous auriez pouvoir : l'injure
est plus malaisée à supporter d'un moindre que
d'un plus gçand. Vous voyez que les maris ont
autorité sur la femme, cela est un peu difficile à
digérer, que lors qu'il luy commande, elle fera le
hochet et tout au rebours qu'il ne voudra, qu'elle
luy refuse le service que elle luy doit, ou la rede-
MARITALE. I27
vance naturelle, ou finalement qu'elle familiarise,
joue et divise avec tels qui n'agréent au mary.
Le capitaine de l'Estoile se plaind de sa femme,
de ce qu'elle luy a refusé de jouer au trou ma
Dame, qu'elle ne luy a voulu laver les pieds,
qu'elle joue aux cartes et aux taraux avec aucuns
contre son gré, et finalement qu'elle ne fait que
trotter de nuit ça et là aux bals, ballets, danses et
autres telles compaignies assez suspectes. Si vous
estiez en la place de ce bon seigneur, vous vous
tenez fort froid, maisj'ay grand'peur que per-
driez patience. Il est soldat pour la vie, et luy
fasche fort que celle qui luy est sujette vueille ainsi
luy faire la loy à crédit.
— C'en sont de belles, Messer Sylvestre; si
vous voulez mieux parler et à propos, va dire le
S^ Barthélémy, vous ne ferez que bien de recom-
mencer. Le capitaine de l'Estoile n'est il pas
catholique et chrestien ? Or entendez la leçon que
luy fait S. Jean à bouche d'or, au lieu que j'ay
tantost cité, parlant à celuyqui battoit sa femme :
« Mais ma femme, diras tu, m'y pousse. Consi-
dère que la femme est un vaisseau fort foible.
Toy mary, tu es fait son seigneur et donné au
lieu de chef à celle fin que tu portes les infirmitez
de ta sujette. Veux tu illustrer ta seigneurie, il ne
faut pas que tu te dresses contre ta sujette. »
Bref, par l'exemple du prince, qui doit tendre à
128 DE LA PUISSANCE
clémence, du laboureur, qui ne se despite point
après sa terre par ce qu'elle est chargée d'herbes
et maleficiée, il exhorte les maris à ne jetter le
manche après la coignée, car cela est coustumier,
que la femme empire aux coups. »
Messer Sylvestre répliqua : « Et que deviendra
donc le proverbe qui porte :
Qui bat sa femme, il la fait braire ;
Qui la rebat, il la fait taire.
J'ay veu les Matinées que vous avez commu-
niqué au public, Monsieur de céans : vous leur
en donnez bien dans le dos, comme aussi dans
vostre furieuse et effroyable Guerre des masles
contre les femelles. Là, entre autres preuves, j'ay
remarqué bien soigneusement vostre compte
de l'Alemand qui, pour drelotter, flatter et
mignarder sa femme, n'estoit repris que de mines
et de groins; mais, quand il eut appris que les
coups estoient proffitables à sa femme et luy ser- j
voient de médecine pour la ranger au trot qu'il ]
falloit qu'elle tint pour recréer son mary, je me 1
recommande s'il en fut chiche.
— Ainsi doncques, respondit le S^ Barthélémy,
vous voulez, Messer Sylvestre, qu'on appointe
les femmes de coups : cela est les traicter pire-
ment que les esclaves. Pour quelle occasion vous
en avez spécifié quelques unes, mais je les treuve
MARITALE. I 29
si crues que d'appréhension elles me font mal à
l'estomac.
— Ho ! ho ! va dire messer Sylvestre, en estes
vous là logé, par le sang goy, je les vous vay
délier de telle sorte que vous y mordrez comme
fait une truye en un estron (sauf le nez) . Seriez vous
bien de ceux qui voudroient conseiller aux femmes
de refuser à leurs maris de héberger leurs cour-
taux? Je vous mettroie en teste Cynus, Alberic,
Balde, Jean Faber et Salicet, sur la loy unique,
C. de rapt, virg., avec une autre bande ^de doc-
teurs qui tous tiennent pour article magistral que
le mary, bon gré, mal gré qu'en ait sa femme,
peut faire les chevauchées lors qu'il luy plaist par
son ressort et destroit. Cela a esté ordonné tant
par vertu et en conséquence du pouvoir marital
que pour couper le chemin aux adultères, où les
maris seroient contraints d'entendre par faute de
tels refus, suivant cet advertissement qu'en donne
le poète Catulle, en l'Epithalame de Julie et
Mallius:
Nupta , tu quoquCj qux tuus
Vir petet cave ne neges,
Ne pelitum aliunde eat.
Avez jamais veu ces pauvres mal-enfemmes qui
ne trouvent en leur maison pot au feu ny escuelle
lavée? Ils s'en vont aux tavernes et cabarets, où
17
l3o DE LA PUISSANCE
ils rencontrent de la viande fresche; Dieu sçait
comment ils s'y accomodent, et s'ils font ripaille
le plus souvent aux despens de leurs engroignées
mesnagieres. De mesmes font les maris ausquels
on fait difficulté de leur ordinaire.
— Là dessus je vous respons, Messer Sylvestre,
va dire le S^ Barthélémy, que ceux dont vous
parlez sont des vilains et alouvis; mais, quant à
un honneste homme, qu'il ne fera point tant de
bruit pour ces sursaillies. Pour les refus que Ze-
nobie , royne des Palmyreens, fît maintesfois à
son seigneur et espoux, nous ne trouvons point
qu'elle en ait esté plus mal menée, ou que son
mary ait trampé son pain ailleurs. Il y a plus,
que l'amitié est amoindrie des femmes alendroit
des maris lorsqu'ils les forcent à la luite du party
contre leur gré. Là dessus je vous renvoie au
jugement donné par une royne d'Arragon sur celuy
qui par jour fouloit si souvent sa femme qu'elle
en forma sa plainte. Le 48. Party amoureux vous
en donnera du plaisir.
— Quel médecin vous estes! Seigneur Barthélé-
my, respond messer Sylvestre; par bieu, vous pre-
scrivez trop le régime, que direz vous sur le refus
qui fut fait de laver les pieds? Madamoiselle Cas-
sandre (c'est le nom de la femme du capitaine de
l'Estoile) est elle trop bonne pour laver et frotter
les pieds à son mary? Elle y est tenue, suivant
MARITALE. \ 6 \
l'opinion de Jean André et l'abbé de Palerme in
c. literas ex. de rest. spol. Et pource Ennius dit :
Exin Tarquinium bona fœmina lavit et unxit.
Voire Donat tient que les femmes sont dites
uxores ah ungendo, parce qu'elles lavoient, frot-
toient et oignoient leurs maris.
— Mais vous ne dites pas, Messer Sylvestre,
répliqua le S^ Barthélémy, que ces docteurs ju-
ristes ont mis une exception, qui fait pour Mada-
moiselle Anthoinette, laquelle, estant gentil-
femme, est exempte de ce service, arg. l. interdum
D. de op. lih. A ce s'accorde Félin, in c. illud
de prœsump.; Ph. Decius, con. 202 ; Bart. Sal.
in sua summa, et la pluspart de ceux qui ont
escrit de ceste matière. Quant aux autres deux
articles, je confesse librement qu'il y a eu de la
faute de la part de Madamoiselle, laquelle ne
doit jouer à perte de finance, attendu que, selon
que les docteurs canonistes ont tresbien remarqué
in c. clerici de vita et honest. cler., et autres en-
droits, si la femme joue, et qu'elle vienne à per-
dre, le mari peut redemander ce qu'elle aura
perdu. Toutesfois , la rigueur ne doit estre tenue
telle qu'il ne soit aucunement permis aux femmes
d'estat de jouer; cela se fait pour se recréer l'es-
prit. Si le capitaine de l'Estoile presumoit que
Madamoiselle Anthoinette ne prit bien plaisir,
l32 DE LA PUISSANCE MARITALE.
après avoir travaillé toute la journée, de passer le
temps honnestement, il ne se cognoistroit pas
luy mesme ; il veut bien jouer, et sera fasché que
sa femme s'esbatte.
Je n'appreuve point aussi qu'elle aille ainsi
courir aux danses : les plus femmes de bien y per-
dent leur honneur. On sçait les tours qui s'y
font, et que bien peu retournent du bal qui
n'ayent la raye trampée, ce disoit F. Turlupin,
en son Traité De Auferibilitate dansarum. Toutes-
fois, puis que c'est la coustume que les dames et
damoiselles s'aillent regaillardir là, la pauvrette
seroit bien tenue de court si on luy faisoit tenir
chambre lors que ses compaignes prennent la bis-
caye. Il faut que le capitaine de l'Estoile ait mar-
tel in teste : ce vieil peteur, il en a bien fait en
son temps, il pense que sa femme joue des basses
marches, ainsi qu'ont fait les drolesses qu'il a
embreliquoquées.
— Trefves, Messieurs, vay je dire; laissez là
l'Estoile , sa femme et toutes ces batteries ; j'en
voy icy quelques uns qui ont plus envie de mordre
que de ruer; allons souper, il se fait tard. Apres
souper, si vous voulez, on pourra bien renouer
la dispute, et qui sera bien mieux pourmenée ,
car nous serons frais et bien nourris. Allons, mes
damoiselles, nous aurons compaignie nouvelle, et
qui vous remettra cœur en ventre. «
APRESDISNÉE IIII
DE L'ARBRE DE VIE.
Uautheur aux liseurs.
iNCOREsquele service de cesApresdis-
nées ne soit que de fort légères con-
^® fîtures pour la collation de vous au-
fefe^^ltres, Messieurs, si est ce qu'au B
ureau
de nostre Académie se rencontrèrent deux per-
sonnes qui, comme vous verrez, n'estoient point
rassasiées, ou, si elles Festoient, elles nous ap-
prirent bien qu'elles ne se contentoient de menues
beatilles. Je pensoie qu'à l'accoustumée nous au-
rions quelque thème récréatif pour esbatre nostre
disné, la qualité des parties entrées en lisse me
faisoit promettre quelque gaillardise : sur tout,
puis que le S^ Theophanes avoit affaire à Mada-
moiselle Euthelie, voire dés que je vis que c'es-
toit à grimper sur l'Arbre de Vie, je beoye pour
voir s'ils secoûeroient point un petit coup. Jamais
l34 DE l'arbre DEVIE.
je n'eusse pensé qu'il eussent enfoncé la matière
si avant, et que leurs aisles eussent peu les guin-
der au dessus du coupeau. Du commencement
que je vis qu'on ne nous jettoit point des pommes
cupidiques, et qu'on vous encornoit les ergo-
tismesàla philosophique, je pris envie de rompre
la partie, estimant qu'ils vouloient bucheronner
le Bois de Vie, qui fust appresté par le docteur
Raymond Lullius, à la requeste de Demogorgon ;
mais, comme j'apperceus que toutes les intentions
transcendenteles de Lullius estoient encores au
dessous la plus basse branche de cest Arbre de
Vie, je commence à serrer gentiment mes consi-
dérations pour escouter la resolution que nous
apporteroit ceste apresdisnée. Mais tous ceux de
la compaignie ne furent de mon humeur. Il y en
eut trois ou quatre, qui environ trois quarts
d'heure ne firent point de difficulté de prester
leurs aureilles tant au seigneur Theophanes qu'à
Madamoiselle Euthelie; après, ils faisoient mine
de vouloir jouer à la débandade. Toutesfois, de
peur de tomber en l'amende qui, du commun
consentement de nous tous, avoit esté prescripte
alencontre de celuy qui faulseroit compaignie,
force leur fut de tenir bon jusques à Plaudite.
Quand tout est dit , l'heure du souper estoit fort
avancée alors que l'assemblée se départit , et ceux
qui ne s'estoient voulu ranger en nostre Acade-
DE l'arbre de vie. i35
mie avoient esté si mal gracieux qu'ils nous avoient
à demy passé compaignons : cela faisoit renas-
quer nos impatiens, qui, après avoir donné une
fort brusque charge sur le reste du souper, por-
tèrent troigne de se vouloir formaliser alencon-
tre de Madamoiselle Euthelie, luy reprochans
qu'elle estoit de la qualité des créatures qui ne
faillent point par le bec , que c'estoit merveilles
que la langue du seigneur Theophanes avoit peu
la contanter et luy faire perdre parole; bref que,
par cy après s'ils avoient fantasie de tenir si long
discours, ils prissent autre heure. La doucette
d'Euthelie, comme elle a l'Œil d'avis, preveut
bien que le taire luy estoit fort séant, et que,
puis que ces mal-contans avoient l'estomac vuide
et affamé, ils estoient colères, chagrins et rechi-
gnez, et pourtant eussent peu luy jetter quelque
propos à la traverse, qui n'eust peu estre relevé
sans querele. De ma part, comme j'estoie affec-
tionné à l'Œil d'avis, et que d'ailleurs j'estoie
aussi grand seigneur pour le moins chez mon
père que le charbonnier en sa logette, je pris la
parole et leur tins ce langage :
« Je sçay bien, Messieurs, que vous ne vous
reiglez à mon ordinaire, et que, bien que je me
puisse passer de souper, il faut que vous chargiez
le soir vos pièces; si faut il que je parle à vous.
Qui a eu plus de peine, ou vous d'escouter à
ï36 DE l'arbre de vie.
vostre aise, ou le S^Theophanes et Madamoiselle
Euthelie de nous repaistre nos aureilles de si
saincts et beaux discours touchant la béatitude?
Vous avez la plus part dormy : qui dort il disne;
et, quand vous ne boiriez ou mangeriez de
trois jours, n'estimez vous point d'avantage la
descouverte de l'Arbre de Vie qui nous a esté
faite que quelques repas : vous les pourrez recou-
vrer, mais non point le S^" Theophanes, ou l'Œil
d'avis de Madamoiselle Euthelie. Vendredy der-
nier, Messieurs, vous fustes si patiens à ouir les
S''^ Panthaleon et Alexandre, c'estoit aujourdhuy
dimanche en nostre parroisse; il n'y a point eu
de prédication : voicy le S^ Theophanes et la belle
Euthelie qui ont suppléé à ce deffaut. »
Geste remonstrancelesabbatitsi fort que, tout
du long du souper, pas un d'eux n'osa lever les
yeux pour me contempler en face, recognoissans
qu'à juste occasion je les taxoie de mescognois-
sance. Cela fait, bénévole liseur, que je m'as-
seure que ceste apresdisnée te sera agréable. Tu
as cest avantage sur nos mal-contans, que tu pour-
ras à loisir la lire à divers traits, sans estre né-
cessité de passer ceste lice tout d'une course.
Voicy Madamoiselle Euthelie qui ouvre la dispute
de ceste quatriesme apresdisnée, après avoir fait
et receu toutes les révérences et salutades que sça-
vez trop mieux que je n'ay délibéré vous dire, estre
DE l'arbre de vie. 187
en tel cas nécessaires et requises; mais ce fut
d'une si bonne grâce qu'elle fît l'entrée qu'il n'y
eut aucun de la compaignie qui ne s'en trouvast
merveilleusement satisfait; non point tant pour
la hardiesse qui l'encouragea de se fourrer ainsi
asseurement dans nostre Académie que pour sa
gentillesse et sous-ris à demy perdu, qui, afin que
je ne mente point devant les menteurs, quia om-
nis homo mendax, outre l'affection que je luy
portoie, qui me faisoit trouver bon tout ce qui
venoit de sa part, m'extasoit d'admiration que
j'avoie des grâces qui esmailloient le cristal de
l'Œil d'avis. Or voicy la belle Euthelie qui com-
mence à entrer en discours.
« Vous ne trouverez point, ce croy je, mau-
vais. Messieurs, va elle dire, que, sur ceste rele-
vée, j'aye laissé mes compaignes pourmejetter
parmy vous, afin de passer, si je puis, joyeuse-
ment avec vous ceste apres-disnée. Il y a fort long
temps. Seigneur Theophanes, que je bée après
le discours que m'avez autrefois ouvert et promis
poursuivre touchant les vertus morales; je vous
prie, comme m'avez fait ceste promesse volontai-
rement, que l'effect en soit nécessaire. Je me sou-
viens (vous me permettrez, s'il vous plaist, dire
ce mot) avoir leu que les promesses sont de vo-
lonté, mais que l'exécution, acquit et accomplis-
sement est de nécessité.
18
i38 DE l'arbre de vie.
— Madamoiselle Euthelie, vay je lors dire,
vous avez raison , et ne pouvez estre esconduite
d'une si juste et honneste semonce. De moy, si
je ne pensoie faire tort à autruy, ou bien si je ne
craignoie que mon hardiesse vous desagreast, je
m'offriroie tres-volontiers, pour vous en donner
contantement au moins mal que je pourroie.
Quand au S^" Theophanes, je le vous pleuvis pour
tel que, puis qu'il vous a donné la parole, sans
faute il vous tiendra sa promesse.
— C'est bien dit, respond le S'" Theophanes,
il y a quelque temps, Madamoiselle Euthelie,
que j'ay désiré vous faire voir combien de prés
l'art suit la nature. Ce que je vous monstroie par
l'expérience, que naturellement je prenoie riere
vous et moy aussi, comme aussi vous sçavez très-
bien que confusément tout ce qui tombe sous les
disciplines par le moyen de la lumière qui natu-
rellement nous est coessencielle se parfait après
en nostre ame, lors que nous y adjoustons de de-
hors l'ordre, qui dépend de l'art et des préceptes,
ainsi que vous pouvez le vous représenter, si vous
considérez que, venant sur le soir à jetter confu-
sément vostre veuë dans le ciel, une masse de lu-
mière indistincte procédant de tant d'estoiles se
présente à vostre œil, et puis peu après, par l'as-
siette des rayons estendus vous commencez à dis-
cerner avec ordre et par l'apparence, ne cognois-
DE l'arbre de vie. I 89
sez pas seulement la différence des grandeurs,
mais encores plus particulièrement estes informé
de la vivacité brillante de leur clarté. 'La raison de
cela vient de ce que tout ce qui est opposé à
nostre veue ne peut estre veu tout à la fois, ainsi
qu'Euclide l'a demonstré au premier théorème de
son Optique. Tout de mesmes en advient il de
l'ordre des sciences; au rapport que l'on pourroit
en faire de nature. Cela fait que je ne rejette du
tout l'opinion de ce grand personnage, lequel
estime que nostre sçavoir ne soit qu'une res-
souvenance , encores que l'autorité de plusieurs
autres me force de ne l'approuver universellement
et sans restrictions. Toutesfois, par ce que de
vous mesmes vous pourrez estre assez esclaircie
sur ceste différence par la suite des discours que
j'ay bonne envie tenir avec vous pour ceste apres-
disnée, je vous diray, premier que d'y entrer plus
avant, que je n'ay jamais manqué de volonté pour
satisfaire à ce que vous me demandez ; m.ais j'ex-
périmente presque ordinairement que l'homme
est certainement bien maistre de sa langue, qu'il
luy fait jouer tout ce qui luy plaist, et qu'il peut
avoir la meilleure volonté du monde, qu'elle de-
meurera ineffectuée si quelque mes-aventure vient
à traverser parmy ses actions.
— J'aime bien mieux, respond Euthelie, vous
advouer cela pour le coup qu'esgarer la matière ,
140 DE LARBRE DE VIE.
VOUS y contredisant, comme je pourroie : la ma-
tière est propre, le subjet beau et ample; mais,
par ce que la question est de si légère consé-
quence, qu'en peu de temps on puisse monstrer
si l'homme est maistre de ses actions, ou bien s'il
fait sa course à l'aventure ou estant conduit par
quelque nécessité supérieure, je passeray ce point
sans m'y arrester, afin que vous puissiez pour-
suivre vostre pointe.
— J'en suis trescontent, Madamoiselle Eu-
thelie, respond le S^ Theophanes, encores que je
ne me promette pas de justifier par preuves par-
ticulièrement tout ce que je puis avoir proposé
comme en passant, non pas pris de mon creu,
mais de l'opinion d'un Persien. Et suis bien d^avis
que, sans insister sur cest accessoire, nous tas-
chions à vuiderle principal, lequel pour la gran-
deur du sujet nous déduirons.
— Il me semble. Seigneur Theophanes, répliqua
la belle Euthelie, que, pour éviter la confusion ,
qui s'engendre bien souvent de la variété des opi-
nions irrésolues, il sera meilleur de passer seule-
ment par dessus, et recueillir en forme de som-
maire de ce divers meslange, comme font les
abeilles le miel de la diversité des fleurs , la vraye
méthode que nous y devons observer; laissans
cependant le champ ouvert à l'Académie pour en
décider suivant cest ordre, si vous trouvez, Mes-
DEL ARBRE DEVIE. 14I
sieurs, que je le prenne bien de ceste façon.
— Ce n'est point d'aujourdhuy, Madamoiselle
Euthelie, dit le seigneur Theophanes, que j'ay
eu preuve certaine de vostre prudence : sur ceste
créance, je commenceray, et, puis que nous avons
destiné ceste apresdisnée pour dresser, hausser,
et altiffier un Arbre de Vie, nous départirons pre-
mièrement la vie de l'homme en trois degrez, à
sçavoir, de la vie contemplative, active et factive,
encores que plusieurs, pour dicotomier, soient
bien contens de ranger la dernière avec la se-
conde; mais, puis que c'est une opération de
l'ame, à laquelle le corps sert d'instrument, et la
plus propre pour nous mener à la considération
des sens, afin de procéder par les voyes qui nous
sont les plus communes et familières, aux autres
plus estranges et esloignées, nous ne ferons pas
de difficulté de la mettre au troisième lieu. Et,
comme l'homme est image du monde comme
cestuy ci l'est du Dieu souverain, nou: dirons
que l'homme artisan imite Dieu artiste de l'uni-
vers. Ainsi l'homme moral est représenté en son
ame pour patron comme prévoyant et sage dis-
pensateur de toutes choses : le contemplatif le
nous représentera en son entendement comme
séparé de toutes affaires, vivant en soy, de soy,
et par soy tressuffisant ei tresheureux en tranquil-
lité. Partant, comme la perfection de tout con-
142 DE LARBRE DE VIE.
siste en trois, nous conclurons que la vie hu-
maine, parfaite œuvre entre les dons de Dieu,
doit estre divisée en trois, dont les extrêmes, au-
tant difîerens de dignité de sujet qu'en ordre et
place, ainsi que tout s'entretient par un moyen
et milieu, aussi se trouveront ils ensemble unis,
alliez et accouplez par la liaison du second, qui ,
pour participer de la nature de l'un et de l'autre,
les peut comme réduire et rejoindre en un. Les
factions ne sont que les mestiers et besoignes
mechaniques, appartiennent comme plus viles et
abjectes au plus bas. Le second estage est des
actes, actions et choix; et les sciences et spécula-
tions se rapporteront à la souveraine, qui est la
contemplative. Cela supposé , nous définirons la
vertu morale estre une reigle de bien vivre, la-
quelle on peut entretenir par longue accoustu-
mance, et de laquelle les premières semences
naissent avec nous, faibles voirement et petites,
comme le sont toutes choses de leur entrée et
commencement, mais, estans cultivées avec art et
soin, avec le temps prennent accroissement, lustre
et beauté, non point trop aisément, car l'estude
et opération de la vertu n'est pas de moindre dif-
ficulté que les arts. Somme, que c'est une cer-
taine imitation de l'homme à Dieu, par laquelle
il tasche de se conformer à la divinité par l'a-
proche et imitation qu'il en fait, comme au con-
DE l'arbre de vie. 148
traire le vice n'en est qu'un esloignement, ou
plustost délaissement, à cause de son inclination
dépravée par la corruption séminaire depuis le
premier péché.
— Voire mais, Seigneur Theophanes, réplique
belle Euthelie, il m'est advis qu'avant de mons-
trer que c'est de la vertu, il seroit bon de sçavoir
à quoy elle sert, et si c'est pour nous que nous la
recerchons, ou bien pour l'amour d'elle, ou bien
si, passant plus avant, elle ne nous sert que d'es-
chelle, planche ou moyen pour parvenir à un
plus grand bien : car il est bien vray- semblable
que, considéré en soy et nuement, il n'y a pas
grand bien ny plaisir à s'abstenir des choses qui
pour le moins ont bien apparence d'estre bonnes,
et, par manière de dire, violenter nostre nature,
luy déniant volontairement, pour l'amour de la
tempérance et de la courageuseté, ce que bien
souvent elle affecte le plus. Et vous sçavez que
l'on monstre plustost la qualité de la chose que
l'on ne persuade à l'embrasser ou délaisser. Con-
tentez moy donc, s'il vous plaist, en cela, et que
je sçache si c'est le seul bien de l'homme que la
vertu; après toutesfois que vous aurez dit, comme
en passant, s'il y en a une ou plusieurs en es-
sence , et en quoy elle consiste.
— Je n'avoie pas garde, Madamoiselle Euthe-
lie, d'oublier cela, non plus que l'architecte les
144 ^E LARBRE DE VIE,
plus fermes et plus solides pierres de son fon-
dement sur lequel il veut bastir. Ainsi , comme
la fin est la plus noble de toutes les causes, comme
celle pour l'amour de laquelle toute autre chose
se fait, aussi faut il considérer premièrement s'il
y a une fin aux actions humaines pour laquelle
seule toutes autres choses s'entreprennent. En
ayans trouvé une, nous passerons plus avant à la
recerche de la qualité dequoy, pourquoy et en
quoy proprement elle consiste. Ayans doublé
ceste pointe, nous n'aurons qu'à adviser des
routes, rades, moyens et sentiers, pour nous ache-
miner droit où nous tendons. Si bien que nous
toucherons aisément au port, où vous desirez
entrer, tant de temps y a, avec la cognoissance
des raisons qui doivent servir de gouvernail en
la vie. Or, parmy ceux qui ne peuvent giroûetter
la conduite de cest univers au vent de l'aventure,
les mieux advisez ont confessé, d'un commun
consentement, que, comme nature ne défaut ja-
mais es choses nécessaires sur lesquelles elle pré-
side, de mesmes ils advouënt qu'elle n'a rien fait
vainement, mais tout à quelque intention : ce qui
toutesfois adviendroit s'il ne se trouvoit point de
fin en ce qui dépend d'elle; mais, puis que le
contraire se monstre en tout, de tout, et par tout
ce qui a eu commencement par génération, créa-
tion et faction, il s'ensuit bien nécessairement
DE l'arbre de vie. I45
que tout ce qui se fait tend à quelque fin. J'ap-
pelle fin ce pourquoy nous commençons et pour-
suivons tout ce que nous faisons. Pour preuve de
mon assomption, je neveux que vous mesmes,
Madamoiselle : vobs me recerchez afin de sçavoir
que c'est de l'Arbre de Vie, des fruits qu'il porte,
des mœurs ; vous les apprenez afin de les pratiquer ;
vous les pratiquez afin d'avoir la belle et divine
vertu ; vous possédez la vertu afin d'en avoir re-
cognoissance. En ce pouvez remarquer, non pas
une fin seulement, mais autant comme il y a
d'actes, les uns contenans et contenus parmy
les autres. Vous trouverez le mesmes en toutes
les opérations naturelles, si vous supposez que
nostre intention procède ainsi de fin en fin jus-
ques à la dernière qu'elle s'est proposée la pre-
mière. Et ne faut point douter que les supérieures
ne soient les plus excellentes, comme celles pour
le seul respect desquelles toutes les autres sont
désirées. Cela advoué, il faut bien recevoir pour
chose toute certaine que, comme nous faisons
toutes choses pour le respect de la fin où nous
prétendons, de mesmes aucun, ne souhaitant na-
turellement que ce qui est bon, ne se peut pous-
ser vers la fin imaginée, sinon entant que réelle-
ment elle est bonne , ou pour le moins que sur le
front elle porte l'image de bonté, soit qu'elle se
considère pour le proffit, soit que ce soit pour le
19
146 DE l'aRBR^E de vie.
plaisir et pour l'honnesteté, car les opérations de
nostre volonté se rapportent par force à l'une
des trois, ou aux trois ensemble. Ce qui se void
assez à clair, non point seulement aux commerces
publics, mais encores en tout art, doctrine et
choix, lesquels chascun se propose estre son bien
comme la seule vase de leur labeur. De cecy de-
meure vérifié que la fin et le bien n'est qu'une
mesme chose, gardant ceste proportion que le
particulier soit rapporté à la particulière et l'uni-
versel à l'universelle.
— Seigneur Theophanes, vous avez bien mons-
tre, va dire la Damoiselle Euthelie, que presque
toutes nos actions sont guindées à leur fin ; mais
je n'ay sceu comprendre, par ce qu'avez déduit,
qu'il y ait une fin souveraine à laquelle toutes les
autres viennent abboutir, ainsi que toutes les
lignes qui divisent le cercle en deux égales moi-
tiez se peuvent terminer au seul centre, capable
par sa nature de les recevoir toutes.
— Il est vray, belle Euthelie, respond le S^'
Theophanes; mais, si je l'ay différé jusques en ce
lieu, c'est que l'ordre ne l'avoit pas plustost re-
quis. Nous dirons donc, en le reprenant, que,
lors que nous desirons quelque bien, c'est pour
limiter et borner nostre appétit en ceste posses-
sion, ou pour nous servir de moyen d'en possé-
der un plus grand. Or, il est manifeste que pas
DE l'arbre DE VIE. 147
un de ces deux ne sera la dernière fin ny le sou-
verain bien, si, après que nous les aurons obte-
nus, nous pourchassons à d'autres au delà. Mais,
puis qu'en la nature nous ne pouvons recevoir
rien de vain ny d'infiny, il se faut résoudre que
nostre désir, ne pouvant par progression infinie
estendre sa portée, arrive finalement à un point
outre lequel ne luy soit donné passage. Ce poinct
s'appellera fin extrême, laquelle nous considérons
telle nécessairement que , comme le bien univer-
sel est l'object de la volonté, aussi faut il qu'elle
soit l'object où toutes choses regardent, comme
celle qui est tousjours désirée par soy et non par
autre , et qui seule de soy a puissance de nous
ravir et comme embraser d'amour de recercher
sa possession, comme l'unique et seul aise et re-
pos de la vie humaine, à la comparaison de la-
quelle tout autre bien se peut plus proprement
nommer apparence, fumée, ombre et image que
réelle vérité d'essence. Cela donc sera nostre sou-
veraine fin et nostre souverain bien.
— Ah! que je suis satisfaite de vous, Seigneur
Theophanes, va dire la belle Euthelie ; il me sem-
ble qu'il ne reste plus rien à esclairer pour vostre
premier chef. C'est à ceste heure que vous me di-
rez que c'est de ceste souveraine fin.
— Si je n'avoiè envie, Madamoiselle Euthelie,
respond le S^ Theophanes, que de m'acquiter de
14B DE l'arbre DE VIE.
la promesse que je vous ay fait, en un mot je vous
payeroie, vous disant seulement que la félicité est
le souverain bien de la vie humaine. Car tous les
philosophes sont voirement bien d'accord entre
eux que ce nom doive convenir à ceste fin ex-
trême, à laquelle toute autre chose se raporte ,
dans laquelle toute autre chose est contenue , et
pour laquelle toute autre chose consiste; mais
quelle puisse estre, le vulgaire n'en est pas seu-
lement appointé avec les sages, mais encores
ceux cy entre eux sont à en poursuivre l'arrest
final du différent et mesaccord que pour ce ils ont
ensemblement. On peut les départir en trois li-
gnes : la première establissoit la volupté corpo-
relle pour souverain bien; la seconde se propose
la vertu universelle, accompaignée toutesfois de
la saine disposition du corps et des biens de la
fortune; la dernière maintient à cor et à cry
que l'unique vertu estoit suffisante pour rendre
l'homme heureux, quoy qu'en apparence il sem-
ble estre malheuré d'afflictions et oppressé par le
feu, le fer et l'eau. Eudoxe, Aristipe, Democrite,
Epicure et les autres, qui en ce banquet se sont,
par manière de dire, enyvrez dans une mesme
coupe; encores qu'au reste leurs sages et notables
sentences qu'ils ont laissé à la postérité monstrent
qu'ils estoient grans personnages, si se sont ils
lourdement abusé en ce qu'ils ont estimé qu'il n'y
DE LARBRE DE VIE. 1 49
avoit rien de plus excellent et recommandable en
l'univers que le sens commun et les vertus que
Tame exerce par le moyen des organes corporels.
Et, comme le commencement d'une erreur est un
continuel achoppement à plusieurs autres, aussi
ont ils inféré de ceste fausse persuasion qu'en la
mort du corps il y avoit entière dissolution et ré-
duction à néant de tout le suppost composé. Par-
tant, ayans considéré que les principes de fuir et de
désirer quelque chose sembloient naistre en nous
de la douleur et de la volupté, ils convioient et
exhortoient bien à la vérité leurs auditeurs à quel-
ques bonnes mœurs, comme de ne craindre la
mort ny ne la désirer, de n'usurper rien sur au-
truy, de recercher et s'estudier à cela qu'on ves-
quist en tranquillité. Mais, puis que la nature es-
sentielede l'homme, selon leurs hypothèses, avoit
ses limites du berceau au tombeau, il falloit bien
qu'ils logeassent leur félicité en l'effect de ces
mots :
Courage ! boy, mange à toute heure
Et joue selon ton désir,
Puis qu*aprés la mort ne demeure
Aucun sentiment de plaisir.
Et, à la vérité, n'ayans autre guide qui esclairast
à leur vie que la nature sensible, ou paravan-
ture, pour mieux dire, n'en ayans voulu recevoir
l5o DE l'arbre DE VIE.
d'autre, ils estoient excusables d'outrepasser ce à
quoy elle les incitoit. Voila comme leur félicité
estoit boiteuse, bigerre, dépravée et contrefaite,
qui me fait ressouvenir de ces météores lesquels
s'engendrent en l'air, lequel, pour estre incapable
avec son inconstance de recevoir en son sein les
générations des corps parfaits, encores qu'il n'ait
faute ny de matière ny de cause efficiente, les va-
peurs et exhalaisons luy estans préparées pour
l'une, les rayons des astres, mouvement du ciel
et chaleur luy servans pour l'autre, ne produit
toutesfois bien souvent rien que des légères im-
pressions qui ont beaucoup plus d'apparence que
de réelle subsistence. Telle resverie,quoy que dés
fort long temps elle ait esté sifflée et moquée es
escoles, et renversée de fonds en comble, a esté
neantmoins resveillée par quelques uns, que de-
puis les ont suivi et tasché à imiter non moins en
la doctrine qu'en la pratique de leur vie, lesquels
ont pris une peine incroyable de rappuyer,
comme sur des pilotis ou colomnes, ce fantastic
bastiment, se parforçans à nous donner autre in-
terprétation aux paroles de leurs devanciers que
ne fut jamais leur conception. Toutesfois, par ce
que ce ne sont que fadaises et niaiseries qui ne
méritent pas que nous emploions du temps à les
esplucher, je les lairray en leur estable, m'asseu-
rant que les tenez pour veuës, et m'achemineray
DE l'arbre de vie. i5i
vers Aristote, Theophraste et la bande Peripa-
tetique, parce que la seconde opinion est de leur
creu.
Ceux cy donc, comme ils avoient plus d'enten-
dement et de raison que les autres , ont estimé
que la pratique de la vertu estoit la vraye béati-
tude de l'homme. A ce meus et poussez, pour-
autant que, comme l'homme estoit le plus noble,
le plus parfait et le plus excellent de tous les ani-
maux, il sembloit nécessaire d^inferer que ses
opérations, proportionnées à telle dignité , luy
dévoient estre propres et non communes avec ce
qui luy estoit inférieur en toute chose comme en
espèce. Or ils voyoient bien que l'estre simple-
ment appartenoit particulièrement aux elemens
et aux minéraux; l'estre et vivre, aux arbres, aux
plantes et aux vegetables; l'estre, le vivre et le
sentir, aux animaux despouillez de parole , de
raison et d'intelligence; restoit donc, puis que
l'homme leur estoit supérieur en tout degré de
prééminence, qu'il eut quelque chose de propre
par sur eux, laquelle tesmoigna de quoy, en quoy
et pourquoy il estoit né; et c'estoit la divine
raison, selon laquelle celuy qui reigloit sa vie et
ses deportemens, et qui usoit d'elle bien et deue-
ment, il faisoit indubitablement ce pourquoy il
estoit né, et en la pratique et l'exercice d'une si
bonne, si belle et si naturelle vie, ils attachoient
l52 DE l'arbre de VIE.
ceste béatitude. Mais qui leur eut demandé s'il
estoit en la puissance du sage de la posséder en
possédant la vertu, je croy qu'ils eussent esté
bien empeschez à respondre à ceste question,
sans mettre en avant beaucoup de difficultez,
car, ô bon Dieu , se peut il faire que l'homme
qui seroit bien sage et entier, de bonnes mœurs,
et au reste accomply de toutes les bonnes parties
qu'on sçauroit désirer, se peust dire bien heureux
et content lors qu'il est estroitement enchainé
dans les Chartres et cachots obscurs d'une prison;
lors qu'il se void, par l'injuste commandement
d'un tyran, estre conduit au supplice, les siens
dégradez ignominieusement de tous honneurs
et déclarez inhabiles de jamais y parvenir; ou,
qui est encores plus dur à supporter, de voir
brusler son patrimoine, périr, violenter et ou-
trager sa chère compaigne, ses enfans exterminez
par le glaive, et après, pour le comble du mal-
heur, se voir reléguer soymesmes en exil, ne
ayant aucune chose continuellement devant ses
yeux que le tragique spectacle de la mort des
siens, qui se représente à tous poincts en sa mé-
moire, et, au partir de là, qu'on luy vienne à
oster la ciguë, le cousteau et les précipices, pour^
se défaisant, se délivrer de misère et ennuis. Ap-
pellerez vous cela félicité, Madamoiselle? C'est
pourquoy ils disoient que la vertu seule ne suffi-
DE l'arbre de vie. I 53
soit pas pour bien et heureusement vivre ; et fu-
rent ces philosophes contraints distinguer trois
sortes de bien, dont l'un se trouvoit en l'esprit,
l'autre dependoit du corps, et le dernier de la
fortune. Le premier, le plus grand, le plus digne et
le principal bien, auquel ils donnoient Famé pour
siège, repaire et retraite, contenoit seul le fonde-
ment, voire toutes les parties intégrantes de la
félicité, ne plus ne moins qu'un édifice est ré-
puté parfait quand il a le base, ses murailles et sa
couverture, encores qu'outre cela il ait besoin de
meubles, utensiles et autres particularitez qui
servent à embellir, parer et enrichir le bastiment.
Ainsi la vertu sembloit bien estre suffisante de
soy pour constituer la béatitude, attendu qu'elle
estoit le vray bien de l'homme; mais elle avoit
affaire, comme d^adjoints et instrumens externes,
des biens du corps et de la fortune, non point
tant pour luy donner lustre ou que d'eux mesmes
ils fussent capables de parfaire la vie h^.ureuse,
comme pour estre moyens qui destournassent
l'empeschement de ses sainctes opérations, és-
quelles seules gist toute la béatitude. Car il est
bien vray-semblable que l'ame logée dans un
corps persécuté ou de maladies ou de supplices
ne sçauroit bien exercer la vie contemplative,
laquelle doit estre en recoy, rassise et en tran-
quillité; non plus qu'elle ne pourroit se monstrer
20
i54 DE l'arbre de vie.
libérale ny officieuse envers ses amis, ou pour le
bien public, tant que l'homme seroit relégué en
une isle déserte comme banni et orphelin des
faveurs de fortune.
— A ce compte, répliqua Madamoiselle Euthe-
lie, Seigneur Theophanes, tout homme, en quel-
que vacation où il puisse estre appelle, peut bien
acquérir la possession de la vertu et de la sagesse,
mais de s'exempter d'estre misérable sans les biens
extérieurs, qui sont comme coadjuteurs, il ne se
peut faire aucunement, ce me semble , et partant
ils ne peuvent jouir de la félicité souveraine.
— Cela est bien vray, belle Euthelie , respond
le S'" Theophanes, que le sage ne se peut dire
misérable, car l'habitude de la vertu, qui luy sert
de boulevert, empesche qu'il ne soit qualifié d'un
si tresinfame titre, mais aussi de nommer un
homme heureux parmy un monde de calamitez,
il faut que vous demeuriez d'accord avec moy
qu'il n'y a aucune apparence. Car si la vertu est
désirable universellement, contente et suffisante
de soy et pour tous ceux qui la possèdent, j'es-
time que la vie embarrassée de toutes parts d'af-
flictions, comme elle n'est souhaitable, aussi elle
ne peut estre bonne ny bien heureuse , selon l'o-
pinion de messieurs les Peripateticiens. Voila
deux bandes vérifiées: il nous faut donner dedans
la troisiesme, de laquelle nous faisons chef et
DE l'arbre DE VIE. l55
capitaine Zenon, par ce qu'il en a esté le premier
auteur, et que tous les Stoiciens ne semblent
avoir fait la ronde que sous son mot du guet.
Ceux cy, voulans rendre la vertu plus rare et
plus belle, la resserroient dans des réservoirs
moins libres et spacieux , ne mettans au devant
de son repaire, ainsi qu'ont fait plusieurs au-
tres, des tapisseries et parures de voluptez cor-
porelles, non plus que l'air fredonné de la musi-
que propre à esmouvoir les sens et ravir l'ame
par allechemens, encores que par tout on vit dis-
posée la belle et divine harmonie, consistant de
proportions, nombres et mesures, le son n'estant
point tant entonné pour contenter l'aureille sen-
sible comme pour retenir l'entendement extase
en admiration sur celuy lequel en est l'auteur et
le principe ; mais, plus sévères et plus rigoureux,
ils l'adoroient et la faisoient reluire plus belle,
plus excellente, plus généreuse, et, comme à la
vérité elle estoit, immortelle parmy les flammes
dévorantes, les glaives homicidiers et les précipi-
tantes persécutions. Ce qui d'avantage les esmou-
voit à une si hardie resolution estoit l'asseurance
qu'ils avoient que cela se devoit seulement dire
bon qui seul estoit honneste , et ils appelloient
honneste tout se qui se faisoit bien , louablement
et selon la vertu parfaite. Ainsi ils reputoient
sale, laid et indigne, de vivre craintivement,
i56 DE l'arbre de vie.
luxurieusement et follement, et appelloient la
vie belle, bonne et honneste, laquelle estoit ac-
compaignée de magnanimité, de continence et de
prudence, nians fort et ferme que les commoditez
du corps et de fortune peussent rendre meilleur
le sage, ny au contraire l'empirer, attendu que la
figure ronde, qui n'a que la surface, n'est pas
appellée cercle pour estre d'or ou d'autre matière
(cela ne luy advenoit que par accident), ains pour
avoir conformité à la définition qui luy appartient
proprement et par soy. De mesmes, la seule vertu,
sans les autres circonstances qui se treuvent aux
biens extérieurs, suffît en telle sorte, pour bien
vivre, que ny la prison, ny la perte des biens, ny
la mort mesmes la plus violente, ne luy peut oster
la possesion de ceste félicité. Par ainsi, en leur
secte, le seul sage estoit libre roy, dépendant tout
de soy et foulant aux pieds (par manière de dire)
tous les accidens humains que l'injure du temps
et calamité du Ciel peuvent apporter pour affli-
ger , avec ceste ferme , constante et asseurée
resolution en l'ame que rien de cela, ny bannis-
sement, ny pauvreté, ny douleur, ne peuvent luy
estre et causer mal, car, comme il n'y a rien de
bon que ce qui est honeste et vertueux, ainsi il
n'y a rien de mauvais que le laid, le deshoneste
et le vice, qui ne peut aucunement empiéter sur
le sage.
DE LARBRE DE VIE. iSj
— Je m'esbahis grandement, mon gentilhomme,
va dire la belle Euthelie, de l'aveuglement de ces
pauvres gens des siècles vieux, qui, se trainans à
taston, comme les enfans, après la recerche de la
vérité, se sont si souvent égaré sous la conduite
de leur foible et vaine raison que,jaçoit qu'ils
tinssent pour principe stable que la cognoissance
du vray ne se pouvoit trouver que par une ligne
droicte, comme la butte de l'archer, ils se sont
neantmoins opiniastré à faucher et traverser par
desvoyes obliques et contredisantes, de sorte que
n'est de merveilles s'il y a tant d'incertaineté en
leurs opinions touchant ce qui s'esloignoit un peu
de leur sens. Et, afin que je puisse voir plus à
clair leur imbécillité en la contrariété de leurs ju-
gemens, dites moy, beau sire, je vous prie, en
passant, sur quoy ont peu estre fondées tant de
sortes de béatitudes que l'on s'est forgé par le
passé.
— Tout l'erreur, Madamoiselle, respond le S''
Theophanes, est procédé de l'ignorance de la
vraye et pure définition de la volupté. Or, en-
cores qu'il ne serve pas d'un bouton de sçavoir
ceste absurde variété, si est ce que, pour vous con-
tanter, je vous diray que Pyrrhon et ses partisans
n'ont peu advoûer qu'il y eut aucune béatitude.
Epicure l'a establie en la volupté et l'absence de
douleur. Crœsus l'a fondé sur les richesses. Pe-
1 58 DE l'arbre de vie.
riandre le Corinthien afferme que c'est l'honneur.
Socrates veut que ce soit la seule science ; Platon,
l'idée; Orphée, sous sa feintise de Narcisse, en-
tend que ce soit la beauté. La force et roideur du
corps tient lieu de souverain bien à Milon Cro-
toniate. Zenon ne la trouva ailleurs qu'en la seule
vertu et au seul sage. Bion de Borysthene tendoit
à la prudence, Bias à la sapience ; Thaïes Mile-
sien adoroit souverainement ce qui estoit com-
posé de ces deux. Pittaque soustient que le bien
faire et l'estre heureux est mesme chose. Aristote
ne reçoit que la pratique et opération de vertu
pour félicité. A ces opinions on en pourroit ad-
jouster une formilliere d'autres deffectueuses et
moquables, comme la plus part de celles qui pren-
nent leur source de ce que chacun affecte le plus
particulièrement. Tout malade estime que la santé
soit souverain bien; vous, que la perfection de
jouer du luth qu'avez en possession, avec la grâce
de bien dire, vous bien-heurent ; et moy je me
fais accroire (ah! que^ne suis je pas seul en
Beausse ! ) que la bonne grâce de celle que je res-
pecte pour l'Œil d'avis anagrammatisé me cause
une félicité. Bref, nous ressemblons pour la plus
part, quand est du jugement que nous voulons
faire de nostre béatitude, à ceux qui, regardans
par une verrière jaune, se persuadent qu'en hy-
verle tapis de la neige soit jaune, ou en esté que
DE L ARBRE DE VIE. I Sç
la verdure de leur pré sente sa jaunisse. Mais,
Madamoiselle, vous ne me dittes point laquelle
de ces opinions vous contente le plus, si tant est
qu'il y çn ait aucune qui vous semble passable-
ment bonne.
— Seigneur Theophanes, que voulez vous que
je vous die, respond la belle Euthelie, sinon que,
comme naturellement toute créature désire le
bien pour sa perfection, et comme le plus proche
de nos sens est celuy qui a le plus de puissance
de nous attraire à soy, ainsi ay je premièrement
pensé, à mesure que vous mettiez en jeu la pre-
mière opinion, que la volupté perceptible par les
sens, et ceste tranquillité d'esprit que demandoit
Democrite avec les autres vertus communes, me
contantoit merveilleusement et tenoit comme en
suspens mon ame, si elle devoit ambrasser, pour
vraye félicité ; quand, incontinant après, vous avez
monstre que cela rampoit trop bas sur le péris-
sable de la matière, et que l'opération de la bien
heureuse vie, je ne sçay par quelle secrette in-
flammation, m'a touché jusques en l'ame d'un
désir extrême de toute sa beauté, ne plus ne moins
que (sans aller plus loing) un aymant d'affection
tout ce qui se peut en amour, sur le déclin mesme
et après une longue et importune attente, désire
de posséder la présence de sa dame. Alors ay je
pensé que, si la béatitude se trouvoit en ceste vie,
l6o DE l'arbre DE VIE.
que certainement elle devoit trouver place parmy
les faits heroiques : ce n'est que j'en voulusse for-
clorre les biens et grâces extérieures. Toutesfois,
après que, visant de plus prés au vray but, j'ay
veu que vous représentiez comme sur un théâtre,
parmy la vie et actions des sages, ceste vénérable
fille du ciel, simple, nue, sans fard, pleine de lu-
mière au plus sombre de la nuict, le front brave
et gaillard au plus fort des persécutions, et extrê-
mement contante au plus bas de la pauvreté ,
bref que , sans appuy d'une force et dextérité
corporelle, et moins des faveurs de fortune, elle
suffisoit à elle et d'elle mesmes. Tant y a que, si
ces sages, ayans eu en telle estime la vertu que,
pour l'amour d'elle et en elle, ils ont fait leur
proffit de tout ce que le vulgaire appelle mal dou-
loureux et affliction, je ne fais point de difficulté
que, divinement inspirez, ils n'ayent touché à la
vérité, laquelle ils s'estoient proposé, au moins,
s'il est vray-semblable que parmy les sectes des
anciens elle ait peu estre descouverte.
— Madamoiselle, il y a bien quelque appa-
rence en vos propos, va dire le S^ Theophanes,
et sçavoye bien que vostre opinion ne seroit
point autre, en quelque façon qu'on parla de la
vertu, pour laquelle vous prenez la cause à toute
outrance, tant une estroite habitude et familiarité
vous a dés long temps conjoint avec elle, et à la
DE l'arbre de vie. i6i
vérité vous ne vous monstrerez jamais estre mal
à propos poussée de passion quand vous parlerez
d'elle ainsi avantageusement : ce vous est un lan-
gage bien séant, attendu que Dieu n'a oncques
departy chose aux humains plus digne , plus
saincte, voire plus nécessaire pour la conservation
des republiques, des familles et de l'homme;
mais que le souverain bien consiste en elle, soit
en sa substance, soit en ses actions, cela est trop
crud, et ne peut estre digéré par un cerveau
chrétien, ainsi que le reste de ceste apresdisnée
le vous apprendra.
Or, Madamoiselle, il faut que vous sçachiez
que^ quelque diversité que j'aye remarqué entre
ces trois partys, nostre temps a produit des es-
prits qui ont trouvé cest expédient pour les re-
concilier par ensemble, pourautant(dient ils) que
les Stoiques et Peripateticiens sont bien d'accord
ensemble que la seule vertu soit la racine et la
princesse de la béatitude. Cest accord et consen-
tement au principal fait qu'es circonstances la
différence soit bien petite , car les facultez exté-
rieures, qui sont appellées par aucuns bien, sont
plus embrouillées pour raison des paroles que pour
la chose mesmes, ceux là nommans préférables
et rejettables ce que ceux cy appellent bien et
mal. Encores adjouste on qu'il n'y a pas grande
diversité, quand il est question de porter cons-
21
102 DE l'arbre de VIE.
tamment les outrages qui procèdent des traits de
la fortune, car Aristote ne garentit point la vie
bien-heureuse de toutes persécutions indifférem-
ment, mais seulement de celles qui sont les plus
violentes et insupportables ; encores afferme il
que le sage, en estant empestré, ne peut pas pour-
tant estre rendu misérable, là où Zenon ne fait
que passer un peu plus outre, asseurant que,
parmy ces plus grandes injures, le sage est plus
heureux. D'où on veut inférer que ces deux
princes et chefs de deux ligues ne sont qu'en fort
minse m^esaccord touchant cest article.
Escoutez, au demeurant, comme Epicure est
appointé avec eux^et comme, sous ce philosophi-
que trium-virat, l'empire de la félicité est admi-
nistré. La béatitude (dient ils) ne peut estre sans
volupté, et mesmes le nom grec d'où elle ruis-
selle monstre que les deux sont inséparables ;
que l'action de la vertu, la science et la contem-
plation contiennent de merveilleusement grandes
voluptez : de sorte que presque on est en doute
si la félicité est désirable pour elles, ou les vo-
luptez pour la félicité. Epicure crie qu'il ne peut
avec la volupté vivre, sinon justement, tempere-
ment et prudemment, ny au contraire vivre jus-
tement, temperement et prudemment sans la vo-
lupté.
— Hé bien! Seigneur Theophanes, va dire la
DE l'arbre DE VIE. l63
belle Euthelie, ne vous semble il pas qu'Epicure
ait raison, et que ceste reconciliation ne soit belle,
louable, à priser et suffisante pour oster Tin-
quiétude d'une ame tenue en alte , pour pren-
dre le chois de Tune de ces trois ? Quant à moy,
je ne sçauroye vous desguiser et cacher le nompa-
reil contantement que j'en reçois.
— Je n'en doute point, Madamoiselle, res-
pond le S^ Theophanes; mais aussi je pense que
vous ne demeurerés gueres en ceste créance après
que vous aurés plus exactement considéré ce qui
en est. En premier lieu, ostés moy l'équivoque
duquel se jouent et masquent les advocats d'Epi-
'cure, et distingués la volupté en ce qu'elle se
prend spirituellement et corporellement, et à voye
claire vous les verrez diamétralement contraires
aux autres deux sectes. Qu'ainsi soit, il est certain
qu'Epicure n'a jamais entendu parler d'autre vo-
lupté que de celle qui à la brutale s'espand orde-
ment par le corps; autrement, sa vie et tant de
fréquentes exhortations au boire et au manger
contrediroient à sa doctrine. Vous voyez donc-
ques que, comme il n'a point pensé à la vraye,
pure et sincère volupté, qui est la vie de l'ame,
aussi n'a il jamais espéré que son opinion fust
conforme aux autres deux, veu mesmes sa pro-
fession et de ses partisans , que ce n'est point
vivre que vivre, selon l'opinion des autres philo-
164 DE l'arbre de vie.
sophes. Et quant aux autres deux, à sçavoir Aris-
tote et Zenon, ils se dedaigneroient d'associer
avec eux cest Epicure, voire mesmes ils ne pour-
roient : il n'y a aucune espérance d'entrer en ac-
cord pour eux, que l'un n'eust lasché la roideur
de son opinion jusques à quelque point plus bas,
et que l'autre au contraire releva la sienne, afin
de se rencontrer en quelque médiocrité, et là
dessus establir une consonance, ainsi que les mu-
siciens ont trouvé moyen d'accorder leur hypate
et leur nete, par le moyen de la mese, qui a tous-
jours mesme raison en montant à la haute et des-
cendant en la basse corde. Cela est trop plus que
notoire, qu'après avoir observé en la vertu l'ha-
bitude et l'opération, l'une distinguée de l'autre,
Aristote n'advoûera point à Zenon que l'homme
soit bien-heureux pour en avoir la seule habi-
tude; autrement, il s'ensuivroit que celuy qui
dort ou qui demeure oisif auroit la mesme félicité
que celuy qui exécute quelque beau chef d'œuvre
pour l'amour de la seule vertu; et d'avantage, si
plusieurs biens sont meilleurs qu'un seul, par
nécessité il faut confesser que celuy qui l'exerce
par ses actions envers et devant plusieurs, les in-
struisant par ce moyen en s'edifîant soy mesmes,
mérite quelque chose de plus que ne fait celuy,
lequel se contante de la posséder seul, sans la
communiquer à autruy par quelque bel acte. Or,
DE l'arbre de vie. i65
si cecy est propre du Stoique et cela du Peripaté-
ticien, on n'en peut rien inférer qu'un mes-accord
irréconciliable. Zenon, de son costé, ne criera
il point contre l'autre de ce qu'il fait la vertu
si pauvre et si couarde (par manière de dire)
qu'elle ne peut dignement subsister si la fortune
ne lui départit des richesses, et ainsi qu'un corps
de garde pour s'opposer aux grandes afflictions
contre lesquelles, à son advis, le sage ne peut
estre asseuré ny heureux par conséquent? Veut il,
au reproche de Chrysippe, estimer acte de vertu
s'il endure constamment la morsure, non du re-
gnardeau , lequel deschiroit le costé au jeune
Lacedemonien , mais d'une petite et ridicule sou-
ris, ou s'il se sçait contenir et commander d'une
vieille qui , ayant à peine de reste trois dens en
bouche, a desja un pied dedans la fosse? On le
reputeroit pour un sot et badin de reputer cela à
magnanimité ou tempérance. J'estime que vous
le pensez ainsi, quoy que vous ne soyez à ap-
prendre que , selon sa trop bigerre et fantasque
opinion, le sage ne laisse pas d'estre heureux,
quelque perturbation qui luy survienne, voire
que les plus outrageuses et violentes sont la gloire
et la splendeur de la vertu stoique. Et ainsi voila
comment il s'en faut beaucoup que ce différent
puisse estre bien tost appointé entr'eux.
Mais ce n'est pas tout*de monstrer le mesaccord
l66 DE l'arbre DE VIE.
qu'il y a, si encores en peu de paroles nous ne
vérifions que ny l'une ny l'autre des opinions ne
doit trouver lieu entre nous. Or il est tout évident
que la félicité voluptueuse d'Epicure, bordée de
tous les costezpar la matière corruptible, ne peut
estre receuë pour souveraine que par bien peu de
personnes, tant ses maximes sont ridicules et es-
tranges : encores que la plus part, sans autrement
l'approuver, aiment sa façon de vivre délicieuse ,
comme ceux lesquels condamnent bien le mal
universellement, et cependant le pratiquent sous
main, contractent avec luy lors qu'il peut tomber
au particulier. Pour cela, et quoy que l'épicu-
risme n'ait que trop de lieux parmy le monde, si
est ce que je ne me souviens avoir ouy parler de
republique, famille, estât ou principauté de nostre
temps, qui ait sur le front emprainte quelque
marque de vertu, tant petite soit elle, qui s'avance
pour l'embrasser. Cela, qu'est-ce à dire autre
chose, sinon que d'une commune notion que
l'homme porte naturellement dans le cabinet de
son ame, chacun descouvre à clair que telle vie
est plustost propre aux bestes brutes destituées de
toute volontaire élection qu'elle n'est convenable
à animal doué de raison ? Encores void on que les
bestes y vont plus temperement, suivans la seule
nature et assouvissans leur désir borné au-tour
d'elle, que ne faict cest insatiable Epicure, lequel.
DE L*ARBRE DE VIE. 167
estant poussé d'un appétit des-reiglé, interminé
et infiny, procédant d'opinion (comme luymesmes
dit), n'emploie à autre fin toutes les plus excel-
lentes efficaces de l'ame qu'à boire, manger et
remplir sa bedaine; sa confession sur la nature,
sinon à penser, discourir et exercer autant de di-
verses voluptez qu'il en tombe sous les sens, con-
viant par ce moyen ceux qui lui prestent l'oreille
d'outrepasser les inclinations et facultés natu-
relles, pour l'exécution des choses mesmes qui
dépendent de la nature , laquelle ils violentent
en cela, tant s'en faut qu'ils la suivent. De là
peut on recueillir qu'on ne sçauroit vivre ny heu-
reusement ny mesmes joyeusement selon ceste
epicurée et trop plus que dénaturée brutalité ,
ainsi que Plutarque l'approuve dans un traîtté qu'il
en faict exprés. Je vous renvoie à luy pour me re-
lever du long discours que je pourrois icy faire
durant ceste apres-disnée.
Jugez donc vous mesmes, Madamoiselle Eu-
thelie, au partir de là, si ceste opinion n'est pas
fausse et pernicieuse. Considérés, je vous prie,
que toute chose subsiste proprement et principa-
lement par sa forme, laquelle est le plus noble et
le plus excellent du subjet composé. Il s'ensuit
donc que Famé, informant Thomme, est plus ex-
cellente que le corps. Puis que cela est ainsi, qui
me niera que la possession du bien et du plaisir
i68 DE l'arbre de vie.
ne doive premièrement et principalement appar-
tenir à Famé? Or, avons nous monstre que le bien
souverain d'Epicure ne regardoit que le corps :
faut donc qu'on me confesse qu'il ne peut estre le
vray bien de l'ame, par conséquent que l'opinion
n'en vaut rien, et que, comme telle, elle est re-
jettable de l'escole de vertu. D'avantage, comme
la viande est propre aliment du corps, ainsi la
vraye contemplation est nourriture de l'ame et son
bien souverain. Si doncques l'ame d'Epicure n'est
contemplative, elle n'a point de félicité. Et, puis
que les actes sont distingués parles objects, comme
le son n'est point l'object des yeux, ny les cou-
leurs de l'oijye, qui dira que l'ame, continuel-
lement bandée après les functions corporelles sus-
ceptibles des voluptez d'Epicure, puisse vaquer
au ministère de la vie contemplative, propre féli-
cité de l'ame?
On pourroit encore ajouster que le bien le plus
souverain est celuy lequel s'estend sans intermis-
sion en infinité de durée (attendu qu'une chose
n'est pas simplement bonne par sa qualité, mais
quand elle peut tousjours demeurer telle). Or, la
duration continuée ne se peut trouver plus grande,
après l'éternité infinie, qu'en l'immortalité dont
l'ame humaine est capable : il s'ensuit donc que
la félicité est plus propre en l'ame qu'au corps,
et par conséquent que l'opinion de la béatitude
DE l'arbre DE VIE. 1 69
en la volupté sensible est fausse. Mais parler de-
vant Epicure de ceste bien-heureuse immortalité,
laquelle il n'appréhenda jamais, c'est chanter aux
sourds, comme on dit vulgairement. Laissons le
donc là, Madamoiselle, en sa bourbe, et qu'il s'y
veautre tout son saoul, puis qu'il y prend plaisir.
Accostons avec une plus courtoise et gentille
modestie le stagirien Aristote; portons respect à
la mémoire non périssable d'un si grave person-
nage, lequel a si diligemment, et le premier avec
plus de méthode, recerché les effects innombrables
des causes naturelles, avec un si heureux advan-
tage qu'il en sera tousjours plus admiré que suffi-
samment imité. Que s'il s'est laissé aller en quel-
ques erreurs, disputant des mœurs ou de la na-
ture, il n'a pas laissé beaucoup de sujet d'es-
tonnement à qui considérera l'incertaineté qui
accompaigne ordinairement Tune de ces sciences,
pour ne traiter que des choses sensibles, passa-
gères, et ne demeurans jamais en mesmes estât,
et la difficulté de l'autre, qui rencontre ceux là
mesmement, lesquels, n'est ans esclairez que par la
lumière naturelle, n'ont peu voir de si loin la fin
des actions humaines cachée en quelques lieux
incogneus et séparez hors le visible univers.
Premièrement, supposons pour véritable la de-
finition, laquelle luymesmes donne de sa félicité,
et la qualifions de ces titres d'immuablement con-
22
lyO DE l'arbre DE VIE.
tante et suffisante de soy et pour soy, seule dési-
rable, et non pour autre respect. Disons encores
que toutes choses souhaitent naturellement le
bien , tant pour leur estre que pour leur conser-
vation ; que le bien universel est plus excellent
que le particulier, et que toute personne est ca-
pable de le posséder, attendu (comme je vous ay
autresfois dit et prouvé) que nature n'a rien fait
en vain ; puis sillogisons ainsi : si la félicité con-
siste en l'opération et pratique de la vertu, c'est
absolument et entièrement, ou en quelque sorte
et en partie. Si c'est en partie, elle est manchotte
et imparfaite ; si c'est en quelque manière , c'est
seulement par accident , et ainsi la voilà muable
et corruptible, ce qui est incompatible avec la
nature du bien souverain. Que si c'est absolu-
ment, elle n'a que faire de moiens extérieurs
comme coadjuteurs, ce qui est contre l'opinion
d'Aristote. D'avantage, toute action vertueuse se
propose une recompense; or le mérite et le sa-
laire sont choses différentes de temps, d'ordre et
de fin. Si donques la félicité est le prix du ver-
tueux, n'est-ce pas renverser l'authorité qui atta-
che le bien souverain en l'opération et pratique
de la vertu? Ajoustez que le sage ne seroit qu'au-
tant heureux qu'il besoigneroit vertueusement :
l'action venant à cesser, sa béatitude delaisseroit
d'estre. A ce compte, les fins moyennes seroient
DE L*ARBRE DE VIE.
171
cause de la principale, supérieure et universelle ,
qui est contre le sens et l'intelligence com-
mune.
Mais quelle absurdité de dire que l'effect des
petites vertus (car il reçoit plus et moins en elles)
rend l'homme heureux, et non pas l'exécution
de celés qui sont grandes et vrayement héroïques,
comme de supporter sans fronser les sourcils
toutes sortes d'afflictions, quelles qu'elles soient!
Et nous disons ordinairement que la fin est tous-
jours plus glorieuse et plus honorable des choses
difficiles et plus dangereuses à soustenir; quelle
persécution donques ne postposera on à un si
digne loyer qu'est le bien souverain ? Et s'il a esté
décerné ainsi infiny et accomply de tout point à
la proportion du mérite, quelle parcelle de béa-
titude se propose le peripatetique, ne mettant
qu'à demy la main à l'œuvre? Certainement elle
est fort petite, et si elle ne peut usurper ce nom,
sinon respectivement et au rapport de la souve-
raine. Mais je ne m'estonne pas s'il s'est esgaré
parmy les brossailles et essars d'une si laborieuse
recherche : car, ayant parlé si irresoluement de la
nature de l'ame, couru à clochepied à la cognois-
sance d'icelle et attaint si très confusément, et en-
cores plus mal à propos, son immortalité, il ne
pouvoit plus vray-semblablement fonder ce bien
souverain qu'en l'usage des vertus, ne cognois-
172 DE LARBRE DE VIE.
sant rien de plus digne et plus beau pour luy
servir de siège et de subsistance.
Pour ne vous ennuyer, Madamoiselle, je laisse
une multitude d'autres raisons suffisantes pour
justifier qu'à tresjuste occasion nous ne peripate-
tisons pour le souverain bien; il faut que je livre
le choc aux Stoiques, l'opinion desquels a plus
d'apparence de saincteté et d'estre mieux fondée.
Le Stoique dit que tout ce qui est bon est
choisissable, le choisissable esjouissable, l'esjouis-
sable bien heureux, le bien heureux désirable ; et
au contraire le mal fuyable, ennuyable, misérable
et rejettable. Accordons aux Stoiques que l'habi-
tude de la vertu est désirable comme belle et
bonne; pource n'auront ils pas gaigné leur pro-
cès, car, toute vertu consistant en action , leur
sage ne sera point vertueux pour la posséder, s'il
n'en pare sa vie par la pratique. Aristote leur a
suffisamment prouvé que la béatitude ne consis-
toit point en la seule habitude. Reste donc que
leur opinion touchant le bien souverain n'est pas
bonne. Mettons le cas que leur vie soit conforme
à la doctrine de leur secte, quant à ce chef. Estre
persécuté avec violence de supplices pour l'amour
de la vertu, cela s'appelle un bel acte; cracher sa
langue contre la face d'un tyran plustost que dire
mal à propos, y estant contraint, c'est un bel ex-
ploit de magnanimité. Aussi est il bien de se
DE l'arbre de vie. lyS
brusler la main volontairement pour monstrer
une singulière affection à sa patrie; mais ces
choses là sont elles esjouissables ? Pour le moins,
on m'advoiiera que non pas de soy, mais pour
quelque autre respect : ce ne sera par ainsi le bien
souverain, qui n'est désiré que pour soy.
Ils dient que le seul sage est bien heureux :
pour estre donc perpétuellement heureux , il faut
estre perpétuellement sage. A ce compte, asseu-
rez vous que les bien-heureux seroient fort clair-
semez; et ceux des sages d'entr'eux qui se sont
précipitez des festes d'un rocher par l'oppression
d'une douloureuse maladie ou ennuyante pau-
vreté, comme ils ne se pouvoient contanter et
esjouir en ces afflictions qui sont les vrayes mar-
ques de vertu, aussi croy-je qu'ils n'y establissent
point leur félicité. Voire mais, où est ce qu'ils
ont les yeux de l'entendement, de ne faire aucune
différence de vertu à vertu, tout ainsi qu'ils fa-
daisentde l'égalité des vices, affermans que don-
ner injustement un soufflet à un du populaire est
aussi mal fait que de révolter tous les citadins
d'un Estât et les faire entretuer. Entre eux n'eut
ce pas esté un blasphème de dire que Dion estoit
aussi vertueux que leur Jupiter, lequel ils esti-
moient seul incorruptible entre leurs dieux ? Mais,
s'ils egalisoient ainsi la vertu , et qu'en icelle ils
fondoient leur bien souverain, comme ils fai-
174 ^^ LARBRE DE VIE.
soient, qu'avoient ils affaire de se jetter volon-
tairement, pour l'amour d'elle, ou au feu, ou au
gibet, ou parmy le tranchant des espées enne-
mies, puis que l'exécution des moindres vertus,
comme d'endurer une parole outrageuse, les ren-
doit suffisamment heureux? Diroient ils que la
gloire en est plus belle et plus recommandable ?
Et à quoy cela ? Car ces sages là ne recerchoient
point la parade d'un nom vain ; c'est pour en estre
plus heureux. Ils consideroient donc plusieurs
degrez au salaire, et non en l'ordre des mérites.
Ils vouloient que toutes les vertus fussent unes ,
et toutesfois les loix ont tousjours décerné le pris
selon la proportion de la course; mais il estoit
nécessaire que ceux qui ne reçoivent point les
choses indifférentes en la nature, comme les ri-
chesses, la santé et autres, parlassent ainsi absur-
dement du souverain bien: car, puis que ce qui
n'est pas bien leur est incontinent mal , et qu'un
bien n'est pas plus grand ny plus petit que l'au-
tre, il s'ensuivoit bien que, le bon estant ver-
tueux, désirable et esjouïssable, la simple vertu ,
en quelque qualité et quantité qu'elle consistast,
fust leur félicité.
— Seigneur Theophanes, va dire la belle Eu-
thelie, parce que vous venez de dire, je suis
presque induite à recevoir l'impression de tant
de grands personnages lesquels, à cors et à cry,
DE l'arbre de vie. IjS
tiennent que rien ne se peut sçavoir, ains, tenans
toutes doutes suspendues, estiment bien qu'il y
ait quelque probable apparence pour et contre ce
qui leur est proposé; mais d'affermer qu'il soit
plus cecy que cela, il ne leur est pas loisible.
Vous en avez touché quelque propos, Seigneur
Theophanes, au commancement de ceste apres-
disnée. De fait, si le prince des Dogmatistes et
Philosophes, Aristote, qui pense si bien avoir
asseuré sa doctrine sur des raisons inexpugnables,
est à chasque bout de champ repris, quel moyen
nous reste il de nous acheminer à la vérité , la-
quelle Heraclite pense estre cachée dans l'abisme
d'un puys qui ne peut estre sondé, pour la diffi-
culté, afin que je ne die impossibilité, qu'il y a de
la trouver ?
— Je vous confesseray, Madamoiselle Euthe-
lie, respond le seigneur Theophanes, que pour
la physique, les morales et la politique, où
presque tous ont vogué dans la barque de l'opi-
nion, les principes ny les démonstrations ne
monstrent pas par tout le chemin infaillible de la
vérité; mais pour cela quelle raison y a il de des-
truire universellement toutes les sciences, comme
a fait Pyrrhon et Carneade ? Car que peut on dire
de plus véritable, qu'une ligne droite, tombant
en quelque façon que ce soit sur une autre ren-
versée, fera deux angles droicts ou esgaux à deux
176 DE l'arbre de vie.
droicts; ou ceste autre, que toute proposition est
nécessairement ou vraye ou fausse; et toutesfois
ce sont des maximes des sciences mathématique
et métaphysique.
— Cela est bien vray, Seigneur Theophanes,
respond la belle Euthelie ; mais que ferons nous
de ces opinions que,vous avez rebuté? Les rejette-
rons nous comme chose du tout inutile, ou si nous
en retiendrons quelque partie? Il me semble bien
que par toutes on peut apprendre quelque chose
qui serviroit bien autre part; mais, si nous n'y
avons peu voir ce qui estoit nécessaire pour mons-
trer ce qui est de la félicité humaine, encores de-
vriez vous essayer de treuver ailleurs ce qui défaut
encecy; autrement, j'auray barre sur vous, parce
que vous ne m'aurez tenu promesse.
— Madamoiselle, respond le S^ Theophanes,
vous me tenez fort de court, si faut il que je vous
contante. Il est certain que humainement le Pe-
ripateticien ny le Stoique ne pouvoient gueres
mieux rencontrer sans autre plus grande lumière.
Ce qui nous doit semondre à avoir pitié d'eux
d'un costé, puis qu'ils ont eu faute de la grâce
qui nous est départie, pour estre poussez à ceste
cognoissance ; et d'autre part nous avons dequoy
leur porter envie, de voir qu'il n'y a eu estude,
travail, longues veilles et inquiétudes d'esprit,
qui ayent peu les divertir et demouvoir de l'en-
DE LARBRE DE VIE.
11
vie qu'ils ont eu de quitter les ténèbres où ils
estoient naturellement enveloppez. Les bonnes
gens ne faisoient que tastonner. Entre eux ceux
lesquels ont le moins mal pertinemment cogneu
l'immortalité de l'ame, les uns ont tenu. qu'après
la dissolution du corps elle s'alloit réunir à l'ame
de l'univers, d'où, après quelques révolutions,
selon la volonté de son facteur, et la vie qu'elle
avoit mené en la précédente conjonction, elle
rentroit dans un nouveau domicile; les autres es-
timoient que, si elles avoient bien fait unies avec
le corps, la mort, que nous appelions, leur
estoit un passage à la béatitude pour y estre per-
pétuellement ; mais si, au lieu de commander,
elles s'estoient esclavées à la vilité de la matière,
à la resolution du suppost elles s'aneantissoient
peu à peu en leur premier rien. Ces deux opi-
nions ne peuvent servir à nostre propos. La troi-
siesme a esté mise en avant par certains philoso-
phes, lesquels ont considéré que, pour resveiller
les hommes à la vertu et les destourner du vice,
il a esté nécessaire de proposer en tout estât bien
policé le salaire et loyer pour recognoistre les
beaux, bons, louables et honnestes exploits, et
la peine pour la coulpe. Et, pour autant que la
recompense de ceux qui s'exposoient volontaire-
ment à la mort pour le bien de la patrie, qui
avoient bien vescu au demeurant de leur vie, ne
23
178 DE l'arbre de vie.
pouvoit estre donnée, n'y ayant plus personne
qui justement et légitimement ia peut recevoir,
ils prenoient ceste resolution, que le loyer estoit
décerné selon le mérite, pour n'accuser d'injus-
tice les dieux , et qu'il estoit réservé à une autre
vie meilleure, à ceux qui ne l'avoient peu appré-
hender en vivant, et par ainsi soudain ils char-
gèrent la créance que l'ame estoit immortelle et
que, pour avoir bienvescu, elle possedoit une
vie bien heureuse. Les mesmes persuasions leur
firent croire que, pour les mal-vivans (la mort
survenant naturellement , qui les empeschoit de
souffrir le supplice condigne à la coulpe), il y au-
roit un Tartare vers le centre de l'univers , enve-
loppé de perpétuelles ténèbres, et remply d'une
infinité de tourmens destinez pour la géhenne,
torture et malédiction des âmes des coulpables.
Voila comme au cartier de ceux cy l'immortalité
de Tame trouve place, simplement et absolument.
Ce jugement ayant esté par succession de temps
signé de plusieurs successeurs, il ne fut point
seulement receu pour son autorité, ains furent cer-
chees plusieurs autres belles raisons pourluy don-
ner face et couleur. Entre autres apparoissoit,
comme un soleil par dessus toutes autres clartez,
ce trois fois véritablement très-grand Mercure,
qui n'a pas seulement cogneu ce mystère caché à
tant d'autres touchant l'ame, mais encores sa
DE LARBRE DE VIE. 1 79
cheute par la briseure des cercles, quand, voulant
phaetontiser et faire sa course d'ellemesme, elle
s'aveugla en l'apparente et dommageable beauté
qui estoit estendue sur la matière où elle estoit
unie. Ainsi il cogneut la régénération de l'ame
faite par le Verbe unique engendré, et la vraye
et parfaite béatitude dont elle a esté rendue ca-
pable. Quant à Orphée, quoy qu'il ait vescu
maints siècles depuis ce Mercure, il n'a peu mor-
dre à ceste divine cognoissance. Ses escrits le
donnent assez à entendre à ceux qui prennent de
la peine pour recercher la sacrée intelligence,
laquelle il a esté contraint de cacher sous le ri-
deau des fables mystérieuses , car, quand il a
estably le souverain bien en la beauté sous le nom
de Narcisse, serions nous si mal advisez d'esti-
mer qu'il ait entendu quelque forme humaine
attraiante par la belle figure, proportion , cou-
leur, surface d'un visage et seule parade de la
matière? Disons plustost qu'il a pensé que le
beau et le bon se convertissent, que ny l'un ny
l'autre , comme dira tantost Platon , ne se pou-
voit trouver absoluement et essentielement qu'en
Dieu, et partant qu'en la contemplation de ceste
absolue et souveraine beauté resultoit la félicité
de l'ame.
Mais escoutons un peu, je vous prie, ce qu'avec
une volée d'autres sages qui fleurissoient d'un
i8o DE l'arbre de vie.
mesme temps en Grèce avoit accoustumé de dire
Solon :
Qu'homme vivant bienheureux ne se die
Tant qu'il travaille à parfaire son cours,
Mais prenne garde, au dernier de ses jours ,
L'arbitre seul qui doit juger sa vie.
Vous semble il qu'avec la sapience, où il esta-
blissoit la félicité , il n'assena point droitement
au bien-heureux but où vise l'ame immortelle
pour son dernier but ? Je passeray sous silence
plusieurs autres vénérables philosophes, lesquels
ont tous consenty à la sainteté de ceste opinion ,
et feray venir le dernier en la scène, le divin
Platon , lequel afferme que le souverain bien gi-
soit en l'Idée.
Un personnage qui avoit eu si bonne opinion
de l'essence de Dieu incompréhensible et de
l'incorruptibilité de l'ame, qui luy est escheue
par grâce et par nature, ne devoit point se trom-
per en l'élection et cognoissance de la fin pour
laquelle elle sembloit avoir esté créée, et que telle
fin ne fust extrêmement heureuse. Voila pour-
quoy, considérant qu'il n'y avoit point de bien
ny d'heur en ce monde sensible, sinon entant
qu'il estoit rapporté au mal, ou que pour le
moins il n'y estoit parfait ny absoluement, mais
par participation et respectivement, il estoit ne-
DE l'arbre DE VIE. l8l
cessaire d'establir la béatitude, non en ceste vie ,
sinon confusément et ombrageusement, mais en
une autre meilleure, où seulement se trouvoit un
repos et tranquilité d'esprit, avec un contante-
ment tresparfait, réservé pour la recompense des
bien vivans. Et c'est ce qu'il appelle Wée du sou-
verain bien , sur laquelle il met l'Unité innomi-
nable, contenant l'Idée de toutes choses, les ma-
térielles immateriellement , et les composées
simplement, non seulement par les raisons visans
à ce qui est tousjours de mesmes éternel et intel-
ligible, mais encores par l'exemplaire de tout ce
qui est regy par les générations, le temps et le
mouvement. Or qu'est-ce la béatitude souveraine
comparée à Dieu , autre chose sinon que le bon
et l'Idée au respect de l'Unité ?
Mais Aristote respond : Il n'y a point d'idée
de ce qui reçoit devant et après, ains seulement
de ce qui est tousjours de mesmes : les nombres
n'en recevront donc pas. Or le bon ayant devant
et après est dit en autant de sortes que l'ens ou
estât avec lequel il a conversion , car en la caté-
gorie de la substance, qui est la première en
ordre , Dieu et les anges sont bons ; en la qua-
lité, les vertus sont bonnes; en la quantité, la
médiocrité, et ainsi des autres : dont il conclud
qu'il y aura plusieurs idées de ce qui est bon, ou
une idée de plusieurs choses bonnes différentes
l82 DE l'arbre de VIE.
de genre. Que s'il n'y avoit qu'une idée de plu-
sieurs biens, il n'y auroit qu'une science, ce qui
ne peut estre, d'autant que le contraire se
monstre.
— Seigneur Theophanes , va dire la belle
Euthelie, j'ay honte de la mescognoissance de
ce disciple stagirien alendroit de son maistre ;
pource vous ne trouverez point mauvais si, pla-
tonisant, je respons icy aux argumens de vostre
Aristote. Je vous dis doncques que les idées,
subsistantes de soy, demeurent voirement tou-
jours unes, expertes de tout changement , et que
le bien, soit qu'il soit considéré en la substance,
ou aux accidens, ne peut estre appelé purement
ny essentiellement Bien, sinon d'autant qu'il par-
ticipe du souverain. Or Aristote a luy mesmes
dit en sa Métaphysique que tout ce qui est par
participation est réduit à la nature, qui tient le
premier degré en ce genre, comme toute chaleur
au feu; et, en autre endroit, que, comme l'addi-
tion ou substraction de l'unité change le nombre,
ainsi l'addition des différences substancieles chan-
gera la définition. Et tout ce qui est sensible et
intelligible ne participe il pas du premier Estant,
en la vertu duquel tout subsiste? Il advoûera
bien que le plus grand nombre qu'on puisse ima-
giner consiste et dépend de l'Unité, et neantmoins
qu'icelle seule séparée, toute ceste qualité sera
DE l'arbre de vie. i83
réduite à néant. Si cela est si manifeste, pour-
quoy s'opiniastrera il d'avantage que tous les
biens ne participent du souverain en cest ordre .?
Or, que cela ne se doive appeller Idée^ il est évi-
dent par ce que nous avons dit : et partant qui-
conque possédera aura ceste béatitude souve-
raine à laquelle l'homme, seul de tous les ani-
maux, est capable de parvenir. Et si ce mot
êiîdée, que nous pouvons appeller forme sépa-
rée, luy fait mal au cœur, ne laissons pas nous
autres de le recevoir après tant de saincts person-
nages, qui l'assignent en la pensée éternelle de
Dieu : et disons avec S. Augustin, en son livre
des 83 Questions, qu'il y a tant de vertu et pro-
priété aux idées que personne , sans leur intelli-
gence , ne se peut vendiquer le nom de sage. Je
n'auray pas beaucoup affaire après l'autre argu-
ment d'Aristote, auquel je passeray volontiers
qu'il y a plusieurs sciences des biens, mais toutes
dépendent d'une souveraine, comme tous les
biens d'un souverain.
Or nous sçavons qu'il y a deux genres de
science : l'un, qui procède des principes cogneus
de la lumière d'entendement, comme l'arithmé-
tique et géométrie ; l'autre, qui procède des prin-
cipes illustrez par la science supérieure, ainsi que
la perspective dépend de la géométrie, et la mu-
sique de la science des nombres. D'avantage il a
184 DE l'arbre de vie.
dit luymesmes, au sixiesme de ses Morales et se-
cond de sa Métaphysique^ que la sapience c'est le
chef de toutes les sciences, et que c'est au sage
de disposer et ordonner. Ce sera donc, à parler
proprement, la science générale; et, au rapport
d'elle, toutes les autres seront subalternes, à celle
fin que tousjours il y ait mesmes proportion de
Dieu aux idées et à ce qui en participe, comme
de la première science aux subalternes et sujet
d'icelles. On ne doit point donc ainsi rabrouer
l'opinion qu'a eu ce divin philosophe du souve-
rain bien constitué en l'Idée , dont l'homme
entre en possession, quoy que confusément, ce-
pendant qu'il vit , toutes et quantesfois qu'il
bande son entendement à la méditation de ce qui
est par soy intelligible et très heureux. Mais
ceste félicité temporelle et passagère se parfait
alors que l'ame, séparée de tous les empesche-
mens qui se treuvent aux sens, se conjoint par
continuelle contemplation à ceste Idée, ce qui ne
peut estre qu'après la mort. C'est en somme ce
que ce grand philosophe a estimé; et, à la mienne
volonté, que tous ceux qui se meslent de luy
contredire eussent de prés et à loisir pris garde à
ce qu'il escrit du Beau en un dialogue qu'il en a
fait exprés, où Socrates monstre au sophiste qui
mettoit la beauté tantost aux richesses, tantost en
la santé, et quelques fois espandue sur la forme hu-
DE l'arbre de vie. i85
maine, qu'elle n'estoit qu'un pur rayon de la bonté
et essence divine, où elle residoit absolument, et
que toute autre chose n'estoit qu'un ombrage
vain au respect d'elle; mais le mystère qu'il des-
couvre sous la feintise de l'Androgyne, en son
Banquet, n'est il pas suffisant pour nous faire voir
tant Testât et beauté de l'homme, avant que le
péché l'eut difforme et défiguré, que par après la
division et le rassemblement de sa double nature.
De ma part, je ne doute plus que ce philosophe,
conversant avec les sages d'Egypte, n'ait veu les
saintes lettres contenues au Testament de l'an-
cienne alliance; autrement il n'eut sceu si bien
parler du vray bien et s'approcher de la vérité
que nous en tenons. S'il a envelopé la pureté des
sacrez secrets sous l'harmonie des nombres ,
comme il a fait par tout, et spécialement en son
Timée, c'est que de son temps ils avoient vogue
en l'Académie d'Athènes. D'ailleurs, il voyoit
que l'on traitoit fort rigoureusement ceux qui ne
vouloient suivre le grand chemin des vaches, et
innovoient quelque chose, voire de saint et reli-
gieux en la Republique. Son maistre passa par
l'espreuve, le disciple n'a peu moins que de tas-
cher à se sauver. Eschappe qui peut. Quoy que
soit, j'advoue librement que je ne suis pas moins
ravie que satisfaite de l'opinion de Platon, de
sorte que vous pourrez, quand il vous plaira,
•24
i86 DE l'arbre de vie.
parachever ceste dispute, si mieux vous n'aimez
y apporter, comme pour le seau indubitable de
la vérité, ce que nostre religion nous persuade,
exhorte et commande d'en croire; mais, je vous
prie, que ce soit plus familièrement que vous
n'avez fait le demeurant, me traitant, comme
on dit, en enfant de laict, puis que la mémoire
et l'estomach ont ensemble ceste commune rai-
son que non seulement la qualité des viandes,
mais la quantité mal assaisonnée à leur portée est
souvent de peu de fruict.
— Madamoiselle Euthelie, va dire le S'" Theo-
phanes, pour ne vous laisser prendre pied sur
moy, il faut que je franchisse la carrière et ne
vous abandonne ceste apresdisnée que ne vous
rende contante, aumoins selon que la capacité
humaine pourra nous donner de cognoissance.
On dira que je veux theologiser, au lieu que ceste
compaignie ne cerche qu'à s'esgaillardir; et quel
plus grand plaisir sçaurions nous avoir que quand
on nous dresse Testât de nostre royaume céleste ?
Nous prendrons les affaires de plus haut, et, si
Dieu plaist, y procéderons le plus modestement,
succinctement et chrestiennement que faire se
pourrra, pour voir toute la nature et estât de
l'homme, et la fin où il est appelle.
Le souverain Dieu, en la manifestation du sen-
sible univers, selon l'idée qu'il en avoit éternel-
DE l'arbre de vie. 187
lement conceu , délibéra selon sa volonté incom-
préhensible de faire l'homme pour sa gloire et
toutes autres choses pour l'homme; non seule-
ment ce qui luy est inférieur de dignité, d'ordre
et d'espèce, ou créé pour son usage, mais en-
cores les substances spirituelles estoient commises
pour en avoir la protection, luy ayder et luy ser-
vir pour le respect de la divine image et de l'es-
prit de vie qu'il portoit engravé en la supérieure
partie de son ame. Il est donc vray-semblable que
cest homme ne surpassoit pas seulement en dou-
ceur de nature tous autres animaux, mais en
grâces sur-naturelles il egalloit presque la plus
excellente de toutes les créatures. Ce qui se peut
remarquer par la justice parfaite qui luy estoit
originaire, la bien heureuse immortalité de vie
qu'il pouvoit conserver, et la volonté libre pour
estre seul roy de ses actions, qui fut le comble de
son malheur : car, ayant esté émancipé en une
telle liberté, comme il advient à un fils unique
auquel le père a mis la bride sur les aureilles avec
beaucoup de moyens entre les mains, lors que
peu leurré et pratiqué aux affaires, il ne dissipe
pas seulement l'héritage, mais s'engage en fin
dans quelque crime capital qui le dissipe en ruine.
Ainsi est il de l'homme (dans la masse duquel
nous estions tous, abusans de ceste liberté, au lieu
de nous dresser, plier et joindre à la vraye source
i88 DE l'arbre de vie.
pour en avoir conseil), s'aveugla tellement après
l'amour qu'il porta à la matière corruptible, cloa-
que de péché et domicile de tout mal, qu'oubliant
la deffense qui luy avoit esté faite , il tomba dans
l'abysme des misères et decheut par ce moyen de
tant de prérogatives et avantages qu'il avoit eu ;
ne perdant pas seulement, comme dit S. Augus- -
tin, les dons sur-naturels, mais la lumière mesmes J
qu'il avoit de sa nature demeura trouble, confuse 1
et dépravée; en telle sorte que, l'esprit de Dieu
s'estant departy et séparé d'un si abominable su-
jet, il fut fait la proye de toute malédiction, et
par ce moyen luy fut barré l'huis de l'immortelle
félicité à laquelle il avoit esté né. Et eut esté per-
pétuel son bannissement, si l'innocent ne fut des-
cendu en terre pour nous reconcilier avec Dieu
son Père, et nous faire part, comme à ses frères,
de ce grand et excellent royaume, duquel la grâce
de l'Eternel nous a rendu ou imputé habiles
successeurs.
— Ah! que je suis contante. Seigneur Theo-
phanes, va dire la belle Euthelie ; comme j'ay ou-
vert la dispute, s'il vous plaist, je la bouscheray,
tant parce que je vois qu'il y en a en ceste com-
paignie qui s'ennuyent fort de tenir si longtemps
leur cul sur la selle, et qui ont l'esprit plus tendu
à ce qu'on leur fait la part au plus jeune ailleurs
qu'icy, que pour autant que desja je suis résolue;
DE l'arbre de vie. 1 89
aumoins, ay je appris de plusieurs braves et ho-
nestes hommes ce qu'il falloit croire de la béati-
tude céleste et des moyens par lesquels nous y
parvenons.
— A demain, Messieurs, va dire le S*" Rodol-
phe, le reste; mais ce ne sera point estoffe de si
haut pris : il faut rire et non point se ruer si pro-
fondement sur la pratique de Messieurs nos mais-
tres. Une autre fois, quand vous aurez envie
d'entrer en ces profondes méditations, vous ne
feriez que bien de visiter un malade, cela luy se-
roit une grande consolation ; ou bien de dresser
des thèses et positions à disputer en quelque es-
chole, mais d'avoir passé ceste apresdisnée à la
contemplation de cest Arbre de Vie, voulez vous
sçavoir ce que vous m'avez fait, rien autre que je
vous feroie , sinon quand avez envie de passer le
temps joyeusement, si je vous menoie en un ser-
mon. Il y a, dit le sage, temps de rire et temps
de pleurer, temps de gausser et de philosopher :
Omnia tempu haban.
— Parlez, luy vay je dire, françois. Seigneur
Rodolphe, car aussi bien n'entendez vous le latin ;
et abbattez vostre moustache : elle me sent son
avaleur de lamprillons. »
APRESDISNÉE V.
DU BABIL ET CAQUET DES FEMMES
E mescontantement qu'eurent aucuns
de nostre bande joyeuse de ce qu'hier
Madamoiselîe Euthelie avoit si long-
temps branslé sur l'Arbre de Vie
avec le S^ Theophanes donna entrée au discours
de ceste apresdisnée. L'occasion n'est pas des
plus raisonnables du monde, car, ainsi que cy
devant vous avez peu voir, et par cy après le
recognoistrez, il y a eu plusieurs parties qui ont
duré d'avantage que celle de nostre damoiselle,
qui eut bien voulu pour son souhait que plustot
on eut mis dans le trou pour bloquer la partie : ce
sont coups de maistres. En après, parce que la
belle Euthelie ne touchoit qu'à choses qui, pour
estre sainctes , emportoient, selon la pratique
d'apresent, avec elles melancholie, et qui en
prend moins de plaisir à ce qui est grave, philo-
192 DU BABIL ET CAQJJET
sophique et sérieux que aux batelages , risées et
baguenauderies, la conférence de Madamoiselle
Euthelie sembla ennuyeuse à aucuns ; j'avoie
bien envie de prester le colet pour targuer l'Œil
d'Avis d'Euthelie, mais je luy attouchoie etestoie
affectionné de telle sorte que je me fusse par aven-
ture laissé transporter à chose dont j'eusse eu
assez par après loisir me repentir. Joint qu'en ces
apresdisnées, non plus qu'aux matinées, j'eus
l'honneur de présider, pour balancer d'une part
et d'autre les opinions contraires. Le seigneur de
la Vermille me fît ceste courtoisie de prendre la
parole pour les femmes alencontre du S'" Rodolphe,
lequel assez indiscrètement commença (parce que
son rang estoit venu) ceste apresdisnée par un
reproche qu'il fit contre la mignonne d'Euthelie,
comme s'il eut voulu former plainte contre elle.
Il s'émancipa de telle sorte que quelques uns de
la compaignie furent contraints luy entrerompre
son propos, luy remettans devant les yeux ce que
j'ay allégué cy dessus et autres plusieurs gentil-
lesses propres pour divertir ce bigerre humeur,
qui l'effarrouchoit d'une si estrange façon. Et,
comme ils virent qu'à la façon de nostre chat, ou
d'un chien quand on luy veut oster un os, il mar-
monnoit entre ses dents et continuoit ainsi ses
coups, le prièrent de s'en déporter, parce mesme-
ment que la compaignie y recevroit peu de plai-
DES FEMMES. IçS
sir et encores moins de contantement. Il faut
sauver les dames.-
A peine fut remis le S'" Rodolphe, qu'il s'en va
dire : « Et bien, puis qu'il vous plaist, je ne me
rueray plus sur Madamoiselle Euthelie. Il y en a
de la troupe qui ont envie de tramper leur pain
au pot; courage, contre fortune bon cœur: si est
ce que je ne suis pas encores desniché de leur
taudis, je les vay prendre par le bec.
— Quoy ! va dire le S^ Galeot, l'ont elles bien
si grand qu'il y ait prise pour vous ? Ce ne sont
oiseaux: vous ne feriez que bien d'apprendre à
parler.
— Et vous de vous moucher, respondit le S'' Ro-
dolphe, car, parmafoy, vous avez une roupie qui
monstre bien quel homme vous estes ; on diroitque
vous venez de battre le pitpour avoir de lacresme :
la présure vous pend au nez. Ah î le vilain ! que je
le donne àceluy qui n'a point de blanc en l'œil,
non pas afin qu'il l'emporte, mais afin que tu luy
commandes, que tu me le meines enchaîné ainsi
qu'on fait les ours et lyons. Il y auroit beaucoup
de badots qui te suivroient.
— Ce n'est donc que pour gausser. Seigneur
Rodolphe, va dire messer Valentin, que vous vou-
lez empescher le bureau ceste apresdinée. Ce
n'est point icy un brelan : il faut philosopher ou
bien quitter la partie.
25
194 ^U BABIL ET CAQUET
— Hé ! Monsieur, ne fumetiSj respondit le S^
Rodolphe, quel diable avez vous mangé ? Je vous
donneray tantost assez de passetemps ; vous estes
si très dédaigneux que, qui vous feroit présent
d'un pet au nez, vous ne voudriez esternuer. C'est
bien rencontré : vous voudriez que, dés que nous
avons mis la serviette bas, que nous prissions
la matière à belles dens. Il faut faire pause, et
interea refociller et regaillardir nostre sermon-
niere. Je trouve que j'en suis beaucoup plus
dehait, leste et à mon aise. Vous pensiez, ce crois-
je, que je ne voulois que railler et plaisanter : la
journée n'est elle pas à Dieu et à nous? Vous
verrez que, devant qu'il soit dix ans, que je phi-
losopheray. Non, ce sera tout à ceste heure. N'a-
vez vous jamais ouy parler de la guerre qui a
esté entre les philosophes de l'université de Paris,
qui, pour estre liguez en deux contraires bandes,
tout ainsi que les Guelphes et Gibelins, Papistes
et Huguenots, etc., prindrent le nom de Reaux
et Nominaux ou Sermocinaux. Nous quitterons
la realité, s'il vous plaist, pour le présent, ne fiât
scandalum. Or il pourroit advenir, si nous lais-
sions entrer en lice ceux qui tiendroient encores
de cest humeur réalisé. Vous verrez qu'encores
que nous ne touchions qu'à l'un des partis, si en
sortiront ils des esclats fort dangereux ; charge
et serre le casquet qui voudra. Il ne faudra qu'une
DES FEMMES. IçS
petite bretille, alias bûchette, pour esborgner le
plus habile homme de France. Ces Messieurs les
Nominaux estoient de grands badins de se laisser
ainsi clabauder à la brigade des Réalistes; s'ils
eussent pris party avec les femmes, dés la pre-
mière instance, le différent estoit décidé à leur
proffit, avec despens, dommages et interests :
cela s'entend, sans le dire, comme le vin du valet.
— Seigneur Rodolphe, va dire le S^ de la Ver-
mille, vous sçavez que je suis fort devotionné aux
femmes ; si ne puis je comprendre sur quoy c'est
que vous fondez le renfort qui eust esté donné
aux Réalistes par les femmes. Un régent de l'U-
niversité a sous son bonnet quadrangulaire plus
de subtilité que n'ont toutes les femmes. Je crois
que c'est là où voulez venir, car, au reste, s'il
eust fallu venir aux coups de poings, les femmes
estoient plus propres pour effrayer que pour se
grommer et soustenir le choc realifîque.
— En quelque façon que vous le preniez. Sei-
gneur delà Vermille, les femmes eussent fait prou
de besoin. Ne sert ce que vous dites, qu'elles ne
sont pas roides pour faire une muraille, se battre,
se frotter, se dourder et s'estriller. Comme si vous
ne sçaviez que pour un coup tousjours elles en
donneront deux et trois, voire que quand elles
s'y mettent il n'y a que pour elles.
Que direz vous des Amazones ? Elles n'ont
196 DU BABIL ET CAQJJET
pas fait faire joug aux masles ? Quand une femme
a mis le feu dans sa maison, elle decheveleroit
cinquante hommes, elle deferreroit cinquante
chevaux aussi bien que la Lunaire. Partant, si les
Nominaux eussent appelle à leur ayde, secours
et défense les femmes, je m'asseure qu'il n'y eust
pas un des Réalistes qui ne se fust venu jetter
en leur giron pour se derealiser, si elles l'eussent
trouvé bon. Tous les vieux Reaux estoient
troussez en masle, et eussent passé pour sires de
leur pays ; elles vous leur eussent arraché leurs
baies ensouphrées de Realité. Quant aux jeunes,
elles les eussent receu à ceste composition que
leur realité recogneut leur seigneurie Parliere
pour leur [souveraine dame, et que pour rede-
vance la Realité seroit nominalisée , hoc est res-
serrée dans les destroits de ces dames Nominales
toutesfois et quantes que l'envie en viendroit aus-
dites dames.
Vous faites cas des ergots des Nominaux, comme
si les femmes n'estoient instruites à syllogiser
aussi bien que les masles. Trouverez vous qu'un
régent vous trousse un argument si bravement in
Barbara, celarent, ferio, etc., que fera vostre com-
mère ? Par la chair de Pilate, elle en sçait des
vieux^jusques'aux nouveaux: il ne faut que la
mettre en bransle ;'^quelquefois elle veut faire de
la sucrée et se veut faire prier.
DES FEMMES.
97
Ainsi les Nominaux eussent eu un grand sup-
port des femmes, soit pour venir aux mains, soit
aussi pour s'estoquer de syllogismes ergotisés.
Ergo je conclus que les Nominaux ont esté mal-
advisez de n'avoir supplié les femmes pour leur
ayder à confondre, abbattre et démolir la Realité.
Il y a plus : que le babil seul d'une demie dou-
zaine de femmes, je ne dy point de doctes ou
guerrières, je ne veux qu'une harengere, une
triquoteuse de la rue aux Ursins, une lavandière
et trois autres de mesmes qualibre, eut fait perdre
parole à toute la troupe Realique ; elles les
vous eussent rendus aussi muets qu'un poisson.
— En riant vous mordez, Sieur Rodolphe,
répliqua le S^ de la Vermille, qui ne vous
cognoistroit ! Vous voulez frapper sur le babil
des femmes, gardez qu'elles ne vous donnent sur
vostre moustache. Estes vous en délibération de
vous escarmoucher sur le babil ? je vous presteray
le colet, et verrons ce qui en sera.
— Bien, Sieur de la Vermille, respondit le
sieur Rodolphe, vous en voulez manger, vous
advocassez pour les femmes : qui vous payera? Si
est ce que Mademoiselle Euthelie n'est pas mor-
ceau pour vous ; il y a un autre sainct qui luy a
dés longtemps voué sa chandelle. Peut estrevous
ne perdrez tems ; elle est du bois duquel on fait
les femmes, et partant delà qualité. Si vous cajol-
198 DU BABIL ET CAQUET
lez à son gré pour leur party, elle le fera resonner
peut-estre en si bon lieu que vous vous en trou-
verez bien à la fin.
Je veux donc icy livrer le combat au babil des
femmes, lesquelles, avec le comique Plaute,je ne
feray point difficulté de nommer : loquaciccas,
argutulas, verbosas, dicaculas, Unguaces, garrulas,
locutulas, largiloquas et lingulacas, et, avec l'au-
teur du Blason des femmes, causeuses, babillardes,
langagières, deviseuses, baveuses, bavardes, lan-
gardes, parlieres, cajolleuses, caquetardes, ja-
sardes, raillardes, etc., qualitez propres et pecu-
lieres aux femmes, et qui vous apprennent que ce
n'est point à tort que j'affutte le babil aux fem-
mes. Si ne faut il s'arrester en si beau chemin; il
faut pousser plus avant; autrement, la corvée de
ma preuve n'auroit pas garde d'estre faite.
Afin donc qu'à bon escient je donne droit au
but, je ne voudroye opposer à ceux qui me met-
troient en ny le caquet des femmes que le pro-
verbe commun, qui porte que trois femmes fe-
ront un marché, voire une foire. Ce qui devroit
sembler estrange, attendu que, quand on verroit
cinquante hommes amassez en une place, on ne
dira pas que ce soit le marché : il en faut d'avan-
tage pour le traffic, et neantmoins trois fem-
mes feront une foire. La raison est pourautant
qu'en une foire il y a un grand bruit de ceux qui
DES FEMMES,
199
y abordent, pour y vendre, achapter, changer
et traffiquer. Et, comme les femmes sont bien
emmanchées du caquet, trois d^elIes mèneront
aussi grand bruit que sçauroient faire deux, voire
trois cens hommes.
— Vous prenez donc ce proverbe au pied
levé. Seigneur Rodolphe, répliqua' le S'" de la
Vermille, et jouez au deviner fort à vostre aise,
présumant, que je crois, que je manqueray d'in-
terprétation. Non, non, ce que vous tournez au
mespris des femmes, je vous vay monstrer qu'il
n'est que pour tesmoigner leur precellence sur
les hommes, sur tout pour le traffic des foires,
lesquelles vous sçavez n'avoir esté instituées que
pour la commodité du peuple, à celle fin que,
s'entrecommuniquans ce qui estoit du leur par un
eschange commun, ils se fournissent de ce qui
leur seroit besoin. Or est il que les femmes sça-
vent par trop mieux que c'est du mesnage que les
hommes, si bien que trois d'elles auront p^ustost
assorty un mesnage, et partant effectué la foire,
que deux cens hommes qui, pour la pluspart, ne
vont aux foires que pour charger le moule de
leur teste du pyot.
— Je vous retiens. Sieur de la Vermille, res-
pondit messer Rodolphe, pour periphraser ou
esclaircir un proverbe. Vous vous faites tort que
vous ne donnez sur les Proverbes de Salomon ou
200 DU BABIL ET CAQUET
sur les Adages d'Erasme, vous y rencontrez aussi
à propos que fait Magnificat à matines. Si j'avoie
envie de vous estriller, j'en ay à présent bien les
moyens, et de vous en donner du long et du
large usque ad vitulos. Ce ne seroit jamais fait
(ma conscience): tousjours vous vous enfoi-
reriez les babines au babil des femmes. Je m'en
vay vous battre par des authoritezausquelles vous
n'aurez, je le sçay bien, que respondre.
Le docteur à la Bouche d'or, sur la première
Epistre de S. Paul à Timothée, homil. 5, escrit
qu'il n'est point permis à la femme d'enseigner
en l'Eglise, parce que ce sexe est trop babillard.
Et S. Hierosme, en hKegle des Nonnains, chap. 9,
défend tres-expressement aux religieuses de sortir
hors du cloistre, de peur qu'elles ne révèlent le
secret.
— Rien, rien, respondit le S'" de la Vermille;
vous n'entendez pas bien les Escritures, Messer
Rodolphe: l'interdiction qui est faite aux femmes
de parler en l'Eglise n'est pas faite m odium
d'elles, ains pour prévenir la damnation éternelle
des hommes, ainsi qu'il est expressément remar-
qué par Guyot de Nanteuil en son Moustardier
de pénitence, et ibi Perr. d'Angecort; mesmes je
trouve que S. Thomas d'Aquin , en la cent
soixante dixseptiesme question de la seconde
partie de la Somme, remarque que la principale
DES FEMMES. 201
cause pour laquelle fut défendu aux femmes de
parler, c'est à dire de prescher es églises (de ca-
queter je ne dis pas), fut fondée sur un texte de
Salomon portant que la parole de la femme in-
cite et eschauffe l'homme, admirateur de sa beauté.
Suivant ce, et comme l'on cognoissoit le naturel
des hommes trop prompt à se laisser emporter
au bris par les allechemens des perfections qui
reluisent aux femmes, si bien qu'au lieu de penser
aux mystères sacrez qu'elles annonceroient, ils ne
banderoient qu'à elles, on a advisé qu'il valoit
mieux que les femmes ne montassent en chaire
pour prescher ; autrement eut esté à craindre que
les auditeurs ne fussent devenus amoureux des
sœurs prescheuses, qui eut esté un fort grand
scandale. Quant à elles, elles ne sont pas si aisées
à gaigner, mesmes elles ne donnent pas telle prise
sur elles, car elles s'endorment plustost au ser-
mon que de s'esmouvoir d'amour vicieux envers
les prescheurs.
— Vous prenez tousjours le veau par la queue.
Seigneur de la Vermille, respond messer Rodol-
phe, et nous voulez faire croire que vessies sont
des lanternes ; à d'autres ! Il n'y a que le babil
et indiscrétion des femmes qui les ait déniché
de la chaire ecclésiastique.
A ce propos, je ne veux oublier un compte
fort remarquable duquel, Monsieur de céans,
26
202
DU BABIL ET CAQ^UET
vostre Guerre des masles contre les femelles m'a
autresfois donné le plaisir, et lequel, s'il vous
plaist, me permettrez emprunter de vous pour
l'employer icy. Il faut donc (mon Gentilhomme)
que vous sçachiez qu'il y eut certaines nonnains
qui commencèrent à se desdaigner de ce qu'à la
moindre tentation qui leur venoit donner par de-
vant la teste, il falloit qu'elles s'allassent mani-
fester à certains Beaux-Peres confesseurs. Le cha-
pitre fut assemblé, et d'un commun et capitulaire
advis fut délibéré que l'on feroitrequeste au pape,
qui alors estoit es marches proches de l'abbaye,
à ce qu'il luy pleut permettre à ces dévotes et re-
ligieuses sœurs de se pouvoir entr'ouïr en con-
fession. Les deux les mieux enlangagées, et qui
avoient le plus d'apparence, furent députées avec
tresamples mémoires et instructions portans, en-
tre autres choses, de faire la requeste au S. Père
treshumblement, et luy remonstrer que l'ottroy
d'icelles serviroit à grande édification et si re-
trancheroit beaucoup d'abus qui se commettoient.
Quant à l'édification, elles la fondoient sur ce
que les pauvres doucettes seroient plus nettes et
pures, d'autant que plus particulièrement et pri-
vement elles se descouvriroient leurs péchez les
unes aux autres, et par ce moyen seroient beau-
coup mieux nettoyées^ juxta illud, que la confes-
sion générale ne suffit ad eluitionem peccati : il
DES FEMMES. 203
faut particulariser le mesfait, la circonstance du
lieu, du temps et des personnes, parce que, selon
la gravité qui est considérée par ces moyens, la
punition, la peine et la pénitence doivent estre
enjointes.
Pour donner plus de couleur et de force à ceste
première pointe de remonstrance, elles estoient
tres-expressement chargées de remonstrer au
S. Père que pour beaucoup moindre occasion, et
qui ne touchoit pas au salut de la conscience, les
femmes ont esté admises et receues au service du
public. De fait, la honte et vergoigne qui est
naturellement aux femmes a esté cause d^ntro-
duire les sages femmes, dont on recite une loy
d'Athènes (selon Hygin) parce que, sans ceste
permission d'y avoir des médecines, les femmes
se laissoient mourir quand il advenoit quelque
maladie es parties honteuses. ( Toutesfois, aujour-
d'huy elles se laissent bragardement penser leurs
poulains, bosses chancreuses, etc., aux barbiers.)
A Rome, elles avoient authorité, taxe et salaire
de leurs vacations, /. i, De Exîi. cognit., et com-
munément estoient appellées quand on vouloit
sçavoir si une femme estoit grosse d'enfant, /. i ,
De Vent, inspic. C'est pourquoy, par le droict
canon mesmes, elles sont appellées pour juger si
une femme est grosse ou non, cap. proposuisti
de probat. et^ ibi gl. Si tant est que les femmes sont
204 DU BABIL ET CAQJJET
admises à fureter les secrets des femmes, de juger de
leur intégrité, aies penser : si leur rapport donne
lieu au jugement, à plus forte raison devront
elles s'entr'ouir en leurs confessions. La force de
l'équité est bien plus grande pour les confes-
sions : il s'agit du salut et repos des âmes péche-
resses. Le gain est bien autre de mettre une ame
confîtente et pénitente tout droit en paradis que
de guérir d'une maladie.
Ce poinct estoit bien pregnant , mais l'autre
pressoit encores bien d'avantage , attendu que
quelques uns de ces Pères confesseurs, sentans
que quelquesfois la chair chatouilloit les reli-
gieuses, en faisoient bien et beau leur proffit; au
lieu de renverser la marmitte où bouilloit la chair
en caresme, ils trempoient leur pain au pot. Pour
corroboration et renfort de preuve, on devoit ra-
mentevoir l'histoire de ceste dame de Mayence
qui par telle illusion se persuada enceinte et mère
future du second Messie , quoy que ce fut une
compression charnelle d'un desloyal confesseur,
ainsi que l'a esclaircyle neveu du docteur Schap-
pelet, au 3. de sa Sycoph.
Si les instructions furent bien dressées, aussi
furent elles bien ensuivies, voire bien outrepas-
sées à l'avantage des sœurs, comme vous enten-
drez. Donques , après les humilimes salutades
et révérences en cas requises et nécessaires, les
DES FEl^MES. 2o5
deux suppliantes accostèrent le pape de leur re-
queste verbale, à laquelle elles n'oublièrent d'ad-
jouster aucun trait, qui servit à persuader; sur
tout enflèrent si fort les deux articles cy dessus
cottez que le S. Père, quoy qu'il fut assez habile
homme en son temps, se treuva fort empesché
pour les esconduire , encores qu'il vit que leur
requeste fût directement contre les décrets, ca-
nons et conciles. Et pour ce fut contraint de leur
donner à digérer ceste contrariété, laquelle il es-
timoit indissoluble : si fust elle bien tost rabatue
par nos dévotes religieuses, qui, comme les fem-
mes ne chomment jamais de propos, voulurent
avoir la dernière parole, et pource luy firent une
telle response : « La difficulté que Vostre SS.
peut faire de première abordée semble avoir
quelque impossibilité et incompatibilité ; toutes-
fois, qui regardera de bien prés, elle ne doit
point tant avoir de poids qu'elle nous face dé-
bouter de nostre requeste.
« Nous ne sommes point grandes clergesses
pour avoir leu les décrets, canons et conciles ;
ce nous est assez de sçavoir lire nos Heures, pour
dire nostre petit office et nos dévotions. Nous
sommes tenues de croyre ce que Vostre SS. nous
dit. Pourtant, nous croyons que par cy devant il
n'a esté loisible aux femmes de s'ouïr en confes-
sion. Ce sont ceux desquels vous estes successeur
206
DU BABIL ET CAQ^UET
qui nous ont mis en cest interdit, parce (peut
estre) que, lors qu'ils firent ces ordonnances, il
n'y avoit auprès d'eux aucunes femmes pour
leur faire entendre ce que nous vous avons pro-
posé, Tressaint Père, ou paravanture parce que
les confesseurs du temps passé estoient plus rete-
nus que ne sont ceux de ce siècle. Puis qu'il y a
du mes-us, et que l'utilité et proffit de nos âmes
vous semonnent à l'innovation de la loy, vous ne
pouvez nous refuser une si juste et encores plus
équitable requeste.Or que vous puissiez changer
la loy, puis que la nécessité le requiert, on ne
peut le mettre en ny, autrement vous ne seriez
souverain sur tout pour la spiritualité. Je me
souviens avoir autresfois ouy prescher à un doc-
teur que Monsieur S. Paul ne veut pas ^que les
femmes parlent en l'Eglise ; et neantmoins vous
voyez qu'il ne nous est point seulement loisible
déparier, ains aussi nous y pouvons chanter, tout
ainsi que font les religieux en leur chœur. Si
pour la louange de Dieu et le bien de l'Eglise,
les papes ont peu et deu faire bresche à l'estroite
prohibition de cest apostre, pourquoy ne vous
sera il loisible de rabattre Tinterdict ? La cause
est maintenant plus favorable pour nous. Si vous
changez ceste loy, vous ne ferez rien contre vostre
devoir; vous n'estes astraint à l'observation des
loix de vos devanciers, sinon entant que la rai-
DES FEMMES.
207
son et necessité.vous y rangent. Vos prédécesseurs
ont rompu les deffenses de S. Paul, et ils ont bien
fait; et vous ne pourrez pas lever-'une interdic-
tion faite par ceux qui n'avoientpas plus de pou-
voir et authorité en leur temps que vous? Il y a
plus : que si vous nous accordez nostre requeste,
vous nous envoirez tout droit en paradis, car il y
a beaucoup de petites particularitez que nous
gardons sur nostre cœur, et, de honte ou autre-
ment, n'osons les esventer aux confesseurs. »
Le pape, oyant si bien gergonner ces ambas-
sades, ne sçavoit que croire autre, sinon que ce
fussent quelques grands docteurs qui, en habits
desguisez et la barbe pelée (quia forte castrati
ou autrement), luy vouloient faire la barbe : tou-
tesfois, au dessous du voile de Tune d'elles, il
descouvrit un grand floccon de cheveux longs
comme sont ceux des femmes, et pource, se
rasseurant qu'il n'y avoit point de fourbe, rentra
plus qu'auparavant en esbahissement de l'inesti-
mable sçavoir de ces dévotes ausquelles il avoit
bien bonne envie de proposer encores quelque
difficulté; mais il n'osa, crainte qu'il eut que par
leur babil, longs et profonds discours, elles ne le
retinssent trop longtemps. Si falioit il les laisser
avec quelque contantement.
Comme la nécessité trouve de nouveaux et
prompts expediens, il s'advise de l'imperfection
208 DU BABIL ET CAQJJET
qui bat les femmes de ne pouvoir tenir rien de
secret; pour les rendre condamnables, leur donna
une boitte qu'il avoit envelopée d'un fort beau
taffetas, leur enchargeant de ne la développer,
mesmes de ne l'ouvrir, et qu'elles se missent à
prier Dieu à ce qu'il eust quelque une inspira-
tion pour leur entériner la requeste; leur pro-
mit le lendemain retourner les visiter et leur
faire entendre sa volonté. Apres se partit, sans
leur descouvrir autre chose.
A peine eut il le dos tourné, au moins n'avoit
il pas mis le pied hors la porte de leur abbaye,
que ces bonnes dames belettoient après pour voir
ce qui estoit si précieusement mis en reserve.
Quelques unes du commencement firent des ren-
cheries, à cause de l'intermination qui avoit esté
fait par le S. Père d'ouvrir la boite, mais ce respect
ne leur peut si bien commander qu'à la fin elles
ne fussent du party des autres. La boite entre-
baillée, ouverte et esventée, l'oiseau qui estoit
dedans prit l'air des champs. S'il y en eut de bien
estonnées, je vous le laisse à penser, et à se re-
mettre la faute l'une sur l'autre. Pendant qu'elles
estoient en ce débat, le pape rioit en son cœur
de la baste qu'il avoit joué à ces pauvres reli-
gieuses, desquelles falloit bien qu'il cognent le
naturel, autrement il ne les eut pas si bien pris à
la pipée. Il avoit promis de revenir le lendemain
DES FEMMES, 2O9
pour avoir plus d'occasion de se moquer d'elles;
sur les vespres les alla voir.
Apres qu'elles eurent doucement fait les petites,
le S. Père leur va dire : « Comme je suis affec-
tionné à vostre bien et au salut de toutes les âmes
dévotes et chrestiennes, je n'ay point voulu
attendre jusques à demain, ains de grâce j'ay pris
fantaisie de prévenir que vostre impacience vous
poussa à faire chose qui vous pourroit rendre
indignes de ma faveur. Çà, que je voye si avez
peu tenir secret ce que je vous avoie enjoint. »
Le taffetas fut apporté : on le develope, on ouvre
la boitte, mais ce n'estoit que le nid : l'oiseau y
avoit esté. Il s'enquiert qui avoit esté si osée,
hardie et téméraire que de l'ouvrir contre sa
défense si tresexpresse. Les unes chargeoient
sœur Colette ; elle, sœur Françoise; l'autre, sœur
Perrette ; l'autre, sœur Valentine ; les charges
tournoierent de tant de façons qu'à la fin ontreuva
que toutes avoient consenty à ceste intempestive
et indiscrète ouverture. Le pape rioit en son
cœur de cest incident; toutesfois, faisant bonne
mine comme s'il eut esté fort en colère, les vous
va tancer de ceste façon : « Pour si peu de chose
vous ne m'avez peu estre fidèles et secrètes, et
vous voulez que je vous remette entre les mains
la confession de vos péchez? Vous ne sortez
point de céans ; mais, quand vous devriez atta-
2IO DU BABIL ET CAQJJET
cher au pied des mouches quelques billets où vous
escririez les confessions les unes des autres, le pays
seroit abbreuvé de vos vies et deportemens. »
— Je ne veux point mesparlerdes papes, va dire
le seigneur de la Vermille, mais celuy qui preste
ceste charité à ces pauvres nonnains estoit un fin
frotté : vous avez oublié qu'il avoit attaché au
pied de son chardonneret un escriteau, de peur
qu'on n'en supposa un autre en la boitte; puis
qu'il sçavoit quel estoit le naturel des femmes, il
ne devoit les mettre à telle espreuve. S'il se fust
addressé à des masles, je crois (par ma figue) qu'il
en eut eu un tel succez.
— Et moy je ne le crois pas, respondit le
S^" Rodolphe , ils tiennent bon contre telles ten-
tations ; je vous en feray un compte gentil, et qui
vous fera rire, je le sçay. Vous devez donc en-
tendre (mon Gentilhomme) qu'un jour deux bons
drôles, après bon vin, bon roussin^ se mirent à
s'esgaillardir sur les fleurettes du parterre d'a-
mour. L'un deux, après avoir long temps gaussé:
« Je ne fais, dit-il, l'amour qu'en l'air; vous
m'acoulpez de m'apprivoiser avec ma commère :
je despite celuy que S. Michel précipita en enfer
si de ma vie je luy touchis en lieu qu'honneste-
ment je feroie en la présence de son mary. Vertu
bieu ! c'est ma commère. — C'est bien rencon-
tré, respondit l'autre; vous faites estât de la.
DES FEMMES. 211
proximité qui est entre vous deux: sonmaryluyest
bien plus prés que vous ; au diable s'il s'y espar-
gne : ce sont scrupules de niais. — Non, se mit
il à détester diables et diablesses, quand je seroie
couché auprès d'elle, à ses costez et en liberté, si
je daignoie donner dedans la bresche. — Je
gageray dix escus (dit l'autre) que si ; les voila ,
je les consigne entre les mains d^un (qui à l'im-
proviste se trouva dépositaire de vingt escus,
sans sçavoir à quelle fin on les consignoit : seu-
lement luy dit on qu'il les delivrast à qui seroit
dit par eux deux) ». Or vous noterez que ceste
commère avoit son mary absent pour huit jours ;
d'ailleurs elle brusloit d'amour qu'elle portoit à
ce compère, qui avoit le nés tourné à la frian-
dise. Tous deux la vous accostent, luy font en-
tendre la gageure. De prime face elle fit la res-
tive, les renvoyant par l'excuse « Si mon mary
le sçavoit ! » Neantmoins, avec l'envie qu'elle
avoit bonne de gaigner biscaye en son trou,
elle fut resveillée par l'amorce de dix escus qui
luy estoient affectez au cas qu'elle laissast passer
outre. Ce qui coupoit le coup à ses souhaits estoit
qu'elle sçavoit bien que son compère estoit
frappé de l'avarice tellement qu'il luy eut bien
fasché de perdre dix escus ainsi à crédit ; pource,
avant la coupelle luy dit que, quand bien elle
recevroit choc de luy, véritablement elle retire-
212 DU BABIL ET CAQJJET
roit les dix escus ; mais sur sa foy luy promettoit
les luy rendre : qu'il ne s'espargnast, elle luy feroit
beau jeu.
La partie faite, bloquée et arrestée de la façon,
au jour assigné on couche la commère avec le
compère, laquelle n'oublie jonction de pièces,
reviremens et entortillemens pour faire mettre
dedans le bissac ; mais le compère avoit preveu à
son affaire : avec un beau linge en trois ou quatre
doubles, il vous avoit lié son petit courtaut de
sorte qu'avant que pouvoir fouler l'herbe, il luy
falloit rompre trois ou quatre cordages. La moi-
tié de la nuit se passe tellement quellement, mais
non sans grande faschérie, sur tout du costé de
la femme, qui eut voulu que les cordages fussent
esté coupez ; en fin, elle s'hazarda de developer et
dénouer le cordage. Après que le rustre se sentit
à délivre, je vous laisse à penser les débandades,
capreoles et sursaillies qu'il fit le reste de la nuit,
qui ne servit qu'à entrer et sortir. Le lendemain
elle fut si indiscrète qu'elle alla discourir sa
finesse au gageur, qui pensoit desja avoir sauvé
ses dix escus et gaigné dix pour ceste commère.
Le cavalcadour s'y opposoit formellement, et
empeschoit que le dépositaire se dessaisit de l'ar-
gent déposé. L'affaire branloit à tirer au pis, et
eut paravanture mal réussi si le mary encorné
n'eut luymesmes décidé le différent.
DES FEMMES. 2l3
Donques, le lendemain de ceste chevauchée, et
comme les parties etoient sur le point de tomber
en alterque, arriva le mary, auquel, parce qu'il
estoit légiste, s'adressa son compère en la pré-
sence de sa femme et de son adverse partie.
« Monsieur, va il dire, je suis en grande peine
pour un procès qui me menace. Je vous vay
raconter le fait comme il est. J'avoie un poulain,
lequel je sçavoie estre fort farouche ; de peur qu'il
n'allast en dommage, je l'ay attaché à un arbre.
Est survenu la maistresse du pré voisin, qui l'a
délié ; après, mon poulain est allé fouler son
herbe. On me veut faire payer le dommage : je
demande si j'en suis tenu. » Le bon homme de
mary jugea au desavantage de sa bonne pièce
de femme, condamnant celle qui avoit des-em-
pestré le poulain.
Ex his, mon Gentilhomme, j'infère deux ar-
ticles : le premier, que les masles sont bien plus re-
tenus que les femmes ; l'autre est que les femmes
sont si babillardes que, mesmes quand elles auroient
conchié leurs chemises, elles ne le pourroient ca-
cher. Si ceste commère eut teu la sursaillie forcée de
son compère, elle n'y eut rien perdu, elle eut sauvé
son honneur; à tout rompre, elle eut couvert son
des-honneur. Un péché celé est à demy pardonné.
Faut bien que l'empereur Auguste eut bien re-
cordé ceste leçon, et qu'il leut en l'ame des femmes,
214 ^U BABIL ET CAQJJET
attendu que Suétone Tranquille nous tesmoigne
que cest empereur s'en alloit de nuit accoster des
femmes d'autruy, non tant pour envie qu'il avoit
d'adultérer que pour le désir qu'il avoit de des-
couvrir les desseins, entreprises et conspirations
de ses ennemis; de mesmes que fit le jeune gen-
tilhomme marseillois de la parente de Comman,
roy des Segregoriens, laquelle luy descouvrit les
menées de Comman contre ceux de Marseille.
Nos histoires sont pleines des descouvertes qui
ont esté faites par ces couvertures charnelles.
— N'estes vous pas un habile homme, respon-
dit le seigneur de la Vermille avec un sourcil re-
froigné, de nous faire voir ces sales danrées ! Ostez
moy cela, autrement dés à présent je vous déclare
que je quitte la partie : je tiens que ces drolesses
sont indignes d'estre ennombrées avec le reste des
autres dames d'honneur.
— Helas! mon Gentilhomme, répliqua messer
Rodolphe, je vous prie, rasseez vous : vous criez
avant qu'on vous escorche; et si n'estes anguille
de Melun. Par saint Piquet, je gageroie trois
espingles d'un liard le cent contre un escu^ si vous
le voulez mettre, que vous pensez que celles qu'on
tient honnestes et dames d'honneur ne soient
frappées au coin de la caquetoire! De peur de
vous mettre en hazard d'estre destroussé parmy
les chemins, je vous vay mener sans bouger d'icy
DES FEMMES. 2l5
chez les sieurs de la Motthe. Vous cognoissez
Catin, leur sœur? A ceste heure on l'appelle Ma-
damoiselle de la Grange à tour de bras ; je ne veux
pas dire qu'elle ne soit femme de bien, mais,
quand elle se met à radouber la lanterne (c'est un
epithete enigmatique du babil), elle feroit perdre
parole à cinquante hommes. Je m'en rapporte à
vous et de la reproche que son frère aisné fut con-
traint de luy ruer en présence de la compagnie;
vous sçavez si j'avance aucune chose contre la
vérité : vous y étiez.
— Allons, tout dous, Seigneur Rodolphe, res-
pondit le seigneur de la Vermille; Madamoiselle
Euthelie prétend un jour, par le moyen de son
serviteur, estre sa nièce : il faut éviter noise. Je
sçay (par mon fouet) que ceste pauvre femme jase
bien assez; mais, par vostre foy, n'y a il point de
hommes qui, si besoin estoit, luy en feroient leçons
encores per triennium? J'en cognois deux : l'un
vieillard aagé de quelque soixante et quinze ans
ou environ, marié à une jeune fille de quelques
dixhuit ans, le père duquel alloit autresfois (à son
dire ) vendre de Limozza des oranges au Peru ;
l'autre signe par la croix, son nom m'est in-
cogneu; je voudroie qu'il m'eut cousté pinie et
fagot, et que vous vissiez ces deux personnages
ensemble en une compagnie : vous esboufîeriez
de rire. Je les ay autresfois veu en de bons lieux.
2l6 DU BABIL ET CAQUET
Voulez vous sçavoir comment ils emmanchoient
le babil? Avez vous jamais veu de ces tartevelles
que les petis enfans portent auprès de Pasques?
ils alloient trois fois plus dru avec leurs langues.
Je fus enfin contraint rompre compagnie, tant
pour rire à mon plaisir que pour donner un peu
de repos à mes pauvres aureilles, qui s'en alloient
assourdées. »
Au demeur'int, Seigneur Rodolphe, vous estes
un fin homme; vous voudriez volontiers que les
femmes ne parlassent non plus que les poissons
de nostre vivier, ou les truites de Nantua, An-
goulesme, etc. Il faut que vous partisiez pour
ceux qui ont envie de jouer quelque lasche tour à
certaines abusées, et leur enjoignent silence, de
peur qu'elles ne crient au secours ou qu'elles
n'esventent le secret de leur impieté. Je vous en
feray un compte gentil, parce que je le treuve de
bonne grâce, et aussi que je l'ay autresfois ouy
raconter à nostre metaiere, qui fut mise à l'es-
preuve du canon, de la manière que vous enten-
drez. Auparavant qu'elle se mit en nostre maison,
son mary et elle se tenoient à la Clayette, où c'es-
toit tout ce qu'ils pouvoient faire de vivoter bien
chetivement. Ils avoient un compère bladier qui
vous les venoit visiter tous les marchez, lequel ils
hebergeoient; mais c'estoit fort à lestroit, quoy
qu'à leur bien grand regret. De fait, ils le fai-
DES FEMMES. 217
soient coucher sur la belle paille en Testable au-
près de sa jument, et si pour cela on voyoit qu'il
ne laissoit à faire bien ses besoignes. Geste pauvre
commère^ meuë de compassion du piteux giste
qu'ils bailloient à ce compère, et envieuse du
prouffit qu'il faisoit clairement, en la présence de
son mary vous va accoster cest hoste : « Mon
compère, je meurs de regret que je ne vous puis
mieux loger; et comment est ce que vous pouvez
ainsi durer? Encores (mon mary), si vous pouviez
trouver moyen d'avoir une jument, il y a appa-
rence que nous ferions quelque chose. » Ce com-
père, qui entendoit bien chat sans dire minon :
« Mes amis,respondit il, je ne suis pas si à plain-
dre qu'il vous semble; vous croyez que je couche
tout seul avec ma cavale, cela est vray; mais je la
fais transformer quand je veux en femme, puis le
matin je luy fais reprendre sa forme cavaline. —
Voila nostre cas (mon mary), respond la com-
mère; il faut (mon compère, mon grand amy) que
vous nous faciez ce bien de nous apprendre ceste
belle recepte. » Le bon compagnon se fîst un peu
tirer l'aureille pour faire trouver la saulce meil-
leure. En fin, forcé de faire ce qu'il avoit bonne
envie d'exécuter, dit au mary : « Mon compère,
comme je vous suis amy, je ne veux vous rien ca-
cher; mais je crains que, par la faute de vostre
femme, je ne puisse vous communiquer un si
28
2l8 DU BABIL ET CAQUET
brave secret. Je ne demande seulement qu'elle ne
die mot : car, si pendant l'acte de l'exorcisme
métamorphosant elle dit un petit mot, voila le
mystère tout rompu, nous serons fustez. » La
commère, comme elle beletoit d'estre femme ca-
valine, aussi ne manqua à sermenter et promettre
de plus belles que jamais. Sous ceste asseurance,
le compère se met après son charme. Il vous fait
un grand cerne, dedans lequel il vous fît entrer sa
commère toute nuë ; après, la vous fît coucher par
terre, et, marmonnant entre ses dents, transformoit
par espérance chascun des membres de la femme
en celuy d'une jument. La commère ne guignoit,
voire à peine osoit elle souffler; mais quand ce
vint à mettre la queue (laquelle, cela s'entend, est
sur tout nécessaire aux jumens pour tenir la crou-
pière), elle se mit à escrier: « Quoy! Monsieur
mon compère, je suis vostre commère, vous vou-
lez vous donner aux diables d'enfer? » A vous
noterez que le senaud vouloit l'enguener de sa
queue. Nostre mestayere ne fît elle pas bien de
parler? Si elle n'eut crié, son mary estoit coupaud
et son compère fort misérable. »
Ces petites contrarietez contradictoires mar-
choient en avant que je craignois que nos deux
disputans ne vinssent des paroles aux mains, et
pource vay je leur dire : « Messieurs, il n'est plus
question de discourir de la chose, c'est à dire du
DES FEMMES.
2 19
babil des femmes ; emploiez le reste de ceste après
disnée à recercher la cause pour laquelle les femmes
ont plus de caquet que les hommes. C'est là où il
faut battre, sans ainsi s'invectiver, attendu qu'on
sçait tresbien que le silence est fort séant aux
femmes, ainsi que tous les philosophes l'ont
tresbien remarqué; et entre autres, Plutarque, en
ses Préceptes nociers, enjoint à la femme qu'elle
ne devise qu'avec le mary, voire luy conseille de
ne se desdaigner qu'on la face parler par la bou-
che et organe de son mary. La raison estoit parce
qu'une femme ne devoit pas moins appréhender
de parler en public que de se monstrer nue de-
vant un chascun, attendu que la parole est le mi-
roir dans lequel nous représentons au naïf nos
pensées et affections. Mais qu'y voulez vous faire ?
cela est naturel aux femmes de parler beaucoup et
n'estre maistresses de leur langue, de laquelle
ils auront plustost lassé les aureilles d'autruy
que l'avoir rassasié.
— Jamais vous ne fustes desdit à Rome, Mon-
seigneur, me va respondre le S'" Rodolphe; aussi
ne le serez vous céans, aumoins de ma part : c'est
bien raison que vous y ayez autant de crédit que
le charbonnier chez soy. Puis qu'il vous plaist, je
suis contant de passer par dessus tout ce que j'a-
voie proposé de crier contre le caquet des femmes,
pour descouvrir, au mieux que je pourray, les rai-
220 DU BABIL ET CACLUET
sons d'une si grande babillarderie. J'encoucheray
icy trois : la première est peschée de la nature,
veu que je tiens que la grande humidité du cer-
veau femenin fait rejaillir par les bouches des
femmes une telle abondance de paroles. Que
ainsi soit, je tiens que, tout ainsi que diverses ima-
ginations s'impriment facilement au cerveau, aussi
elles s'en partent et deslogent aisément et tombent
de la mémoire : au moyen dequoy le cerveau,
craignant de les oublier, si tost que la femme aura
imprimé une chose en sa fantasie, incontinent
l'envoyé à la langue, et, à cause de ceste humidité,
après en avoir appris des autres, les envoie incon-
tinent par le mesme chemin; et ainsi, passant
d'une chose en l'autre, la fin d'un propos est
tousjours commencement d'un autre, alendroit
des femmes.
L'expérience esclaircira cecy en ceux lesquels
parlent viste; j'en ay cogneu que, lors qu'ils reci-
toient quelque chose par cœur, ne pouvoient se
commander qu'ils ne courussent la poste; m.ais,
s'ils avoient un livre en la main, ils lisoient aussi
posément et distinctement que vous ou moy sçau-
rions faire. D'où vient ceste hastiveté? De la
crainte et appréhension qu'ils ont de oublier le
dessein du discours qu'ils auront projette en leur
entendement.
— Quand je vous oys ergoter de la façon, Sei-
DES FEMMES. 221
gneur Rodolphe, répliqua le S^ de la Vermille, il
me semble que je suis à moitié saoul, ou que j'en-
tende frère Jean des Entoumeures rabeliser sur la
question qu'on lui fît : Pourquoy les cuisses d'une
damoiselle sont tousjours fraisches. Ce maistre
moyne en cotta ces trois raisons : la i . pource que
l'eau decourt tout du long; la 2. pource que c'est
un lieu ombrageux, obscur et ténébreux, auquel
le soleil jamais ne luit; la 3. pource qu'il est con-
tinuellement esventé des vens du trou de bize, de
chemise et d'abondant de la braguette. Qu'on
prenne ces trois raisons et qu'on les balance avec
les vostres trois, on treuvera que les unes ont au-
tant de nez et de rime que les autres : de la pre-
mière cela n'est que trop évident ; des autres deux,
vous verrez que je suis bon devin. Je vous sens
venir : vous portez des bots et sabots.
Vous imputez le babil dont voulez coiffer nos
femmes à l'humidité de leur cerveau; la conclu-
sion que vous faites est du tout impertinente :
car, si ainsi est, comme je le recognois et seroie
bien marry de tenir le contraire, cela faict gran-
dement pour moy que les femmes sont beaucoup
plus humides que les hommes; il s'ensuit qu'elles
sont plus pesantes, ergo gluc, c'est à dire moins
promptes à babiller. La maistresse des fols vous
apprend cecy tous les jours : vous voyez que
l'homme, à cause de la chaleur qui prédomine en
222 DU BABIL ET CAQUET
luy avec plus grande véhémence qu'en la femme,
est beaucoup plus soudain, prompt et délibéré en
tous ses mouvemens, actions et deportemens, que
n'est la femme, laquelle au contraire est tardive.
Et par ce que cecy ne vise qu'au gênerai, pour
donner une plus claire preuve, touchons, je vous
prie, au particulier, sondons le fîl de la langue.
Il n'est pas besoin de visiter la nostre ou celle des
femmes, ce seroit tousjours à recommancer; re-
courons aux bestes. N'est ce pas le masle qui est
choisi pour chanter et donner du plaisir par son
ramage et gasouillis. Ce n'est point la poule qui
chante, c'est le coq; voire un chappon, pour son
humidité accidentele, ne chante pas. Un chardon-
neret, faut qu'il soit masle pour fredonner. Le
perroquet cause, et non la femelle, quoy que
Pline semble n'y vouloir mettre aucune diffé-
rence.
— J'ay, va dire Messer Rodolphe, double ré-
plique contre vous. La première, que ceste natu-
relle habitude de la femme à babiller luy est par-
ticulière, quoy que ce soit contre l'ordre naturel
du reste des animaux. Ne pensez pas que j'invente
ceste exception à crédit et pour eschappatoire ; je
vous donneray bien d'autres contre-naturées na-
turalitez en la femme. Entre-autres, vous sçavez
que la femme a beau estre enceinte, pource elle
ne laisse pas à souhaiter trés-ardemment l'accoin-
DES FEMMES. 223
tance du masle, pourautant (dit Albert le Grand)
que le germe conceu esmeut les nerfs ; de ce fré-
tillement et chatouillement ceste chaleur prend sa
naissance. Les bestes brutes, dés qu'elles sont
empreintes, sont exemptes de ces accouples. L'e-
lephant n'a pas garde de toucher à sa femelle, et
pource la belle Populia, comme quelcun se gaussa
de ce que les femmes ne pouvoientestre assouvies
de ces decoulemens cupidiques, après mesmes que
leur matrice estoit bouchée et serrée, quoy que
les bestes fussent plus sobres et retenues, ne res-
pondit que ce mot : a Ce sont bestes i » au rap-
port de Macrobe, au second livre de ses Satur-
nales, chapitre cinquiesme.
L'autre réplique vous descouvrira pourquoy
nature fait ainsi franchir le sault aux femmes,
qu'encores que ce ne soit le naturel des femelles
de chanter, ce neantmoins la femme caquette.
N'avez vous jamais ouy parler d'une langue et
d'une languette? Le surcroist de ce diminutif fait
que la femme langaye si fort, autrement et où elle
feroit en ce de la difficile, la languette se mettroit
à langager. Nature n'a rien fait en vain. Briarée
le Géant, pourquoy estoit il si fort? N'estoit ce
pas parce qu'il avoit plus de mains et de membres
que nous autres ?
— Ce ne sera donc jamais fait de gausser? va
dire le S^ de la Vermille. Par mon bidet I vous
224 ^U BABIL ET CAQJJET
estes subtil à merveilles, Seigneur Rodolphe; je
crois que vous anatomiseriez volontiers un che-
veul en quatre parties, pour en tirer la quintes-
sence avec vos langues et languettes. Ha, ha, ha!
fî, le vilain! si nous estions en esté je vous en-
voiroie au Landit.
Pour revenir à nos poules, je vous prie de cou-
cher icy les deux raisons que vous nous avez pro-
mis, afin que nous levions vistement ceste apres-
disnée. Aussi bien ay je envie d'aller faire un pré-
sent en quelque part de quelque chose qui me
charge fort.
— Maintenant donc vous avez haste, respondit
le S^ Rodolphe ; je vous vay expédier en deux
petits coups. La seconde raison dont je veux fes-
toyer le caquet des femmes, prend pied sur ce
qu'Erasme nous enseigne que, où il y a moins de
cœur et de force, là il y a plus de langue et de
babil. Pource nature a permis aux oiseaux de
battre l'air de leurs chansons, notes, fredons, ga-
souillis et ramages; mais les taureaux, elephans
et lyons, elle ne les a point amusé à ces tirelirées
mignardises: elle les bande à la force. De mesmes
nous voyons que les vieillards et enfans, aussi
bien que les femmes, emmanchent fort propre-
ment le babil, parce que les forces du corps et de
l'esprit viennent à leur deffaillir.
La troisiesme raison est fondée sur ce que les
DES FEMMES. 225
femmes, estans phlegmatiques, elles sont aussi
oiseuses. Telle oisiveté, comme elle est la vraye
nourriture des longs propos, fait que les femmes,
tant par accoustumance que par nature, abondent
plus en paroles que les hommes. On pourroit
aussi adjouster que les femmes, estans vaines et
ayans la teste vuide, ainsi qu'un instrument creux
et minse rend du premier coup un son clair et qui
dure, elles se font ouïr et trezeler à chasque mi-
nute. En après, que, puis que l'humidité de leur
cerveau leur avoit imprimé une grande multitude
de choses, elles prennent aussi le chemin en leurs
impressions que prennent les conceptions de l'es-
prit, qu'est celuy de la langue, tellement qu'en
parlant beaucoup elles ne font que suivre leur
naturel. D'ailleurs, on sçait que leur instabilité,
indiscrétion et témérité, les rend aussi volages que
les enfans, et qu'à ceste occasion elles s'esmer-
veillent de tout ce qu'elles voyent et entendent
dire; et, comme timides par nature, elles font
grandes toutes choses petites, et consequemment
elles caquettent outre mesure. Finalement, que le
babil leur sert de beaucoup pour purger leur cer-
veau et évacuer les meschantes humeurs, qui, à la
longue, si elles estoient retenues, pourroient les
maleficier. Je ne parle point à crédit, j'en ay la
preuve en main : vous me la fournirez en vostre
maison . La vefve de feu vostre oncle, pourquoy est
29
226 DU BABIL ET CAQUET
ce que sans cesse il faut ou qu'elle jase ou qu^elle
se courrouce? Vous sçavez que je dis vray. Ce
n'est pas que cela soit bien séant à une femme,
mais cela la descharge d'autant. Voire je me suis
apperceu, pour l'avoir esprouvé, que quelques ma-
tins que je l'ay pris pour la mener pourmener, je
me mettoie à discourir tout du long du chemin,
tant pour faire l'honneste que pour l'empescher
de parler; estant revenu au logis, on parloit de
disner, ce ne fut onques en mon possible de luy
pouvoir faire avaler un morceau. Et, quoy que je
luy remonstrasse qu'elle avoit fait un assez beau
trot de chemin pour prendre de l'appétit : « Si ne
suis je encores appetissée, respondit elle, mon
estomac n'est encores ouvert. » Pour le decade-
nasser, si quelcun ne la mettoit en rue pour de-
viser, ou qu'elle ne peut crier deux ou trois heures
après quelcun, elle vous prenoit un livre dans le-
quel elle vous lisoit, tout ainsi que font les lec-
teurs es convents pendant le repas des religieux.
Après avoir leu auprès d'elle, vous trouviez de
gros placars d'excremens : elle lavoit la main, et,
je me recommande, elle vous briffoit en asne
débatte et humoit du pyot en tirelarigot. En fin,
je luy demandois si elle avoit fait vœu de lire si
longtemps avant que prendre son repas. « Nenny,
respondit elle, mais je suis esté conseillée de tenir
ceste reigle : c'est que je parle long temps avant
DES FEMMES.
227
que boire ou manger; cela me nettoyé et vous fait
sortir dehors des phlegmes qui mepourroient es-
toufîer, ou avec le temps se convertiroient en un
rheume qui me tomberoit sur le poulmon. »
— En ma conscience, va dire le S^ de la Ver-
mille, vous me confondez par de si vives raisons
que je suis contraint de me taire pour faire place
au caquet des femmes. Vous m'avez si bien plié
à vostre opinion qu'au premier jour, si voulez, je
vous tiendray compagnie pour aller à Rome, afin
de demander congé à S. S. qu'il nous soit loisible
d'adjouster à nos letanies : A garrulitate muUerum
libéra nosj Domine, h
APRESDISNÉE VI
DES BARBES.
EUX qui eurent leur tour en ceste
apres-disnée, pour avoir débattu la
matière des barbes, sentans que je
vouloie publier leur discours, m'ont
prié de couvrir leurs noms. Leur requeste ne m'a
point semblé desraisonnable; pourceje la leur ay
entériné tres-volontiers : voila pourquoy je mets
icy en rang deux philosophes, asçavoir Camille
et Demonax, parce que l'un en son temps a esté
grand suppost et protecteur des barbes, l'autre
s'en moquoit à gorge desployée. Quant à ceux
qui par passées ont donné quelques traits, comme
estoient les seigneurs Constantin et Alphonse,
leurs noms et qualitez sont si bien cogneuës d'un
chascun que, quand je ne les eusse nommé, les
bons compaignons eussent senty de dix lieues la
piste de ces maistres drôles. Voicy le S"" Camille
23o DES BARBES.
qui ouvre la dispute durant ceste apresdisnée.
« J'estime, Messieurs, que c'est àmoyà butter
aujourd'huy, puis que me voicy posé au lieu des
champions de nos exercices. Puis que je n'ay
autre chose de plus propre, je m'en vay mettre au
blanc une couple de barbes que j'ay inopinément
rencontré. Ne tirez pas encores, que personne ne
bouge, corps bleu ! vous donneriez dans mes che-
veux. Attendez ; aussi bien est ce à moy à donner
le premier coup.
— Vertu Sainct Gris, va dire le S"" Constantin,
vous estes un fin homme, il n'y a coup qui puisse
porter : pour tout potage, ce sont des cheveux.
Vous dites que ce sont barbes, cujus generis?
— Je respondray pour Monsieur Camille, dit
le S'" Alphonse, /emmm/.
— Ah! je quitte donc la partie, respondit Mes-
ser Constantin, je n'en seray point; si j'avoie
donné deux coups dans ces barbes féminines,
principalement guedé et en Testât que je suis, ce
seroit fait de moy. Il y a plus, que je ne sçauroie
tirer à ceste heure en si bas lieu, autrement je
m'endormiroie. Partant, si avez envie. Seigneur
Camille, qu'on vous tienne pied, mettez y en
d'autres qui soient de la catégorie des masles, il y
aura belle prise.
— Hé! quels mitouards sont ce cy? va dire le
S"^ Camille : ils fonderoient un procès perennel sur
DES BARBES. 23l
le pied d'une mouche : attendez, je vous vay mettre
d'accord. Le Seigneur Alphonse n'a point menty
quand il a dit que les barbes estoient feminini
generis : la raison est que barba est de la première
déclinaison; or est il que tous les noms qui en
sont et se terminent en a sont du genre femenin.
Ergo les barbes le sont. Mais en un autre sens il
n'a pas dit vray, Seigneur Constantin, parce que
ces barbes que voiez là tendues sont des masles;
mesmes à la rigueur je vous feray passer les bar-
bes femenines attachées au menton des femmes.
Vous avez Aristote, lequel, au 3. liv. de son His-
toire des Animaux, chap. 1 1, nous apprend qu'en
Carie celles qui se meslent des choses sacrées et
de divination sont barbues. Et, entre nous, il y en
a tant qui portent barbe. Toutesfois, afin qu'un
chascun entende ce que je veus dire (il pourra
peut estre plus faire que je ne fais), je vous mets
icy en veue des barbes viriles, qui croissent aux
mentons des hommes masles, ausquelles je sous-
tiens que l'on doit porter honneur et révérence.
Voila le S'" Demonax qui semble vouloir faire du
mauvais garson; je sçay bien qu'il en veut aux
barbes, parce qu'il ne sçait que c'est que barbe:
aussi luy est il tellement ennemy et mai devo-
tionné qu'en quarante cinq douzaines de lunes
qui sont escoulées durant sa vie la barbe n'a peu
prendre racine sur son menton.
232 DES BARBES.
— Ûuy, va dire Demonax, je seray de la par-
tie, voire que, si je puis, je vous feray mettre bas
à tout tant de barbeaux que vous estes vos barbes ;
vous en faites si grand estât : je soustiens qu'il les
faut abattre ; advisez s'il y a moyen de les pouvoir
sauver, autrement je vous vay renvoier en Bar-
barie, suivant le texte de la loy : Barbarius Phi-
lippus cum glossa et ibi Bartol. et D. D. passim.
— Ça, çà, à la guerre, respondit le S^ Camille,
qui, par force de rire, pensa embrener le dessous
de son culier, on veut faire la barbe aux barbes;
si ne faut il se monstrer de cœur failly en une si
bonne et juste querele. Contre fortune bon cœur.
Afin que je vous traitte en honneste homme, mon
Demonax, je vous veux monstrer que je suis en-
cores philosophe, et pource je ne vous battray
que par vives et pregnantes raisons, ausquelles
vous tascherez de respondre; après, si vous pen-
sez avoir quelques argumens qui, à vostre advis,
semblent esbranler la vérité que je soustiens, je
m'essayeray à vous contanter.
Et parce que les longs discours mangent et
consomiment les jours, je vay commancer à for-
tiffier et barriquer le fort du blason de nos barbes.
En premier lieu, nous demourons d'accord que
nature ne fait rien en vain : c'est un axiome tres-
veritable, tellement receu et approuvé parmy les
philosophes que le fouet pend au cul de celuy qui
DES BARBES. 233
ose le mettre en ny. Vous sçavez que naturelle-
ment nostre menton se cottonne de barbe. Pour-
quoy donc voulez vous qu'on retranche ce que
nature a si bien attifé?
— Cest argument corne in modo et figura^
respond Demonax, mais il neconcludpas; ilfau-
droit que la barbe fut une partie du corps humain,
ou similaire, ou instrumentaire, servant aux func-
tions humaines, afin que la nature ne la produisit
pour estre retranchée. Pour vous monstrer que je
ne veux point tirer les cheveux à la matière et
que je n'y procède qu'en bonne équité, je suis
bien contant vous faire entendre que je ne tiens
la barbe qu'au rang des cheveux de la teste ou des
ongles; ne les faut il pas couper? Ce n'est pas à
dire, parce que nature permet que la barbe croisse,
qu'il s'ensuive qu'il soit interdit de la raser; tout
ne plus ne moins que qui diroit qu'il ne faut es-
brancher les arbres, couper et abbattre les guys et
tels autres surcroists qui amusent l'avancement du
fruit. Le vigneron taille le bois de la vigne, voire
il retranchera une verge entière du sep, parce
qu'il voit que ce n'est qu'un excrément que na-
ture pousse dehors pour purger la plante.
— Vous confondez, nostre ma?^tre, répliqua
le S^" Camille, les excremens naturels ; il y en a de
diverses sortes: tous ne sont formez en un moule,
ny destinez à mesmes fin. Il y en a qui, pour le
234 ^^^ BARBES.
peu d'honesteté qu'ils ont, sont incontinent ab-
batus et renvoiez en bas; mais ceux qui rappor-
tent du proffit, de l'honneur et de l'ornement, il
n'est pas question de les ciseler et rejetter: ce
seroit faire tort à nature qui les a voulu honorer.
La barbe est de la qualité de ces derniers, ainsi
que j'espère vous monstrer avant que je dorme.
Vous nous voulez faire peler le menton, que ne
nous traitez vous de mesmes façon à nous faire
testonner la teste?
— Il y a bien à dire d'un asne à un cheval, res-
pondit M. Demonax, comme aussi les cheveux
sont bien autre chose que la barbe. N'est ja be-
soin de faire du grand philosophe pour vous
monstrer cecy; nature le vous apprend en ce que,
comme elle sçait tresbien que les cheveux de
nostre teste nous font fort mestier pour nous sau-
ver de l'injure du froid qui nous pourroit excéder
nostre cerveau froid, avant que nous ayons mis le
nés hors du ventre de nostre mère, elle nous arme
de ces cheveux. L'occasion en est touchée par ce
grand naturaliste Pline, parce qu'il estoit équi-
table que nature, de bonne heure, couvrit et rem-
parast d'un roide hallier de cheveux alencontre
de l'injure et malignité de l'air entourant ceste
excellente partie^ qui est le chef qui devoit com-
mander à tout le reste du corps et départir aux
autres membres la vertu sensitive, à cause de sa
DES BARBES. 235
substance moelleuse, qui seroit aussi tost offensée.
Nostre menton à peine sent il les premiers floc-
cons de la barbe à quinze ans, plus tard que plus
tost.
— Voyons la subtilité de vostre syllogisme,
répliqua le S'" Camille; vous tendez à la rétention
et conservation de vos cheveux, parce qu'ils sont
beaucoup plus anciens que la barbe , comme si
telle priorité ou postériorité de temps faisoit
quelque chose au propos de question. C'est que
vous estimez que ce que nature pousse dehors
après la première boutée et génération est déna-
turé ou bien outre-naturé, et par conséquent
qu'on doit le retrancher. Ho, ho, ho! Messer
Demonax, vous estes sophiste, et n'entendez pas
bien à trousser un ergo in barhara. Raison, sans
icelle je ne feroie pas comte de toutes vos haran-
gues d'un bouton; si votre illation avoit lieu, et
qu'elle ne fut fausse et pangoustique, je vous con-
seilleroie de vous arracher bragardement vos dens,
qui ne vous sont, au. moins je l'estime, nés dans
le ventre de vostre mère : uhi eadem est ratio juris^
idem jus constitui débet. C'est la maxime de nos
docteurs sur la loy qui fait le bout au titre : De
jusiitia et jure^ Barbaricus cons, 35 et ibi Antoniiis
de Arena. Si vous voyez un homme qui auroit
perdu ses dents pour ceste phantaisie, dites moy
s'il vous faudroit de l'ellébore pour vous faire
236 DES BARBES.
rire, et si vous ne le caresseriez pas de la qualité
d'edenté, brechedent^, etc., dont vous trouverez
des nouvelles au cent dixhuitiesme chapitre du
formulaire dressé par les harangieres, en l'année j
de la reformation. m
Ex his il appert que puis que nature ne fait rien "
qu'à propos et pour nous servir, et qu'elle nous a
embarbé de barbe nos mentons barbus, qu'on ne
peut, ou sans vouloir faire outrage à ceste tant
sage et prudente nature, ou sans nous dénaturer
misérablement, nous debarber. Puis que j'ay ce
point gaigné, me voila au dessus de mes pre-
tentes.
Maintenant il me faut considérer pourquoy et
à quelle fin nous avons receu la barbe. Le méde-
cin Bretonnayau, en son Temple de l'Ame, le
nous fait voir en ces vers :
Lors qu'inégalement l'homme enfle sa parole ,
C'est ce qui met la barre entre la femme molle
Et l'homme courageux : le menton estant nu ,
A quoj eut sa moitié l'autre moitié cogneu ?
Ceste barbe honorable est un asseuré signe
De la masle vertu, eschauffant la poitrine,
Que nul ne doit porter d'homme de bien le nom ,
S'il ne porte premier ceste merque au menton.
Par ce merc l'on cognoit à qui l'aage et l'usage
Les titres ont acquis d'homme sçavant et sage.
Ce fut pourquoy jadis au grand dieu d'Epidaur'
L'antiquité donnoit une grand'barbe d'or.
Par elle on decernoit le philosophe grave
DES BARBES. 287
Du populaire ras, le patron de l'esclave;
C'est ce qui l'homme avance et le pousse en crédit,
Or qu'un Misopogon le contraire en ait dit.
De ce poil vénérable accomparant la grâce
A d'un bouc enfumé la tres-sale barbasse.
EU' monstre aussi que l'homme est le chef et seigneur
De la femme, qui doit à l'homme son honneur.
Qu'un homme soit sans barbe, est ce pas pareil blasme
Que voir à descouvert sans cheveux une femme ?
Chose autant triste à voir est un menton rasé
Qu'un pré par où la faux a n'agueres passé ,
Que le cheval sans crins, et que l'arbre sans fueille,
Plus difforme que n'est d'Horace la corneille.
Voila parlé à vos révérences, Demonax, et qui
seroit fort propre pour vous rafraischir la fîqua-
telle. A propos de truelle, me voila relevé de ma
preuve.
Il y a plus, que, s'il est question que nous
allions en l'escole de ceux qui vous contemplent
chasque poil de barbe jusqu'à la racine, nous
trouverons qu'il n'y a que tout heur en ce qu'elle
promet. Vous avez le bon Apomasar qui, au
quarante et un de ses Apotelesmes, nous apprend
que les cheveux de la barbe sont la parure de la
bouche, c'est à dire de la maison. Car, tout ainsi
qu'en la bouche les dents sont renserrées, aussi
les domestiques en la maison. Or, si quelqu'un,
dit il, pense en songeant qu'il s'accoustre les che-
veux de sa barbe, ou par se tondre, ou par s'oin-
dre, ou par se peigner, il pare la face de sa mai-
238 DES BARBES.
son, de sorte qu'il aura apparence d'estre quelque
chose d'exquis et de mérite. J'en pourroie entas-
ser icy un millier d'exemples, mais je crains la
prolixité.
— Qui compte sans son hoste, répliqua De-
monax, il compte deux fois, juxta notata ah An-
gelOy l'abbé de Palerme Boss. Alexand. Landf. ad
rubricam C. de errore calculi et repetit., Bar nab. et
Casirens. C. deerro. advoc. et ibi gl. notabilis. Ce
maistre médecin dit prou, mais il ne dit pas que
ses escrits ne sont pas mots d'Evangile : ils sont
sujets à caution ; je suis philosophe et ne suis point
subject à croire au dire d'aucun, s'il ne me mons-
tre dequoy.
— Vous estes donc mescreant secundum qu'id
et respective, Seigneur Demonax, va dire le sei-
gneur Camille, j'ay soubre de preuve, tenez vous
roide et sur le devant. Par bieu {da jurandi) je vay
vous culebuter par derrière. Ce sera affaire à prier
la compagnie de piller patience et nous prester
leurs aureilles seulement pour la moitié d'une
demie douzaine d'heures. Cela dépend de nous
d'accourcir ou alongir ces apres-disnées, de mes-
mes que des estrivieres, ou que faisoit frère Jean
des Entomeures son Bréviaire ad propositumj'fây
en premier lieu à vous monstrer que la barbe nous
est plus que tres-necessaire, quand ce ne seroit
que pour discerner, distinguer et demesler les
DES BARBES. 289
masles d'avec les femelles. De fait, quand je vois
ces mentons rasez, je ne sçay si ce sont des femmes
desguisées en habit d'hommes. Avec ce que, si
vous avez souvenance de plusieurs histoires, vous
trouverez que ces mentons pelez ont fait de bons
tours en la qualité du sexe femenin. Parce que
cecy vous pourroit toucher au vif, vous pourrez
faire semblant de n'en avoir rien couché parvostre
mémento; pource, je vous feray le récit d'un trait
qui fut joué par un esbarbat à un gentilhomme
d'honneur, lequel avoit beaucoup de moyens; et
pource, tout vieillard qu'il estoit, aagé de quel-
ques soixante dixsept ans, il treuva moyen de se
percher avec une jeune damoiselle de seize à dix-
sept ans, belle tout ce qui se pouvoit. Elle n'eut
point passé la quinzaine qu'elle commença à trou-
ver l'ordinaire de son espoux trop maigre. Le
mary, se cognoissant maistre d'une chose si belle,
et cognoissant qu'il n'avoit dequoy pouvoir four-
nir à l'appointement, comme celuy qui, aiant la
neige sur le coupeau, ne pouvoit estre que froid
aux vallées, pour s'exempter du voyage de Cor-
nailles où il se doutoit que sa femme le pourroit
envoyer, se retira aux champs.
Ce qui donna grand mescontentement à la
jeune damoiselle, qui par ce moyen pensoit que
tout à fait on l'allast encloistrer en une religion.
Desja son espoux luy faisoit faire plus de jeusnes
240 DES BARBES.
qu'on n'en sçauroit trouver en la teste de la plus
grande bigotte de tout l'univers, et que l'on la
séquestra de toute compaignie. Pendant qu'elle
estoit en telle destresse, une tresexperte maqui-
gnonne des courtaux cupidiques vous luy pro-
mit de lui livrer en main un jeune, mais roide ca-
valcadour, lequel aisément pourroit estre intro-
duit dans la maison, moyennant qu'il se desguisast
en damoiselle : ce seroit à faire qu'elle luy don-
nast le nom de cousine. Le jour, heure et autres
circonstances arrestées, nostre esbarbat ne faillit
à visiter sa cousine, in habita prœstituto, qui la ré-
cent avec telle courtoisie que vous pourriez ima-
giner. Toutes deux vont trouver le bon homme
de mary, qui ne manqua de son costé^ à vouloir
faire de l'honneste. Les gestes de ceste nouvelle-
ment forgée damoiselle estoient tels qu'on ne
l'eut jamais pris pour gentilhomme, si ce n'est
qu'il avoit la voix un peu plus forte et rude que
ne l'ont nos succrées. Pour prévenir tout soupçon,
la femme luy va dire qu'elle estoit bien enrouée.
« Ouy, par ma fy, respondit nostre damoiselle
quouée; cela me prit dernièrement aux fiançailles
de Monsieur de Cenecourt : on me fit tant volter
que j'eus chaud et froid. Toutesfois à ceste heure
je me porte un peu mieux, et, quand j'auroie la
mort entre les dents, si est ce que je me gueriroie,
veu vostre si bonne disposition, w
DES BARBES.
241
Le souper s'apprestoit cependant que ces cou-
sines s'entretenoient ainsi de propos devant le
mary, qui y prenoit fort grand plaisir, parcequ'il
aimoit compaignie. Entre autres discours que sa
femme tint à la damoiselle imprimée de nouveau,
ce fut en se sousriant : « Hé bien, ma cousine,
estes vous tousjours peureuse? Autresfoisj'ay veu
que Testiez extrêmement. — Ma fy, voire, res-
pondit la nouvelle cousine, et encores plus que
jamais : de sorte qu'il faut que ma nourrice cou-
che tous les soirs avec moy. — Non, non, ma
cousine, va dire le mary, n'ayez point peur, vous
aurez vostre cousine qui ceste nuit vous tiendra
compaignie. » Dites voy, qui fut le plus aise des
deux cousines .? Après souper on s'amusa à deviser
quelque peu, puis fut question de s'aller coucher.
La cousine survenue prit congé du bon vieillard,
lequel enchargea derechef à sa femme coucher
avec elle. Il ne fallut pas la faire adjourner pour
obéir à ce tant agréable commandement. La nuit
se passe en des caresses qui apprindrentà la jeune
femme qu'il y avoit bien de la différence de son
mary avec un jousteur plus rude. Le matin elle se
relevé gaie et dehait (on luy avoit graissé son
lard) pour aller donner ordre aux affaires de la
maison, suivant la charge que luy en avoit laissé
son mary, qui dormoit cependant la grasse ma-
tinée.
3i
242 DES BARBES.
Le jeune escuyer toute la nuit n'avoit fait autre
que battre l'estrade sur le clos de sa cousine, dont
il estoit si las et si recreu que le matin il se mit à
prendre son repos et dormit de si grande heure
que les neuf heures le prirent dans le lit. Les
filles de chambre entrèrent au lieu où restoit gi-
sante ceste belle escuyere, qui, parce qu'il faisoit
chaud, s'estoit descouvert et monstroit ses pièces
naturellement. « Ah, ah ! ce dit une bonne vieille,
c'en sont, les cousins le font donc aux cousines?
Vous voulez donc fringuer, Madamoiselle; ago
m'amie, et qu'est ce cy? c'en sont, par ma fion-
gua. » Le jeune marjollet fut du depuis traité en
fils de bonne maison avec sa belle cousine, et me-
ruere bene.
Vous voyez par cecy que la barbe sert de beau-
coup pour empescher les meslanges et confusions
qui adviendroient autrement, par faute d'avoir
ceste marque qui, du premier coup, nous des-
couvre la virilité.
— Par sainct Goderan, Seigneur Camille, vous
nous en deviez deux, vous nous en avez donné
d'une, répliqua Demonax; hol que vous en sça-
vez de belles! Passe menu moins pource que
pourra valoir ce compte ; vous attachez donc la
virilité au poil de la barbe. En ce vous faillez
doublement : et primo, parce qu'il se treuve des
hommes qui sont aussi bien masles que vous, et
DES BARBES. 243
1
qui bastissent des enfans aussi gorrierement qu'au-
cun de la parroisse de S. Eustache, qui n'ont de
barbe au menton non plus qu'il y en a sur le
creux de vostre main. Dans une heure, si vou-
lez, je vous feray parler à cinq ou à six. De-
mandez voir à ce gentil compaignon de la for-
tune qui est icy auprès s'il n'est pas homme tout
entier, et au diable le poil qu'il ait au menton.
En après voulez vous nier qu'il n'y ait des
femmes qui portent de la barbe au menton? Je
m'en rapporte à la grosse Denise, à la voisine du
S'" Fremin, qui en a autant, si non plus, qu'aucun
de ceste assemblée (sans comparaison, mon capi-
taine). Il y a plus, que je vous monstreray des
Messieurs non sunt, hoc est des chastrez, qui ont
la barbe grosse, grande et roide comme celle d'un
Lifrelofre; et neantmoins, je sçay que vous les
cassez des bandes viriles.
Par sainte Dame 1 vous vous moquez donc de
faire estât des barbes, parce qu'elles font claire voye
de la distinction qui doit estre gardée entre les
masles et femelles ; vous voyez que vostre reigle
est faussée en ce que quelques uns sont desnuez
de barbe, qui ne laissent pourtant à estre masles
et entiers; d'autres sont barbus, qui pource ne
tiennent rang entre nous autres masles. Mais à
vostre advis, n'y a il point d'autres moyens, pour
discerner les masles d'avec les femelles, que la
244 ^^^ BARBES.
barbe? L'inspection des pièces naturelles n'est
elle pas beaucoup plus asseurée que toutes vos
belles barbes de neige? Si vous voyez un vibre-
quin, vous ne direz point que ce soit Toutil d'une
lingiere, bien d'un menusier, lequel s'en pourra
bien servir à la mortaise de la lingiere; mais cela
est accidentelement, tout ainsi que la cheville
n'est pas le trou. Ergo/je conclus comme dessus,
et ce suivant l'excellente doctrine qui nous est
donnée par nostre maistre Lyrippius, en ses Cym-
bales des Dames, et F. Turlupin,ensa 54. Décade
des VibrequinSy et ibi Nicolaus de Bella Pertica.
— Faudroit, respondit le S^ Camille, que vous
nous renvoyassiez à la pratique, qui, pour avoir
autresfois eu lieu, pourtant ne peut estre retenue
parmy nous. Vous sçavez que cela sent son im-
pudicité, et pourroit faire rendre gorge aux meil-
leurs cœurs. Ne vous opiniastrez donc point
contre la vérité : je vous tiens si honneste homme
que ne le ferez. Vous ne pouvez m'esconduire
d'une si juste et équitable sentence, moyennant
que je vous monstre que la barbe ne sied qu'aux
masles,pour tesmoigner et leur force et leur pru-
dence. Il ne me faut que prendre les guerriers et
les philosophes.
Quant au soldat, cela est si clair que, sans vous
faire tort, vous ne sçauriez le révoquer en doute.
Prenez moy un Suisse avec sa grand'barbe, cela
DES BARBES. 24J
n'a il point meilleure mine de soldat que ces petits
barbets qui à peine ont trois poils de barbe au
menton. La barbe représente une magesté qui
fait craindre et redouter le soldat. En après, elle
le garentit, le targue, ainsi qu'un hallier et buis-
son, des inconveniens qui ont accoustumé de bat-
tre sur ceux de sa profession.
— Par sainct Picaut! va dire Demonax, vous
le prenez fort bien, que la barbe sert au soldat
tout ainsi que les grands cheveux à un barbet en
esté. C'est une toison à poux et lentes; c'est un
fenier à morpions; c'est une baverette pour les
empescher de mouiller leurs goderons lors qu'ils
hument le brouet. Quant à la majesté que vous
attachez aux panonceaux de la barbe, je ne treuve
point que ceux qui ont eu l'honneur d'estre des
premiers et plus adroits guerriers en ayent fait
telle estime. Il n'y a personne (comme je croy)
d'entre nous autres François qui n'ait peu ap-
prendre de ses ancestres ceste vertueuse response
et vrayement digne d'un prince royal de France,
François Monsieur de Bourbon, seigneur d'An-
guien, faite à Alphonse d'Avallon, marquis du
Gast, gênerai de l'armée de l'empereur Charles
le Quint. Cest Espagnol, d'une outrecuidance
fondée sur quelques allechemens et bons visages
de fortune, entendant que ce jeune prince fran-
çois luy venoit au devant à Cerisoles, délibéré de
246 DES BARBES.
le combattre, luy manda qu'il estoit trop jeune
pour s'attaquer à luy, qui estoit un vieil routier,
afïre et espouvante goliathique. Ce jeune prince
respondit généreusement que ce n'estoient pas les
barbes des François qui combattoient, ains que
par leurs espées tranchantes ils faisoyent sentir à
l'ennemy leur vertu masle, qui par ce moyen par
tant' de fois s'estoit fait voye à travers les ar-
mées des ennemis tant en Europe qu'en Asie et
Afrique.
Avez-vous onques ouy parler d'un prince au-
quel la générosité martiale commanda plus qu'au
grand Alexandre? Ce n'est pas luy qui portoit
la barbe longue ; il ne la permettoit pas porter
grande à ses gens; comme entre autres il monstra
tresbien, lors que, ayant fait passer son armée en
Asie contre le roy Darius, il apperceut d'un costé
que les forces du Persan estoient bien autres que
celles de Macedone, et d'ailleurs que ses gens
portoient des longues barbes. « Non, non (dit il) ,
qu'on pose bas ces barbasses, cela seroit pour me
faire perdre la victoire. Vous vous donnez en
prise à l'ennemy, qui vous pourra happer par ces
longs bouchons et faire de vous ce qui luy plaira. »
Quand tout est dit, si vous tçnez un homme par
la barbe, il a bien peu de moyen de se deffendre :
de mesmes qu'il en prit aux Curetés et iEtoliens,
lesquels ne furent surmontez par leurs ennemis
DES BARBES. 247
que par le moyen de leurs barbes, les quelles ils
nourrissoient belles et grandes : pource, paraprés
ils les vous abbatirent bien et beau, ainsi que
nous tesmoigne Alex, ab Alexandro, livre 5,
chap. i8.
Ce n'est point Alexandre seul qui a baissé les
mains pour raser les barbes : Scipion l'Africain,
Jules César, Auguste, et la fleur des capitaines
anciens ont fait passer le rasoir sur leur menton.
Les autres ont usé de dépilatoires et psilothies;
mesmes le tiran de Syracuse, Denis, se la bucloit
avec un toupon de paille brandy. Il y a plus, que
les nations les plus belliqueuses ont esplanade les
touffues landes de leurs mentons barbus. La cou-
rageuseté guerrière des Spartains est célébrée par
tout l'univers; si est ce que, quoy que leur légis-
lateur Lycurgue leur ait conseillé de nourrir et
entretenir leurs perruques longues, par ce qu'elles
rendroient plus beaux ceux qui les avoient belles,
et plus effroyables ceux qui les avoient laides et
hideuses, il n'estoit loisible de charger longue
barbe, non plus que entre les Rhodiens et entre
les Constantinopolitains, qui, par surprise ou
autrement, ayant ordonné qu'on nourriroit les
barbes longues, mirent leur estât en un merveil-
leux hazard, pour l'esmeute du peuple, qui, estant
survenue à cause de ces barbasses, ne peut estre
appaisée que par la retractation et abrogation de
248 DES BARBES.
ceste loy. Les Siciliens pareillement avoient des
barbiers, voire en fournir depuis Rome, au rap-
port de Pline. Entre nous mesmes, ceste barban-
derie n'est elle pas odieuse? Je m'en rapporte à
Parrest de Thoulouse, portant expresse inhibition
de nourrir, eslever et entretenir les forests et
brossailles de barbes. L'exécution duquel fut si
roide que, comme un gentilhomme du pays se
présenta à la Cour pour avoir justice de quelques
droits sur luy usurpez par quelques rasez et es-
barbats, elle ne voulut l'escouter parce qu'il por-
toit longue barbe. Finalement, comme il impor-
tuna pour avoir justice, sur sa requeste présentée,
fut respondu : Barba rasa, providebit curia, c'est
à dire en françois : « La Cour y pourvoira, ta barbe
estant rasée. » Ce qui fut fait, cela s'entend. Je
vous renvoie aux Populacas, lesquels eurent le
dessus des Otthoniens par le moyen des barbes.
— Je suis, par ma conscience, respondit De-
monax, d'un peu dure créance, et ne suis pas aisé
à estre persuadé ; vous aurez bien affaire à me faire
entrer dans la cervelle vostre barbesque impres-
sion. De fait, je ne me souviens avoir onques ouy
priser les victoires de ces barbus.
— Ha, ha! respond le S'^ Camille, n'y a il af-
faire qu'à la vous prouver, je suis à cheval. Ceux
qui ont descrit les voiages de l'Espagnol Cortex
nous apprennent qu'auprès des Othoniens, ou
DES BARBES. 249
Therchichimecas, il y avoit, vers la contrée de
Miseca, une certaine nation de peuples qu'on
nomme Populacas, lesquels adoroient le soleil en
qualité de créateur de toutes choses; comme ils
estoient grans sorciers, ils trouvèrent en ce pays
là l'invention du feu par des moyens qui seroient
trop longs à spécifier. Les Othoniens, faschez de
ce que ces Populacas les avoient prévenu en ceste
invention, tombèrent en si cruelle inimitié qu'il
fut question de se guerroier. Ainsi que les armées
estoient prestes de se joindre, les Othoniens,
pour n'hazarder indiscrètement leurs forces, vou-
lurent esprouver la puissance des dieux, tant des
uns que des autres, et sçavoir si la lune n'auroit
point autant de puissance que le soleil. Voicy
trois articles qu'ils proposèrent aux Populacas :
le premier est qu'ils fissent tant avec leur dieu
que les loges qui estoient en la campaigne fussent
rasées^ ce qu'ils firent aisément; le second, qu'ils
fissent mourir à l'instant beaucoup de personnes :
pource encores il ne manquèrent; le troisiesme,
que, parce quMl estoit tard, ils fissent arrester le
cours du soleil. Les Populacas dirent qu'ils des-
pecheroient vers luy un ambassadeur, ce qu'ils
firent. Pour ce (ainsi chante l'histoire), estant
arrivé vers le soleil, le supplia qu'il luy pleut re-
tenir sa course, autrement que ces meschans
Otthoniens le mespriseroient, et estimeroient
32
25o DES BARBES.
avoir advantage sur les Populacas. Le soleil res-
pondit (c'estoit in illo tempore) : « Tu vois bien
qu'il m'est impossible m'arrester sans faire tort à
beaucoup de mes enfans et sujets, qui ne vivent
en cest Univers que des rayons de ma grandeur;
toutesfois, afin que vous ne vous mescontantiez,
voila mes barbes, qui est ce que j'estime le plus;
je les vous donne pour l'affection que je vous ay
par dessus tous autres, et dites à vos mal-veillans
que, s'ils ne vous quittent la victoire, qu'ils sen-
tiront que pesé mon indignation. Les Otthoniens
estoient esbarbats, comme aussi leurs ennemis;
mais dés que ils virent ceste barbe, ils perdirent le
cœur de plus inquiéter messieurs les Populacas.
Ces barbes (dit li conte) estoient plus longues
qu'une demie aune, venans sur le rouge, grosses
comme le poil d'un crin de cheval.
— Teste d'oignons, qu'est ce cy? va dire
Demonax; les historiens que vous alléguez sont
des tesmoins de Bressure : vous nous en feriez
enfiler de belles, qui voudroit vous croire. Je
m'esbahis comment avez osé en ouvrir seulement
la bouche : c'estoit assez pour nous exposer à la
bourrée, si on brusloit les inventeurs d'idolâtries,
aussi bien que ceux qui donnent entrée aux
schismes et hérésies. Qui n'y prendra bien garde,
voila l'idolâtrie des barbes qui est mise sus.
— Hél ventre d'un petit poisson, mon belaud,
DES BARBES. 25l
mon démoniaque, changez iaque en aXy vous
laissez le meilleur de la saulce, va dire Constant
tin; à quoy diable servent ces barbes?
— C'est (dit le S"" Camille) pour tesmoigner la
force du soldat. Ils sont pris s'ils ne s'enfuient.
Sainte Dame, c'est un brave renfort que toutes
ces barbasses.
— Si vous disiez. Seigneur Camille, qu'elles
serviroient bien à gabionner, pour les entasser
en une basle afin de résister à l'ennemy, il y
auroit apparence que ne voudriez flatter le dé. Je
me donne à, si vous ne diriez plus vray que vous
n'avez fait; ho l'estrelin, ho le Srole de S"" Ca-
mille, qui ne veut mettre dedans, encores qu'on
l'y pousse! Ne voiez vous pas qu'un boulet de
canon donnant dans une basle de laine, de cotton,
de mousse, de plumes, etc., s'embouffe là dedans,
et perd coup parce qu'il n'y a résistance. Les
barbes sont de mesmes : elles ne sont pas dures
et roides pour donner une repercussion etiebond
au boulet. Voila la plus grande commodité que
je voie aux barbes, de laquelle m'a fait souvenir
le conseil que Panurge donna à Pantagruel pour
la fortification de la ville de Paris, qui se feroit à
bon marché, juxta not. F. Rab. et ibi frater Lubi-
nus ad longum sine require.
A quoy se doit rapporter ce que Laërce, au
livre 2 , chap. 8, raconte qu'un financier de Denis,
252 DES BARBES.
nommé Camus, Phrigien de nation, pour faire
parade voulut monstrer à Aristipe sa maison,
laquelle estoit si bien diaprée, et ce maistre
Camus aussi superbe et magnifique, que ce pauvre
philosophe, ayant pris fantaisie de cracher, ne
sceut trouver lieu propre pour cracher en tout le
logis, fors sus la barbe de son monsieur le Ca-
mus, qui estoit autant que publier par tout qu'il
n'y a rien de plus sale, vilain et deshonneste que
la touffue barbe de ces maistres barbets.
— Quel causeur est cecy ? quel fat, quel bouf-
fon ! va dire le S^ Camille refroignant les sourcils
comme un chat qu'on chastre; il estoit bien
question de nous interrompre pour ces belles
fadaises ; je reviens à vous, Demonax, pour vous
dire que vos argumens ne sont si solides qu'ils
ont l'apparence. En premier lieu, vous vous con-
trariez, pour verser sur le cul nos barbes, contra-
ria allegans non est audiendus, Bart. in l. Titiœ ff.
de cond. et démons. Bald. l. prima C. de furtis.
Vous dites que le soldat doit avoir la barbe rase,
parce que l'ennemy le pourroit happer par la
barbe; et, neantmoins, vous voulez que les Lace-
demoniens aient peu porter la chevelure longue
jusques aux talons, mais la barbe non : n'y a il
pas aussi bien prise aux cheveux qu'à la barbe?
En ce vous ressemblez à ceux qui, sous grandes et
horribles peines, défendent aux hommes de se
DES BARBES. 253
vestir de robes de femmes, et aux femmes de
robes d'hommes, et neantmoins ils permettent
bien aux hommes qu'ils se déguisent en femmes
lors qu'ils leur permettent de se faire peler le
menton. Ils ne font point de conscience de faire
un faux bon à ce qui nous est naturel essentie-
lement, et veulent conserver religieusement ce
qui nobis a lue peccati accessit : testis est Gallia en
la personne de la Pucelle d'Orléans, jugée à mort
par les Anglois.
Il y a plus, que l'authorité sacrée nous apprend
que Sanson desconfit les Philistins, estant armé
de ses cheveux, de sorte que, dés que Dalila eut
peu descouvrir de luy ce secret, qu'il y avoit une
force indomptable aux cheveux de Sanson, et
qu'ils luy furent abbattus, les Philistins chevirent
aisément de luy. La prise n'est point si dange-
reuse soit aux cheveux qu'à la barbe : il y a
moyen de se deffendre. A tout il y a remède, fors
qu'à la mort. Vous me faictes ressouvenir d'un
gentil compte du Florentin Poge, qui nous ap-
prend qu'un empereur grec, pour empescher les
meurtres qui se faisoient entre les Grecs et les
Génois, avoit ordonné, pour peine d'homicide,
que la barbe leur seroit rasée. Ce qui fut exécuté
sur plusieurs des Grecs. Les Génois sembloient
estre traittez plus rigoureusement; pour tenir
quelque balance égale, leur magistrat ordonna
254 DES BARBES.
qu'en présence de tout le peuple, les meurtriers
et delinquans missent les marines et chausses bas,
descouvrissent leur cul, et que l'on leur rasa là leur
barbe culiere. En ce, il apparioit la barbe secrette
et resserrée avec celle qui est manifeste et essorée.
De guet à pend et par le sangoy, vous estes un
fin frotté; vous n'avez voulu toucher aux cani-
bales et sauvages, qui ne se lairroient pas un seul
poil sur le corps, mesmes jusques au poil ama-
toire. Vous estes de bas or, vous craignez la
touche; si ne m'eschaperez vous : puis que je
vous tiens, il faut que je vous pelaude. Si vostre
raison avoit lieu, qu'il faille raser la barbe parce
qu'elle peut estre happée par l'ennemy, je diroie
qu'il faudroit que tous ces sauvages se fissent
abattre la grande pique qu'ils portent entre les
jambes. Ils se joignent assez prés les uns des
autres au choc : qui les empesche de s'entrehap-
per leurs diables d'engins? Ils ne sont brayettez
comme nous, ils sont tout nuds; que respondrez
vous à cecy, Demonax?
Quant au reste de vos authoritez, je n'en fais
pas si grand cas que vous pourriez penser. Je ne
regarde point ce que l'on fait à Rome, mais ce
qui est séant d'y estre fait, mesmement puis que
j'ay moyen de vous contreopposer d'aussi excel-
lentes authoritez que sont les vostres et vous
rabbattre gentiment vos cornes. Les Lyciens
DES BARBES. 255
estoient tellement curieux de conserver leurs
barbes que, pour grande chose, n'eussent permis
qu'on la rasast. Ce que le capitaine Condale
recogneut tresbien : car, se trouvant avec une belle
et forte armée en leur pays, fort court de deniers,
pour les faire financer à l'appointement, voicy
l'expédient qu'il prit, c'est qu'il fit venir par
devers soy les principaux de la province, ausquels
il remonstra qu'outre son gré, et à son bien
grand regret, il estoit contraint leur faire en-
tendre la commission qu'il avoit du roy, sçachant
certainement qu'il ne pouvoit par icelle, sinon
leur déplaire : c'est que le roy Mausole vouloit
que dés maintenant tous les Lyciens se tondissent
leurs cheveux et fissent abbattre leurs barbes pour
les luy envoyer en Carie, afin de faire d'iceux un
appareil en l'honneur du roy de Perse. Comme
cela leur seroit fort fascheux, il s'estoit advisé
d'un moyen qui sera trespropre pour sauver leur
chevelure et rendre le roy son maistre contant,
c'est qu'ils fissent un impost et département de
deniers sur eux par teste et pro rata de la lon-
gueur des cheveux qu'ils portoient, qu'ils luy
délivrassent l'argent : il envoieroit en Grèce
pour y acheter autant de chevelures que le roy
demandoit. Les Lyciens, crainte de laisser perdre
l'occasion, en bien peu de temps firent la levée
de la somme, qui estoit si grande qu'ils en eussent
256
DES BARBES.
peu acheter leurs perruques, quoy qu'elles fussent
esté toutes d'or, et délivrèrent la partie deman-
dée, dressée, promise, et levée à Condale, lequel,
faignant l'envoier en Grèce, l'employa à la solde,
aux vivres et munitions de son armée.
Les Romains, les Grecs, les Chaldeens, les
égyptiens, les Alemans, les Suisses, et toutes
les nations les mieux prisées, se sont de tout
temps engarbé le menton de barbes; faites un
peu la contremire de ces peuples embarbez contre
vos esbarbats, et on verra qui l'emportera.
Je ne veux rien attenter sur le los, l'honneur et
excellence des Lacedemoniens, Rhodiens, Sici-
liens ou Romains. Mais est il impossible qu'ils
ayent failly en ce poinct, aussi bien qu'ils ont
choppé en une milliasse d'autres, et bien plus
lourdement? Parce que les Lacedemoniens per-
mettoient de desrober, à charge que ce fut accor-
tement et finement, vous direz que les Chresticns
le peuvent sans crainte d'en estre repris? Parce
que les Rhodiens se sont efféminé après une infi-
nité de délicatesses et mignotises que ils en ont
infecté et empunaisi les Siciliens, que les Ro-
mains en ont esté à la fin empestez, vous nous
conseillerez d'entrer au bransîe, afin que nous
nous perdions misérablement avec eux ? Vous
enflez terriblement le bouquin quand vous res-
veillez du tombeau (ce vous semble) Alexandre le
DES BARBES. 257
Grand, Scipion, Jules César, Auguste, et quel-
ques autres qui se sont (à vostre compte) fait
ébarber : comme ils ont eu plusieurs imperfec-
tions, que leurs deportemens ont esté pour la
pluspart vicieux, ce n'est pas messeant de croire
qu'en cecy ils ne se soient laissé couler outre la
nature, où neantmoins il estoit besoin de tenir la
bride roide. A tous ces grands guerriers, j'en
puis opposer d'autres barbus qui pour leurs
prouesses ne leur doivent aucune chose. Vous
avez eu ce puissant empereur Charles le Grand:
estoit il de ces floquets qui *se sont pelé le men-
ton? Il portoit la barbe si longue qu'elle luy
battoit sur la ceinture. Charles le Quint, empe-
reur, vous sçavez s'il avoit le cœur caractérisé des
impressions guerrières; si avoit il la barbe roide
et longue. Clovis, premier du nom, roy de
France; Godefroy de Buillon; Geoffroy de Lusi-
gnan, dit à la grand-dent; Ferguy, premier roy
d'Escosse ; Saladin, soldan d'Egypte; le fou-
droyant Tamerlan, empereur de Tartarie; Mahe-
met, deuxiesme du nom ; bref, la pluspart de
ceux qui ont eu vogue à la suite de Mars ont esté
armez de barbes. Ce n'est point de moy que je
vous apprens ceste leçon; s'il vous plaist visiter
les figures et pourtraits qui sont dans VHistoire
Prosopographique d'un de nostre pays, vous trou-
verez que je dis vray, et que, pour représenter
33
258
DES BARBES.
un sot et un badin, il vous luy a fait peler le
menton : je m'en rapporte au pourtraict de ce
folastre Jean Clopinar, dit de Meux.
— A tel sainct, va dire Messer Alphonse, telle
offrande; par ma foy, je jure que vous ne le pre-
nez pas mal. O le grand donneur de cassades !
Vous revirez la truye au foin; que ne la laissez
vous aller aux raves? J'ay veu ces figures que
vous dites; elles sont fort gentiles, et suis d'avis.
Seigneur Demonax, mon couillaud, ma viste,
mon petit mistigoury, que vous me donniez une
vintaine d'escus : par S. Fiacre de Brie, j'en ache-
teray pour nous deux. On parle des livres qui
font miracle, mais celuy l'a fait : car il a fait
pleurer à force de rire ce Messer cancre de De-
mocrite, qui m'a juré, sur sa part de paradouze,
qu'il y avoit plus de quinze ans qu'il n'en avoit
fait autant. C'est un drôle, par ma conscience.
Mais je pense à vous. Seigneur Camille; vous
estes un fort et treshabile homme, vous devriez
porter vos coquilles à d'autres qu'à nous, qui le
faisons aux autres et qui avons esté à S. Michel :
que sert il de mentir ou ne dire la vérité devant
les amis? J'ay virevolté tous ces beaux portraits
que vous dites plus de cinquante fois, sans la
première : aussi y ay je bien trouvé autre chose
que vous ne chantez. J'y vois de braves guerriers
esbarbats, tels que Constantin le Grand, Tempe-
DES BARBES. 259
reur Justinian, S. Louis, Guillaume le Conqué-
rant, Frideric, deuxiesme du nom, empereur
(lequel se qualifioit le marteau ou le maillet du
monde), Philippes le Hardy, duc de Bourgoigne,
Talbot, Jean, bastard d'Orléans, comte de Du-
nois, et tant d'autres qui sont braves hommes :
quod vidimus testamur. Je ne dis chose que je
n'aye veu, je suis trop consciencieux pour
bourder.
Et bien, quant ainsi seroit que toutes les figures
de ceste histoire là seroient embarbées, vous ne
seriez pas encores au dessus de vos emprises.
Quelcun qui seroit plus hardy que moy vous
pourroit dire que vous auriez menty [con vestra
reverenza, Monsior) après vostre compatriot.
Pourquoy? Pource que ce bon segnor, afin d'au-
thoriser sa barbasse, auroit tasché d'embarber
tous les plus habiles hommes qui se sont trouvez,
à l'exemple du regnard, contrario sensw toutesfois,
lequel, se voiant privé de sa' queue, pour n'estre
moqué de ses compaignons, par vives raisons
leur persuada (c'estoit in illo îempore que les
bestes parloient) de s'esquouer. La consolation
des misérables, c'est d'avoir des pareils qui cou-
rent mesme fortune avec eux.
— Ils en ont de belles, moyennant qu'on les
reserve (va dire le S^ Camille) : si ne sçauroit on
me faire refius au moins de ceste confession en
260 DES BARBES.
faveur des soldats, que la barbe leur sied fort
bien. Et pource, ayant doublé ceste pointe, je
m'en vay donner au Caloier des philosophes et
gens de lettres.
Je commenceray par les philosophes cyniques,
qui ont eu en singulière recommandation leurs
barbes, lesquelles ont esté tellement prisez et esti-
mez que nous lisons qu'Alexandre le Grand,
ayant pris la Grèce et estant à Athènes, il voulut
voir Diogenes, lequel estoit de la bande cynique,
et fort renommé. Pource, ce vainqueur se trans-
porta au lieu où estoit ce philosophe au soleil, et
fut tellement contant de ses graves et doctes sen-
tences qu'il dit à son retour : « Si je n'estoie
Alexandre, je voudroie estre Diogenes. »
— Que vous estes abusé. Seigneur Camille, va
dire Demonax ; je suis par ma foy d'avis, puis que
vous trouvez la vie cynique tellement à vostre gré,
que vous portiez la besasse et vous resserriez dans
un tonneau, ainsi que faisoit Diogenes : bref, que
vous patronniez vostre manière de vivre au mo-
dèle de son estrange vie. Et comment est ce que
vous faites cas de cest homme là ^ Il ne valoit pas
un troignon de chou : la fin de ses jours qu'il
eut monstra de quel bois il se chaufîoit. Ne sça-
vez vous pas que quelques uns tiennent que,
comme il estoit fort sujet à sa bouche, il mangea
le pied d'un bœuf tout crud, dont il attira un
DES BARBES. 261
humeur si pernicieux que depuis il en mourut; et
que d'autres rapportent que, pour le regret qu'il
avoit de trop vivre, il se violenta et précipita sa
mort, s'estouffant dans son manteau.
Et quant à ses compaignons, ils ne valloient
pas mieux que luy : c'estoient des gens déses-
pérez, ennemis d'honnestete, et qui avoient perdu
toute honte; de sorte que, de mesmes que les
bestes brutes, ils ne se hontoioient point de s'em-
bloquer à la cupidique les uns devant les autres,
voire ne faisoient difficulté d'aucune parole, tant
sale fut elle, juxta illud, verha non fcetent, les
paroles ne puent pas. Battifolus in malogranato
vitiorum et ihi Harlequinus et Mormaltus.
— Vous en voulez bien à ces pauvres gens,
répliqua le S^" Camille (gringottant entre ses dents
la patenostre de singe avec aussi bonne grâce
qu'avoit Socrates lorsqu'il se pincetoitsa barbe);
ne tient pas à vous que ne les faciez plus noirs
que diables : quelque jour on vous empunaisira.
Je vay vous mettre en teste des personnages qui
vous feront perdre le caquet et faire Vinclinabo.
Homère, Hésiode, Hérodote, Euclide, Archi-
mede, Platon, Aristote, Hippocrate, Strabon,
Ptolomée, Plutarque, Dioscoride, Ausone, etc.,
n'estoient ce pas de braves hommes en philoso-
phie, médecine, poésie, mathématique, cosmo-
graphie, histoire et autres sciences ? C'est la
262 DES BARBES.
perle, la fleur et l'eslite de tous les braves esprits.
Quelles gens estoient ce ? Ce n'estoient point de
ces piètres et trupelus rais esbarbez et pelez. Tous
ceux qui les nous représentent leur donnent une
belle et longue barbe.
— Response, va dire Constantin : ce sont les
peintres qui les nous ont effigie, at pictoribus
atque poetis mentiri in pretio est. Les peintres
peuvent avec leur pinceau, et les graveurs avec
leur burin, desguiser non seulement les traits du
visage, mais d'une Hecube nous faire une Hélène.
Nos peintres d'aujourd'huy peindront en l'air
celui qu'onques ils ne virent, deceus peut estre
par la faulseté d'une medale antique menteuse.
Je sçay les petits tours de passe passe qui s'y font.
Je veux que les medales ne soient point faulses :
mais qui me pourra faire accroire que la medale
sur laquelle on contrefait et poche Homère ou
autre soit la vraye figure d'Homère ? Qi^is vobis
hoc revelavit? Parce qu'il a les bras coupez au
coude, c'est Homère ? Oh besties ! que vous estes
bien à l'ombre quand le soleil est couché : beati
lourdes quoniam ipsi trebuchaveruntj etc.
— Par sainct Picaut, vous estes exorbitamment
incrédule : qui eut jamais pensé cela de vous?
(répliqua le S^' Camille). Vous ne méritez pas
qu'on dispute contre vous : contra negantem prin-
cipla on doit descharger des coups et non des
DES BARBES. 263
argumens. Toutesfois, pour vous rendre inex-
cusable et vous esclaircir de tant plus la sermon-
niere, je suis bien contant vous faire venir en jeu
des docteurs de l'Eglise chrestienne qui ont esté
veus par nos pères, tirez et portraits par eux. Le
premier apostre des Gaules, S. Denis l'Areopa-
gite, Basile le Grand, Theodoret, Jean Zonare,
SS. Hierosme, Augustin, Cyprian, Jean à Bou-
che d'or, Athanase, Jean Damascene, Bernard,
Justin le Philosophe, etc., ont tous porté la barbe
longue; les apostres mesmes : et ce pour plu-
sieurs grandes et notables raisons, sur tout parce
qu'eux nui avoient à commander aux autres,
régir, gouverner et administrer TEglise, dévoient
porter une marque de la gravité, prudence et
expérience qui doivent accompagner ceux qui
sont establis au dessus des autres. Et pource, un
Lacedemonien respondit tressagement à celuy
qui luy demandoit pourquoy il portoit la barbe
longue, que c'estoit afin que, la voyant; il se
souvint ne faire acte ou démarche qui fut indigne
de sa barbe.
— Vertu bille, je vous tiens. Seigneur Camille,
va dire Demonax, avec vos raisons laconiques;
que direz vous à ce que maintenant il est expres-
sément enjoint aux ecclésiastiques, sur tout aux
prestres, d'abbatre leur barbe? C'est l'ordon-
nance de l'Eglise : vous ne pouvez dire aucune
264 DES BARBES.
chose alencontre. Et ainsi, quand auriez dressé
les registres de tous les docteurs grecs et latins,
je n'auroie à vous respondre autre, sinon que les
loix dernières emportent les premières; et ainsi,
puis que maintenant la pratique des barbes, qui
a esté gardée au temps passé, est ensevelie, que
vous ne faites rien de nous ramener en veue les
barbes anciennes.
— Le grand coup que vous ^avez fait ! mon
mignon, mon amy, mon belaud, mon Demonax,
respondit Messer Alphonse. Voila le pauvre
seignor Camille qui demeure de deux selles le
cul à terre. Les regnards sont pris, il y a bien à
se gausser. Il pensoit que, si vous veniez à passer
l'embarbisme de ceux qui estoient venus après la
naissance du Sauveur des humains, sa possession
barbarique ou barbesque luy demourroit asseurée
et à tous ses consors s'embarbans, comme estant
prescripte par un long laps de temps cujus me-
moria non exstat. Je le sentoie venir sans son-
nettes, et qu'il avoit envie de nous mettre au
nez (c'estoit à faire d'abattre le casquet au dessous
de la lèvre, et pour cause) la prohibition qui est
faite aux sacrificateurs de ne raser les coins de
leur barbe, laquelle (ainsi que le prophète royal
David îesmoigne au Psal. i33) estoit parfumée
d'un onguent précieux.
Les solemnitez ceremoniales sont abbattues
DES BARBES. 263
maintenant; le retranchement des barbes est
enjoint aux ecclésiastiques : si bien qu'aujourd'huy
ce seroit aussi messeant et reprehensible pour
eux de nourrir leurs barbes qu'il estoit aux sacri-
ficateurs de les retrancher : juxta illudj Barba Jovi,
crines Veneri^ décor.
— A ce compte, Seigneur Camille, va dire
Demonax, je vois bien qu'il faudra que les barbes
soient abbatues.
— Cela est vray, respond Camille; vous n'avez
occasion de l'empescher : les moyens que vous
avez produit pour vous sont si fresles que, du
premier bransle qu'une mouche vous donneroit,
elle les pourroit bouleverser; si ne faut il que je
vous laisse en si beau chemin : vous avez fait vos
jeux; il est temps (ce me semble) que je face les
miens. Changeons de qualité, je tiendray le jeu,
et vous soustiendrez et rabattrez. Je ne pense
pas vous tenir si long temps que vous m'avez
fait.
Premièrement, je treuve qu'il y a peu de fonds
à ce que vous pensez faire prendre pied à la barbe,
parce que c'est une parure qui refait fort bien un
homme. Selon la sotte et commune opinion du
vulgaire, vous pourrez avoir quelque raison,
attendu que coustumierement vous entendrez
donner ces petits traits : « Vostre barbe est en-
cores trop jeune pour estre evesque ; vostre barbe
^4
266 DES BARBES.
sent encores sa vinaigrette; vostre barbe craint
les gensd'armes ; elle est si mal hardie qu'elle
n'ose sortir; vostre barbe prend médecine, elle
garde la chambre, elle apprend comment vous
deviendrez sage. » Ce sont comptes de triquo-
teuses que je vais enveloper de la barbasse du
bouc d'Esope; ou bien, si vous voulez, je vous
payray de la response de laquelle Nicander servit
celuy qui luy demanda pourquoy les Spartiates
nourrissoient leur barbe : « C'est pourautant,
respondit il, que ceste parure, quoy qu'elle soit
fort belle, ce neantmoins, est de moindre coust
à l'homme; » comme s'il eust voulu attaquer les
Lacedemoniens d'avarice et taquinerie, en ce
qu'ils ne se vouloient faire raser la barbe pour
espargner ce qu'il falloit donner au barbier.
S'ils eussent fait comme le tyran Denis et se bu-
cler le menton, ils n'eussent pas esté attachez de
ce vice.
Addatur que ceux qui nous conseillent le de-
barbisme nous preschent le dueil, à l'exemple des
Argiviens et Milesiens. Les premiers, se voyans
desconfîts par les Lacedemoniens, pour tesmoi-
gnage de leur misère et déplorable calamité, se
firent raire, avec vœu de ne laisser recroistre leurs
barbes qu'ils n'eussent recouvré leur Tyrias. De
mesmes les Milesiens, pour la perte de Sibaris,
prise et saccagée par les Crotoniates, firent
DES BARBES. 267
abbattre leurs barbes en signe de deuil et lamen-
tation.
En après, je treuve que la barbe est de grand
ennuy, qu'elle nous assujetit à de grandes for-
tunes. Premièrement, elle nous rend hargneux et
mélancoliques, inaccostables de plusieurs per-
sonnes, pour la crainte que nous avons qu'on
nous tire par la barbe. En après, elle sera un
grenier de poux, de morpions, de puces, de
lentes et autre vermine, si bien que ce sera un
martyre continuel. Et pource, Hérodote nous
apprend que les prestres aegyptiens ont accous-
tumé, de trois jours en trois jours, se raser tout
le corps, de peur que pendant le service de leurs
dieux aucune vermine ne vint à s'engendrer.
Or que la barbe ne soit tant séante pour
piaffer à propos, comme elle sert à des usages
plus vils et abjects, je vous prie escouter ce que
nous apprend lehuitain du bon père le Seigneur
Ronsard, qu'il a traduit d'Ammian :
Tu penses estre veu plus sage
Pour porter grand'barbe au visage
Et pource, alentour de ta bouche,
Tu nourris un grand chassemouche.
Si tu m'en crois, jette la bas :
La grand'barbe n'engendre pas
Les sciences plus excellentes,
Mais des morpions et des lentes.
268 DES BARBES.
Tertio^ si on se veut garentir de cestepoûillerie
et suite barbesque, faudra la demesler, la décro-
ter, la secouer, la tirer, la tordre, la virer, la
resserrer, l'espardre, la passefîllonner, la mousta-
cher, l'élever, l'abaisser, la patiner, la manier, la
regarder, l'applanir, la testonner, la peigner;
bref, luy donner plus de façons qu'à la vigne,
encores qu'elle soit sans rapport, disoit le capi-
taine Janicot, 3. De Barbatilibus cum gl, Malla-
reti,etihiKiffîarduSjCol. 2., adverb. Moustachiam
turcicam. Cela est contre l'usage des barbes, que
je viens de représenter à la laconique. Pour cinq
sols, je feray abbattre la plus forte barbe qui soit
en France; continuez cela pour un an : huit fois,
ce sont quarante sols; voila que vous coustera
vostre barbe; c'est bien loin des cent et deux
cens escus, outre la perte du temps que nos bar-
bets prennent à barbetter leurs barbes.
Quarto, il y a du mes-us estrange et qui meri-
teroit punition exemplaire : il y en a qui, quand
ils ont à faire quelque bon coup, ils se laissent
croistre la barbe longue et espesse; puis, après
avoir fait leur main, ils se font raser : les vous
voila par ce moyen incognus.
Quinto, les façons des barbes doivent favoriser
à l'interdit d'icelles ; de mesmes que nous voyons
les edits de nos roys françois pour la façon de
nos habits, parce que les François n'ont que le
DES BARBES. 269
drap et le ciseau, tant ils sont variables en leurs
vestemens. De ma part, je" vois tant de sortes de
barbes que maintesfois je suis bien empêché à me
résoudre sur une si diverse multiplicité : j'en vois
de fortes, de déliées, de jaunes comme saffran et
poil de vache, de la longueur d'une aulne, de
mouchetées, de grises, blanches comme cotton
de Malthe, de blondes, de meslées, de cordelées
à la moustache, de blanches, de fleuries, de
fourchues, de bouquines à pointe de diamant, de
noires, de morées, de rousses, de dorées, de
rondes, d'escrevisse, de six poils, de chat, de
savetiers, qui ne tiennent que par rivets, etc.
SextOy je vois que les dames ne se plaisent
point à ces grands barbans, parce que leur bar-
basse les ennuyé, les matagrabolise et incornifîs-
tibule leurs baisers.
— Pour ce dernier chef, Demonax, mon mar-
paut, mon petit mistoudin, vous estes fort mal
fondé, va dire Messer Constantin : je cognois un
vieil barban qui remédie bien à ceste incommo-
dité. Vous noterez qu'il est jeune de quelques
quatre vingts ans, et si pour cela il tend à la
jonction. Pour ne perdre son crédit lors qu'il est
question et que l'envie luy prend d'avoir la vui-
dange qu'il pourchasse, il vous fardera sa barbe,
de sorte que, au lieu qu'il est blanc par le menton
comme un cigne, il s'est si bien ancré qu'on le
270 DES BARBES.
prendroit à sa barbe pour un corbeau. Et pour
prévenir les desplaisirs que reçoivent les dames
d'estre enchevestrées parmy ces grandes bar-
basses, il vous serre gentiment et beau sa bar-
basse entre cuir et chemise. Sa moustache est
abatue, pource qu'il est de la qualité de ceux qui
ne l'osent porter longue, quia inter calicem supve-
maque labra, etc.
— Non, non, Messer Constantin, répliqua le
S*" Camille, je n'ay que faire de vos gausseries;
j'ay dequoy respondre aux allégations de Demo-
nax. Et puis que vous avez commancé par le
dernier article, je suis bien contant de vous
suivre. Je ne suis point de ceux qui voudroient
attacher les hommes aux timons inhumains de
l'Athénien Tymon; je sçay bien qu'il fait bon
estre aimé d'un chascun; je suis bien aise quand
on rit, quand on prend du passetemps, et qu'on
s'esgaillardit, le tout avec honesteté : je pratique
cela, et si pour cela je ne laisse à porter belle et
longue barbe. Ma maistresse netreuve point que
je luy desagrée, je n'en sens aucun vent : elle
n'arresteroit point si long temps à me descouvrir
son mescontentement. Et, à dire ce qui en est, je
treuve que les femmes ont plus de plaisir avec
ceux qui ont la barbe longue qu'avec les rasez et
esbarbez, parce que la barbe fraischement émou-
lue et rasée poind, devinez si le baiser plaist.
DES BARBES. 27I
Quant aux autres moyens, je n'y trouve aucun
nés pour en faire si grand quanquam que vous en
faites, mon fiston de Demonax. Vous dites
qu'elle nous enchagrine, aumoins qu'elle nous
fait porter la mine morne, couverte et pesante.
Dire, ce n'est pas tout; mais peut estre estimez
vous un homme fasché et courroucé, lequel ne
rira à toutes heures ? Ce sont traits de la maladie
de S. Mathurin ; c'est bouffonner et faire du
matassin que vous trouvez à dire aux barbus,
lesquels vous tenez songears et rechignez, parce
qu'ils sont graves.
Vous reprochez que la barbe ne sert que d'es-
table ou sellier à la vermine et autres infections,
et neantmoins ne voulez qu'on se nettoyé : qui
n'estrilleroit un cheval, je vous laisse à penser
que ce seroit de luy. N'y a il point de remèdes
pour se la tenir nette ? Allez aux apoticaires, ils
vous donneront des drogues assez. J'ai leu que le
jus de nasturce alenoys, appliqué avec graisse
d'oye, guérit les eschaques et roignes qui sont
par la barbe. Si vous craignez de l'avoir trop
roide, touffue et espesse, dés vostre enfance
frottez vos joues d'œufs de formis ou de sang qui
sort des genitoires des béliers qu'on chastre.
Le reste de ce que proposez contre les barbes
ne mérite pas la peine de nous y amuser. Encores
qu'ainsi seroit (que non toutesfois) qu'il y eut du
272 DES BARBES.
mes-us, pourtant vous n'oserez conclurre au ra-
sement des barbes : gardez l'amende. Dites moy,
parce qu'il y a des anetons en des taillis, ou des
brigands, loups et bestes ravissantes en des forests,
direz vous qu'il faille abatre les bois? Avancez
vous de le publier et me le signez, je payeray
bussart d'eau de Canathe à vos despens. Parce
qu'il y en a plusieurs qui escrivent diverses lettres,
vous direz qu'il faudra interdire l'escriture. Pauvre
pécore! vous voulez nous priver d'un si précieux
joyau qu'est la barbe, parce qu'il y a des guenaux
qui prennent leur repaire es forests barbesques 1
A d'autres!
— N'estiez vous point à Thoulouse, petit
rustre, magister Demonax, quant on fit ce véné-
rable arrest? (va dire Constantin). Je despite
Mahon, ou je me donne, si vous eussiez esté en
vie, si je ne croiois que ce seriez vous qui dres-
sâtes les mémoires qui induisirent la cour à
lascher cest arrest debarbatif. De fait, je l'ay leu
cum commento : le glossateur, en l'avant-propos,
fait mention d'un mot de Démon. Pourroit-ce
bien estre vous ou quelqu'un de vos parens qui
donna ceste verte?
— Rien, rien, respondit Alphonse, vous vous
abusez, monsieur Constantin, car la cour de
Thoulouse, entendant que les forests et montai-
gnes Pyrénées leur produisoient tant de billots,
DES BARBES. 278
brigands, voleurs et bandouliers, de fine belle
peur qu'ils eurent à cause de la prédiction que
leur en avoit fait frère Robert, le roy Calabrois,
que d'autres brigandeaux et bandouillereaux ne
fourmillassent dans les barbes de ceux du pays,
tendirent à ce deguerpissement des barbes. C'est
l'opinion du docteur Raphaël de Briguenarilles
sur la rubrique De eo quod met, ca. et ibi gl.
commentatoris Foro juUensis.
— Messieurs, vous voyez, va dire le S^ Ca-
mille, que j'ay rangé à jubé Demonax, et qu'il
,pisse vinaigre fort comme tous les diables: je
n'ay plus qu'un mot que j'avoie oublié pour vous
dire la raison pour laquelle les hommes ont de la
barbe , et non pas les femmes : car il faut que
vous sçachiez que, comme nature est bonne et
sage mère, elle ne nous a point voulu appeller à
aucunes charges qu'elle ne nous ait fourny des
moyens propres pour nous en acquiter et nous
deffendre contre tous encombriers. Pui3 donques
que l'homme devoit sortir hors de la maison pour
trafiquer, marchander et amasser tout ce qui fait
besoin pour la provision de la maison, aussi estoit
il besoin qu'elle l'armast de cheveux au menton
pour se garentir des incommoditez du ciel qui
eussent peu l'offenser. Or, que la barbe soit fort
propre pour nous tenir nos joues à couvert, cela
ne doit estre preuve, l'espreuve en est ordinaire.
35
274 DES BARBES.
— Pour vostre honneur, Seigneur Camille, va
dire Alphonse, vous ne deviez adjouster ce der-
nier article, car qui voudroit on le vous revire-
roit bien rude contre vous. De fait, quand il fait
bien froid, qu'il gelé en roide bosse et à pierre
fendant, vous me verrez ces grandes barbes et
moustaches toutes gelées, et y pendre de gros
glaçons; les femmes ou ceux qui ne sontembar-
bez ne portent point de telles chandeles. Mer-
veilles, que vous avez oublié à ramentevoir que
les longues barbes servent de baverettes, de peur
qu'on ne sallisse sa chemise ou ses habits en hu-
mant le potage, brouant des pois au lard cum
commento, mangeant des œufs ou autrement.
Prenez moy ces grands barbans à l'issue de leur
repas, vous trouverez leur barbasse chargée de
graisse autant qu'il en faudroit pour graisser
quinze douzaines de charrettes. Les plus honestes
les torchent etessuyent, mais je me recommande
aux serviettes ; et haye garson !
— Sera ce jamais fait? vay je dire. Laissez moy
ces barbes, car aussi bien n'estes vous pas bons
barbiers. Il est bon et bien séant de les porter,
et aussi en temps et lieu, selon la qualité des per-
sonnes, de les abbatre. Ce n'est point donc bien
arguer de dire, parce qu'il y a du mes-us, qu'il
faille les raser ou user de dépilatoire, ny aussi de
nous vouloir forcer à les nourrir et attifier. Un
DES BARBES. 275
chascun a la bride sur le col, moyennant qu'il ne
vienne à ce mesprendre : il fait bon sortir du lo-
gis pieds ferrez et barbe rase. C'est aussi une
chose fort honorable qu'une belle et longue
barbe. Qu'ainsi soit, le pape Pie II, au quatriesme
livre des mémoires des exploits du roy Alphonse,
nous apprend que Vitold, duc de Lituanie, quel-
quesfois vouloit porter la barbe longue, et que
d'autres fois il l'abbatoit , à celle fin que par ce
moyen il peut estre discerné d'avec ses sujets.
Joint qu'il fait bon se garentirdes curieuses scru-
pulositez de ceux qui ont disputé à quel jour il
se falloit la faire raser, ou au jeudy ou au mardy,
desquels vous aurez le plaisir sur la fin des oeuvres
d'Ausone, poète bourdelois. »
i
APRESDISNÉE VII.
DES VIEILLARDS ET DES JEUNES ENFANS.
S'ils peuvent engendrer.
E seigneur Pandolphe eut grand mar-
^Ç:^ché de ceste après -disnée, pour la
survenue de quelques estrangers qui
nous empescherent prés de trois heu-
res : de sorte que il s'en fallut bien peu que la
partie ne fut remise au lendemain. Toutesfois la
compagnie advisa qu'il valloit mieux avoir peu
que rien ; si fut prié Pandolphe de trancher court,
eu esgard au peu de temps qui restoit. Ce qu'il
fit et commença la dispute, prenant son thème
sur l'impuissance qu'on dit qu'il y a aux vieillards
et aux jeunes de pouvoir engendrer, laquelle il
maintenoit fort à cors et à cry : se fondoit sur ce
que les uns, pour estre recrus, las et alouvis, les
autres, pour estre trop foibles et n'avoir encores
278 DES VIEILLARDS
la force, estoient retenus de pouvoir engendrer.
Le bon homme de Megadore voulut tenir le
party contraire, et monstra bien qu'il en avoit plus
laissé courir que Pandolphe n'en prendroit de dix
ans. « Pian piano (va il dire), ne vous eschauffez
point si fort en vostre harnois, ne vous sçauroit
on abbatre un peu vostre eau ? Parlons première-
ment des vieillards; après nous pourmenerons les
enfans. Vous ditas que nous autres bonnes gens
avons nos outils tous cassez, flaques et brisez.
Corps non bieu de bois, je ne sçay ce que les
autres ont; vous me voyez tout gris, si ne suis je
point si abbattu que vous pourriez bien penser :
je suis de la nature des poireaux, j'ay la teste
blanche et la queue verte. Que s'il estoit besoin
de faire une chevauchée, jô ne me feindroie point
de deux, trois, ny quatre secousses. Il n'y a chasse
que de vieux chiens. Vous estes encores au prin-
temps de vostre aage, mais, tout vieillard que je
suis, si je vous avoie monté sur le colet, je vous
feroie trembler l'ame au corps.
— S'il ne tient qu'à dire, mon bon père, res~
pond Pandolphe, je vous donne gaigné (par la
virginité de ma braguette). A l'effet gardez qu'il
n'y eut du mesconte.
— Seigneur Pandolphe, va dire le S'* Horace,
je ne veux pas faire bon pour le S"" Megadore ; je
ne sçay de quel bois il se chauffe et quel cavalca-
ET DES JEUNES ENFANS. 279
dour il est; il a bien la mine de ne vouloir pas
encores poser les armes bas ; si sçay je qu'il y en a
d'aussi vieux queluy qui vous saccadent en bour-
riquet et ne s'espargnent non plus que fait un
Limousin à manger des raves. Vous cognoissez
ce vieil peteur de Constantin : s'il ne secoûoit le
pochet sa couple de fois, il s'en confesseroit. Je
l'en ay autresfois voulu reprendre, et prier qu'il
me chassa ceste gaupe de Geneviefve. « Que
ferez-vous? dit il, aussi bien m'en faut il une ; les
médecins m'ont ordonné d'en avoir une pour une
descharge de reins. » Ce n'est point chose nou-
velle que les vieillards ayment à fringuer, vous en
avez un texte exprés en la glosse in C. nuptiarum,
in verbo in quibusdam 27, q. i, et en la glosse
in C. 2, ex. de frigid. et malef.
N'avez vous point ouy parler de Masinissa, roy
de Numidie, qui, estant chargé de quatre vingts
six ans, se treuva père ; de Caton, qui, ayant sur
sa teste quatre vingts ans passez, fut père de ce
Caton qui fut ayeul de celuy d'Utique; et de
Vladislas, roy de Pologne, qui, à quatre vingts
dix ans, eut deux fils, asçavoir, Vladislas et Ca-
simir?
— Mais tous ne sont pas ou Masinissa, Caton
et Vladislas, répliqua Pandolphe, ou n'ont le feu
en leurs chausses, ainsi qu'a le seigneur Mega-
dore. Ce sont accidens extraordinaires et qui
28o DES VIEILLARDS
n'adviennent pas tous les jours; d'ordinaire Tes-
guillette est nouée, on ne peut plus bander lors
qu'on est affaissé de vieillesse. Quand la neige
est sur le mont, on ne peut attendre que le froid
aux vallées : les cordes de l'arc sont si molles
qu'on ne le peut bander : il n'y a plus d'ancre au
cornet; que s'il y en a, c'est si peu que la besoi-
gne est affamée; et, qui pis est, la liqueur est du
tout mal propre aux impressions generatives. Ce
ne sont que eaux pures et claires, qui n'ont aucune
solidité, parce que l'humeur des vieillards ne peut
estre bien cuite et espessie. C'est la raison que
donnent ce fidèle secrétaire de Nature, Aristote,
U. I de générât, animal., cap. 17, et Galen, au
commancement du second livre des Moyens d'en-
tretenir sa santé; Albert le Grand, lib. de animal.
5, tra. 2, ca. i, et lib. 10, tract. 2, c. i. Pource,
la vieillesse est appellée par Virgile effœta.
— Ce sont bayes, va dire le S^ Horace ; l'ex-
périence nous confirme la vérité du proverbe
commun, que tant qu'un homme peut faire perdre
terre à un boisseau de bled, qu'il peut engendrer.
J'ajousteray que tant qu'un homme peut faire ses
dévotions à saint Guigne-fort, se remuer et s^em-
bruer, qu'il peut engendrer. Vous en avez l'es-
preuve toute apparente au bon homme qui de-
moure en vostre ville de Bourges, devant le Bœuf
couronné: il n'a point seulement les forces abattues
ET DES JEUNES ENFANS. 281
et exténuées par l'aage, mais tellement percluses
par je ne sçay quelles maladies que, quant il auroit
le feu sous la queue, lors qu'il est assis, il brusle-
roit plustost que pouvoir se remuer; je Tay veu
maintesfois et en ay eu le plaisir. Neantmoins
vous sçavez que, tout vieillard et paralitique qu'il
est, il a eu trois beaux enfans de sa Breloque, qui
est une jeune femme, laide au reste comme tous
les diables, qui luy a esté donnée pour lui sub-
venir à toutes ses nécessitez, le lever^ le coucher,
l'habiller et le couvrir lors qu'il est dans le lit,
faut que ce soit sur les reins tousjours, et toutesfois
il engendre : qu'est cela ?
— La response n'est pas si mal aisée qu'il vous
pourroit bien sembler, respond Pandolphe : que
ceste drolesse de Breloque peut se faire piquer
par quelques jeunes et roides cavalcadours, puis
faire acroire le tout à ce bon père. Car, quoy qu'il
die et qu'il advoue luy avoir frotté son lard, je ne
me sçauroye persuader qu'il ait de la vigueur
assez pour procréer.
— Si vous continuez. Seigneur Horace, je n'au-
ray pas beaucoup d'affaires ceste apres-disnée, va
dire le S^ Megadore; voila la moitié de nostre
discours que vous avez bien examiné, et monstre
à Pandolphe que les vieillards sont encores bons
courtaux, ou au besoin chevaux de service, qu'ils
ne sont point si recrus qu'on les imagine. Je
36
282 DES VIEILLARDS
VOUS en ay une obligation et vous en remercie.
Maintenant je m'en vay voir nos petits enfans.
S'ils dorment, il faut que je les resveille pour les
faire voir au S^ Pandolphe, qui leur veut faire
entendre qu'ils sont de mesmes ineptes à la gé-
nération. Ça donques, Pandolphe mon amy,puis
que les vieillards ont eu leur venue assez pour
ceste secousse, tenez, on vous présente les jeunes
enfans, lesquels je maintiens pouvoir engendrer.
L'expérience nous en fera sages, qui nous est tes-
moignéepar des gens d'honneur et dignes defoy.
Alberic de la Rose en sa Table, au mot ma-
trimonium, rapporte qu'une fille a enfanté à neuf
ans, et Grégoire le Grand a escrit en son Dialo-
gue qu'un enfant de neuf ans avoit engrossé sa
mère nourrice, comme remarque la glose in summa
2X)yquœst. i, etihiArchid. Hostren., et Jean André,
in cap. fin. de eo qui cog. consan. ux. Panorm.,
et d'autres, in cap. i de delict. puero.; Alex, et
Jason, m /. pupillari ff. de vulgari; Bart., in tract,
differ. juris canonici et civilis ; Angel., cons. 253,
visis statutis ante finem; Petr. Auch., in c. si pater,
col. 7 ver., in matrimoniis détesta.; lih. 6, Domi,
cons. 24, quia difficile, col. 3.
Mais parce que toutes ces cottations sont un peu
mal-aisées à vérifier pour le présent, je vay vous
faire parler à S. Hierosme, qui en sa missive à
Vitalis vous apprendra qu'une nourrice enchargea
ET DES JEUNES ENFANS. 283
de l'accointance qu'elle eut avec son nourriçon
aagé de dix ans. « Le Seigneur (dit-il) me soit à
tesmoin si je mens. Une certaine femme nourris-
soit un pauvre enfant trouvé, le traittoit, entrete-
noit, et luy faisoit devoir de nourrisse. Ce petit
garçonnet couchoit avec elle, lequel avoit desjà
attaint sa dixiesme année : advint qu'elle prit du
vin plus que son honesteté ne luy permettoit, et
qu'estant eschauffée de paillarder par des remue-
mens sales et deshonestes, elle provoqua cest
enfant au coit. Les autres nuits, comme elle con-
tinua à s'enyvrer, aussi elle prit son accointance
comme à la première; deux mois ne passèrent
point que le ventre commença à luy enfler. »
Il y a plus, que le mesmes docteur en ceste epistre
monstre oculairement, par le calcul et la suppu-
tation des années, que Salomon à l'aage de dix ou
onze ans eut son fils Roboam, tout ainsi qu'à
mesmes aage Achas eut le roy Ezechias. Ce qui
est pareillement remarqué par le docteur Jean
Andred. ca. ult. de eo qui rog. cons., où Host.
escrit le mesmes estre advenu à un jeune enfant
au chasteau de S. Michel, qui est au diocèse de
Siscare.Celafait quejenetreuvepoint estrange ce
que Pline recite au septième livre, chap. 2, au
rapport de Clitarque et Megasthenes, qu'auprès
des Macrobiens les femmes des Mandres, qui ne
vivent que de sauterelles, ne portent qu'une fois
284 DES VIEILLARDS
leur vie lignée, et ce à sept ans précisément, et
que les femmes entre les Calinges, peuples d'In-
die, conçoivent à cinq ans : qui est bien avancer
le temps, et presser les vingt et un ans qui sont
requis à vostre aage de perfection, selon Aristote.
— Ce sont cas extraordinaires, répliqua Pan-
dolphe, et desquels, comme j'ay dit ci dessus, on
ne doit faire estât pour en establir une reigle. Au
contraire, ce grand naturaliste Aristote nous en-
seigne, au cinquiesme livre de la Nature des ani-
maux, chap. quatorziesme, que l'homme ne com-
mence à porter semence que sur les quatorze ans,
et si encores il n'est pas propre pour engendrer,
d'autant que la semence n'est du premier coup
disposée à la génération, il faut encores attendre
sept ans, qui est autant à dire qu'il faut avoir vingt
et un an sur sa teste pour pouvoir estre père.
Or ce qui retarde l'enfant si long temps est fort
aisé à descouvrir par les principes de la philoso-
phie naturelle, qui nous apprend que trois con-
ditions sont requises aux animaux, affin qu'ils
puissent engendrer leur semblable. La première,
qu'ils soient parfaits, c'est à dire qu'ils soient
parvenus à la grandeur, grosseur et qualité qu'ils
doivent avoir. La seconde, qu'ils ayent tous leurs
membres sains et entiers. La troisiesme, qu'ils ne
soient engendrez de pourriture et putréfaction.
Par la seconde, les chastrez et vieillards sont tirez
ET DES JEUNES ENFANS. 285
hors le registre des pères. La première regarde
droit aux enfans, lesquels, comme ils ont à crois-
tre, ne peuvent aussi engendrer, parce que nature
employé la nourriture qu'ils prennent, tant en
leur nourriture qu'en l'accroist de leurs parties
corporelles. Et ainsi vous voyez que la génération
ne se fait que de la nourriture superflue.
— Posez le cas que ce que vous dites soit vray,
réplique le S'" Megadore, si n'estes vous pas où
vous pensez. Car, si ainsi est, je vous demande
pourquoy est ce que plusieurs de ceux qui ont
passé les trente ans, et qui ont tout l'accroisse-
ment qu'ils pourroientattendre, ne peuvent engen-
drer : ou il faudra que nature se treuve marâtre
en leur endroit et qu'elle leur envie leur perpé-
tuité, ou que vostre maxime soit fausse, attendu
que cest aliment de surcroist que vous présuppo-
sez n'est employé après leur perfection à la géné-
ration. Je ne vous ay point voulu ramentevoir ce
que desja nous avons débattu touchant les en-
fans , qui anticipent bravement sur vostre aage
de perfection, comme je prevoyoie bien que me
payeriez de la raison accoustumée, que nature fait
vertu en eux extraordinairement.
— Le mesmes vous peut estre repondu. Sei-
gneur Megadore, vay je dire, pour l'autre chef :
vous seriez, ce croy je, de ceux qui voudroient
nécessiter la puissance divine, et l'assujettir aux
286 DES VIEILLARDS ET DES JEUNES ENFANS.
proprietez des causes secondes et inférieures.
N'avez vous point appris du Psalmiste royal Da-
vid, au Psalme J27, que:
quand l'homme peut avoir
Pour héritier quelque enfant sien,
C'est de Dieu que luy vient ce bien :
C'est Dieu qui luy fait recevoir
Par sa grand' libéralité,
Le guerdon de postérité.
Comme donc Dieu peut oster la force au pain,
vin et viandes de nous nourrir, sustenter et ali-
menter, aussi n'est il messeant de croire qu'il
puisse disposer des humeurs de nostre corps
outre le naturel de celuy d'un autre. Vous voyez
que le soleil peut amollir la cire et endurcir la
boue. ))
i
1
APRESDISNÉE VIII.
DES PROGNOSTICS ET PREDICTIONS
ASTROLOGIQUES.
E rang du S^' Alphonse du Plantain
vint à ceste apres-disnée , pour en-
tamer la dispute et conférence , la-
^7;^ quelle, ainsi que vous entendrez, il
nous fit employer après ses prognostications, où
plusieurs de la compaignie prirent assez grand
plaisir, sur tout le S^" Galeas Gamarin, qui regre-
toit fort qu'il ne pouvoit estre en la place de
messer Nicolas Pastorelli. Toutesfois, sans qu'il
prit la peine de s'eschauffer à ergoter, il trouva
que la question fut vuidée tout au contraire de
son advis, et que l'on luy leva bragardement l'er-
reur de ses prédictions. Voicy donc le seigneur
Alphonse qui, pour ne perdre la commodité
qui luy estoit acquise, commença à célébrer l'as-
288 DES PROGNOSTICS
trologie prognostique ou judiciaire, et remons-
trer qu'entre toutes les parties de l'astrologie,
c'estoit la plus digne, la plus excellente, la plus
à priser, la plus proffitable et la plus nécessaire.
Qu'à ceste occasion, ceux qui avoient le bruit
d'estre les mieux habillez d^entendement entre
les plus sçavans s'estoient adonnez à une si di-
vine science.
« Voila donc les prédictions Nostradamiques,
Seigneur Alphonse, qui sont confirmées et au-
thorisées par vostre consentement, vous en estes
d'avis; mais vous ne dites pas, va dire messer
Nicolas, que je m'y oppose, et qu'il y a une
bonne troupped'honestes hommes, lesquels vous
n'oseriez regarder entre les deux yeux pour leur
jetter contre quelque reproche, qui se ligueront
à mon opposition. Je suis fondé en arrests, en
ordonnances, en statuts, en conciles, et en l'au-
thorité des docteurs chrestiens, qui ont tous dé-
testé ces belles fadaises deprognostiquerie. Vou-
lez vous aller contre? gardez le fagot.
— Hé! Seigneur Pastorelli, ne soyez point si
rude à pauvres gens, va dire le docteur Rombe-
det. Il n'est pas véritablement permis de contre-
roler au parsus ce qui a esté déterminé par tant
de braves hommes que sont ceux qui ont donné
leur jugement sur nos jugemens prognostiques;
mais, entre nous, on ne doit prendre les matières
ET PREDICTIONS ASTROLOGIQUES. 289
si rie à rie. Laissez poursuivre le S^ Alphonse,
sans le battre des arrests et conciles : vous rom-
priez autrement du premier coup l'anguille au
genoil. Ce n'est point icy un article de foy, au-
moins contenu, que j'estime, au symbole des
apostres.
— Esconduirez vous, Seigneur Pastorelli, la
compaignie d'une si équitable requeste? va dire
le S'' Alphonse. Je vous tiens si honeste homme
que ne nous en ferez refus, et pource je passeray
avant. Et parce que j'ay affaire à un homme le-
quel, a ce que je vois^ ne se mouche pas du pied,
je veux philosopher méthodiquement avec vous.
Premièrement, il faut que, pour establir le fon-
dement de nostre astrologie, je vous monstre que
ce monde est reiglé et gouverné par les influences
célestes. En après, que nos jugemens astrolo-
giques nous sont fort nécessaires, et comme tels
sont receus et pratiquez tant par les médecins,
politiques que mariniers.
Les philosophes naturalistes tiennent que le
Ciel nous départit ses vertus et liberalitez par ces
deux moyens : asçavoir par la lumière et par
l'influence. Pour la lumière et chaleur, j'estime,
Seigneur Pastorelli, que vous ne me mettrez en
peine de le prouver : autrement je diroie que, ou
vous n'avez point d'yeux, ou, si en avez, que ce
sont yeux d'hibous, qui ne virent onques la clarté
37
290 DES PROGNOSTICS
qui nous est rayonnée par le soleil, ou finalement
qu'avez toujours eu le nés dans une bouteille.
Voire quand dés le jour de vostre naissance au-
riez esté aveugle, encores auriez vous senty quel-
que chose des rayons solaires : ne vous estes vous
jamais chauffé aux despens de Dieu, sans bois et
sans feu ? Le pain et le vin qui vous a esté donné
pour nourriture ne croist pas dans le four et dans
la cave : il faut que le soleil ait passé par dessus.
Je laisse pour le présent la génération naturelle
des plantes et des animaux, tant j'ay envie de me
haster à la fin de ce discours; et aussi que je vois
que nous tombons d'accord que la lumière et
chaleur céleste vivifie, nourrit et modère la plus-
part de ce qui est sous-lunaire. Ne me reste que
l'influence, laquelle n'est autre chose qu'une cer-
taine force cachée qui nous produit des effects
desquels nous jouissons véritablement, mais
nostre main est si grossière qu'elle ne peut y tou-
cher. Or, que ces effets merveilleux dépendent et
procèdent d'autre que de la lumière, je m'en vay
vous le faire si manifeste que les plus lourds et
pesans pourront y mordre. Premièrement, on de-
meure d'accord que la lumière ne peut estre re-
ceue et apparoir que dans les corps transparens
et diaphanes. L'influence passe bien plus outre et
creuse plus profondement les entrailles de Na-
ture : les corps ont beau estre opaques, obscurs
ET PREDICTIONS ASTR O LOGIQ^U ES. 291
et espais, elle les vous transperce. Direz vous que
la lumière procrée les métaux, pierres et miné-
raux que la terre nous enfante en ses entrailles ?
La lumière du soleil ne peut pénétrer jusques au
creux de la terre, pour luy faire porter le marbre,
la geyette, l'ardoise, le sel Oromenois (duquel
parle Pline au 7 chap. du 3i livre de son Histoire
naturelle) et Arragonnois (remarqué tant par le
mesmes, au trenteseptiesme livre, chap. sept, que
par Lucius Marineus, au premier livre des Singu-
laritez d'Espaigne), l'argent vif, le vermeillon,
le cuivre, l'arsenic, l'or, le plomb, l'antimoine,
l'airain, l'argent, le verd de terre, le fer, l'estain,
le crystal, l'agathe, l'amethiste, le diamant, l'o-
pale, la cassidoine, la sardoine, l'emeraude , le
topase et le carboucle. Ne faudra il pas que vous
ayez recours à l'influence céleste pour sauver la
vérité des vertus et proprietez miraculeuses de
l'aymant, duquel voicy que nous chante le docte
du Bartas au troisiesme jour de sa Semaine :
Mais tairaj je l'aymant dont l'ame morte-vive
De raison ma raison par ses merveilles prive ?
L'honneur magnésien , la pierre qui, s'armant
D'un attrait sans attrait, d'un mousse accrochement
D'aveugles hameçons, de crochets insensibles,
Des cordeaux incogneus et de mains invisibles,
L'esloigné fer attire, et ne peut appaiser
Son convoiteux désir qu'il n'en ait un baiser,
Ains un embrassement, qui d'un fascheux divorce ,
292 DES PROGNOSTICS
Loyal, ne sent jamais la despiteuse force,
S'il n'est par nous desjoint : tant et tant ardemment
L'aimant aime le fer, le fer aime l'aimant;
Et, bien qu'un entre-deux leur serve de barrière,
Ils n'estaignent le feu de leur chaleur première.
Ains vis à vis de l'un l'autre saute tout jour,
Tesmoignant pour le moins par signes son amour.
Mais, bon Dieu ! qui pourroit comprendre en quelle sorte
Un aneau, emporté d'un peu d'aimant, emporte
Un autre aneau de fer, et que cestuy, ravj,
Ravisse un tiers, le tiers un quatriesme, suivy
D'un cinquième chaînon? Quelle vertu si grande
Fait que sans s'accrocher l'un de l'autre despende?
Qu'ils soient nouez sans nœud, liez sans liaison,
Et sans colle collez, dementans la raison,
Qui tient pour résolu que la chose pesante
Ne peut, en l'air pendue, éviter la descente?
— Pour un habile homme, respond messer
Nicolas, vous estes fort empesché, Seigneur
Alphonse, et pensez, queje crois, avoir desja des-
coulé et alambiqué vostre influence céleste dans
la cervelle de tous ceux qui vous escoutent. Je
vous voudroye dire en un mot qu'au lieu d'atta-
cher au ciel ces merveilleuz secrets que vous avez
tres-doctement cotte, je vous conseilleroie de
laisser le monde comme il est, et, puis que c'est
la terre qui nous desploye ses trésors, que vous
ne soiez si ingrat de les vouloir defouir pour les
attribuer à tel qui, ny près ny loin, n'y prétend ■
rien. Si j'avoye tiré du fond de mes coffres quelque 1
précieuse bague, ne vous diroit on pas mesco- *
ET PREDICTIONS ASTROLOGIQUES. 298
gnoissant si vous en alliez sçavoir gré au Roy,
lequel, quoy qu'il soit grand seigneur, ne vous
auroit point honoré de tel présent ainsi que j'au-
roie fait ?
— Et vous en estes encores là, Seigneur Pas-
torelli, répliqua le S^ Alphonse, de nous vou-
loir amuser après les tripailles? Cela sent son
buson à pleine gorge et est lourd comme un
pasté de chevilles. Seriez vous bien si grue que
de croire que la terre puisse engendrer de soy
mesmes ces siennes créatures que vous avez fort
bien particularisé, puis que c'est tout si, avec
l'aide du soleil, elle peut enfanter les fruicts nour-
rissiers de nostre vie ? Le mesmes seigneur du
Bartas, au quatriesme jour de sa Semaine, vous
coupe la gorge : car, parlant des beaux effets du
soleil alendroit de la terre, voicy qu'il dit :
. . . Ton ardeur, qui pénètre subtile
La solide espaisseur de la terre fertile, #
Qui va dans ses roignons le mercure cuisant
Qui change un pasle soulphre en un métal luisant.
J'avoie envie de tirer icy hors ligne les terres
Scellée, Melienne, de Chio, l'Erythrienne, de
Bloys, et plusieurs autres miraculeuses singula-
ritez, si je ne craignois que me voulussiez r'en-
tomber dans la terre; je vous vay remener chez
vous, au ciel et en la mer. Vous sçavez que la
294 ^^S PROGNOSTICS
mer s'enfle et se diminue par l'accroist et descroist
de la lune, laquelle à ceste occasion a esté nom-
mée royne de la mer. Ah! vous vous garderez
bien de dire que ce flux et reflux obéisse à la
lumière et chaleur du soleil ; l'expérience contraire
vous donneroit trop roide sur le nés. Pourquoy
est ce que du temps du croissant de ceste nuptiere
mère des mois la mouelle croist es os des ani-
maux, le sang dans les veines, la sève dans les
plantes, et la chair de nos huitres perlées?
Le soleil n'a pas moins de vertu et propriété se-
crète sur nous, laquelle toutesfois nous ne reco-
gnoissons point si aisément que celle de sa sœur
Phœbe, parce que sa brillante clarté nous esblouit,
et que l'incroyable infinité de ses liberalitez fait,
ou que nous tombons en mesconte, ou que, mes-
cognoissans et ingrats, nous ne prisons, en la
grand' affiuence qu'il fait découler sur nous, ses
grâces et munificences ; mais, dés qu'il vient à nous
tourner le dos, se destourner de nostre veuë, nous
priver de ses rayons et éclipser nostre vie tant de sa
lumière que de sa chaleur, c'est alors que nous re-
venons à nostre devoir, que nous recognoissons
les grands biens que son influence nous eslargit.
Pour éviter prolixité, je couleray la preuve, qui est
avancéepar Proclus et ramenteuë par Pierre Crinit,
liv. 2 4 de VHoneste Discipline, tendant à ce qu'il véri-
fie l'influence céleste, pourautant que les animaux,
ET PREDICTIONS A S T RO LO GI QJU E S. 295
les pierres et plantes symbolisent avec le soleil et
la lune : vous pourrez voir ce qui en est là touché.
Je pourroie de mesmes icy mettre en liste les
quatre saisons de l'année, ce qu'il y a à redire entre
le frilleux hyver, et le printemps, et l'esté, et
l'automne, mais ce sont choses qui nous sont si
communes et familières que nous ne daignerions
nous y amuser. Prenons les éclipses des deux
grands luminaires; puis que l'expérience a fait
confesser aux plus difficiles à estre persuadez
qu'attendu que le soleil est le chariot de la chaleur
et de la lumière, et qu'il vivifie d'une façon admi-
rable toutes les créatures terrestres, estant comme
la source et le conservateur de la chaleur vitale,
et que la lune a aussi un grand pouvoir sur les
corps inférieurs, ces lampes Latoniennes venans
à estre cachées à la terre, où il y a une révolution
continuelle de génération et de corruption, ces
éclipses ne sçauroient advenir que la nature des
choses inférieures n'en fut altérée et affoiblie,tant
es elemens qu'es corps composez d'iceux, dont
s'ensuivent les sécheresses ou pluyes continuelles,
maladies contagieuses, famines, trahisons, et au-
tres tels accidens; et, pour la sympathie de l'ame
avec le corps, que les semences des guerres, les
changemens d'estats en la mort des princes et
autres maux prennent vigueur et accroissement
de l'altération de ces corps célestes.
296 DES PROGNOSTICS
Cela n'est point fantasier en idée; l'espreuve
nous en fera sages. J'en vay donner une qui est
cogneue par tous les chrestiens et avérée par in-
dubitables tesmoignages. C'est ceste éclipse du
soleil qui advint le jour que nostre vray soleil de
justice défaillit en la vie présente pour nous ac-
quérir la vie éternelle : quelle longue queue de
mal-heurs et misères traina elle après soy contre
les incrédules! Aussi véritablement estoit elle du
tout extraordinaire et miraculeuse. Car le soleil
ne s'éclipse ordinairement qu'en la nouvelle lune,
laquelle se rencontre entre luy et nous; mais lors
que le Sauveur mourut, il éclipsa en pleine lune,
à midy, le vingt cinquiesme jours de mars, le jour
de l'equinoxe, auquel la lune se rencontra au plein
ceste année là, la lune estant sous terre et à l'op-
posite du soleil, lequel neantmoins perdit sa
lumière et fut obscurci d'une estrange façon l'es-
pace de trois heures, sur tout l'hemisphere de
toute la terre. Ce qui advint lors contre le régu-
lier mouvement des corps célestes, au grand es-
tonnement de ceux qui vivoient lors. Et pource
nous lisons que Denis Areopagite, grand astro-
nome, se trouvant lors en ^Egypte, et ne voyant
aucune cause de telle éclipse en nature, s'escria
que Dieu souffroit ou se douloit des souffrances
de nature. Je me suis un peu estendu sur ceste
éclipse, Seigneur Pastorelli, pour vous couper le
ET PREDICTIONS A ST RO LOG I CLU ES. 297
chemin à la réplique que m'eussiez peu faire, et
qui ne demeurera pas, je m'en asseure bien, à
m'estre proposée tantost quant vous fouldroyerez
contre nostre Astrologie. Si ceste cy ne vous
contante, j'adjousteray encores que le jour précè-
dent la prise de Perseus, roy de Macedone, et de
la journée d'Arbella en Chaldée, qui emporta la
ruine de deux grands monarques et le changement
deplusieursEstats,ilapparutdeuxgrandes éclipses.
Rodons encores un peu avec le seigneur du
Bartas parmy le ciel, et nous y trouverons de
merveilleuses influences qui nous sont départies
par les effets de certaines estoiles, remarquées
d'ordinaire en quelque mois de l'année; voicy ce
qu'il nous chante :
Je diray seulement que, puis que les regards C
Du céleste Avant-chien lancent de toutes parts !
Miir invisibles feux, qu'ils sèchent les campaignes,
[Qu'ils cuisent les vallons, qu'ils bruslent les montagnes,]]
Et que le plus souvent ils causent dans nos corps
De cent accez fiévreux les panthelans efforts, |
Que la Crèche au rebours, les humides Pléiades, |
Le brillaat Orion, les pleureuses Hyades, ï
Jamais presque sur nous n'allument leurs flambeaux j
Sans estendre le bord des escumeuses eaux; I
Bref, puis qu'il est ainsi que sur le cler visage 1
Du doré firmament on ne void presqu'image •
Qui sur le monde bas ne verse évidemment , \
Pour fomenter ce Tout, maint et maint changement , {
On peut conjecturer quelle vertu secrète I
38
298 DES PROGNOSTICS
Découle sur nos chefs de chacune planète,
De chascun de ces feux que Dieu voulut ficher^
Pour leur rare pouvoir, chascun en son plancher.
Les astrologues passent bien plus outre que n'a
fait ce poète. Allez en l'escole de Firmicus : au
VIII livre de ses Astronom., ch. vij , il vous
apprendra que les Pléiades se lèvent en la sixiesme
partie du Taureau, et que ceux qui naissent alors
seront naturellemens popins, mignards, et qui se
plairont à estre bragards et gentils, propres à
courtiser et agréer aux dames. Ptolomée Alexan-
drin, au IV livre de ses Quadripart., ch. iv,
vous racontera une chose estrange, c'est que,
si la lune demeure en Tune des deux quartes
lors de la naissance d'un homme, ou il sera
marié fort jeune, ou, s'il attend tard, il aura
pour femme une jeune fillette; que si elle se cou-
che en l'une des deux occidentales, il sera marié
sur le tard, ou il donnera dans un vieil trou. Le
mesmes Firmicus, parlant de la puissance des
astres sur les mariages futurs, remarque, au pre-
mier chapitre du cinquième liv. de ses Astron.,
que, si l'horoscope se treuve aux Poissons et le
coucher au Lyon, qu'il sera accouplé avec une
vieille, ou aura une vefve ; voire qu'il y a des
femmes qui sont tellement nécessitées par la force
des astres qu'elles aimeront mieux avoir pour ca-
valcadour un vieil recuit qu'un jeune et roideche-
ET PREDICTIONS ASTROLOGIQUES. 299
valier. Selon cest astrologue, au chap. xxvij du
VlIIlivredesesAsfron.jSiladixiémepartieduChe-
vreul est trouvée en la présence de Mars, le mary
adultérera et sera party de mesmes d'une femme
qui vous luy plantera les cornes grandes comme
à un bouc. Ou bien, ainsi qu'il a luymesme escrit
au vj chapitre du VIII livre de ses Astronom., si
les Pléiades se rencontrent au coucher, et ainsi
les bonnes estoiles avec les mauvaises regardent
de mesmes rayon le lieu où deux joueront à la
fossette, tous deux mourront en l'exploit véné-
rien, mais ce sera joyeusement : Laus in amore
mori. La jalousie mesmes nous est annoncée et
déterminée par les astres, comme remarque le
mesmes autheur. De fait, si l'horoscope est trouvé
es limites de Venus, et que l'engendrement ait
esté de nuit, et que Mars ait esté trouvé en ces
parties, c'est asseurance au mary qu'il aura une
femme tresriche, mais qui au reste luy donnera
bien rudement martel en teste. Comme aussi si la
lune se treuve en ces quartiers là, et que l'engen-
drement soit de nuit, la jalousie est caractérisée,
scellée et imprimée, tout de mesmes que si la
seconde partie des Poissons se treuve en l'horos-
cope. Voila, ce crois je, assez d'exemples pour
vous faire advouer l'empire reiglé toutesfois des
astres sur ces basses marches.
Sera il besoin de recourir au mélodieux accord
3oO DES PROGNOSTICS
des planètes, qui, ainsi que plusieurs philosophes
ont tressagement observé, est la vraye reigle, le
tableau, le niveau de nostre vie humaine? Je ne
veux point icy pythagoriser dans les tons et nom-
bres superstitieux : c^est beaucoup meilleur de
composer nostre vie selon la disposition des lieux.
Nostre premier aage se doit, et véritablement
ainsi se peut il rapporter à la puissance lunaire,
d'autant qu'alors nous sommes soustenus, nourris
et entretenus par les forces de la faculté nourris-
sante et végétante. Nostre seconde course tend à
Mercure, d'autant qu'alors nous nous exerçons à
l'estude, à la lucte, à jouer des instrumens, et
semblons aucunement vouloir desrober les secrets
du caducée. Nostre troisiesme carrière tire à
Venus : c'est lors que les semences bouillonnent
dans nostre corps, et que nous sommes plus fort
resveillez à la procréation. Nous allignons nostre
vigoureuse virilité à l'estage du soleil, d'autant
que, comme c'est l'un des plus parfaits, aussi cest
aage là nous rend plus accomplis, plus forts et
plus roides. A Mars nous attribuons les menées,
pratiques et efforts que nous dressons pour con-
quérir les empires, royaumes, principautez et
seigneuries, pour nous enrichir et faire parler de
nous. Jupiter tient la sixiesme bande, laquelle il
reigle et modère par sa prudence : de fait, lors
que nous commençons à tomber sur l'aage, nos
ET PREDICTIONS ASTROLOGIQ^UES. 3oi
actions ne sont point si esventées, nos advis sont
plus meurs, nous avons plus de plomb à la teste.
A la queue on met le bon Saturne, pensif, froi-
dement sec, ridé, chauve, grison, frilleux, de
mesmes que les vieillards, pour avoir leurs testes
negées ne pensent plus qu'aux tisons, à rechigner
et tout doucement faire le sault naturel.
Comptons par escot, je vous prie. Seigneur
Pastorelli. Dites moy pourquoy c'est que les peu-
ples septentrionaux sont si mal accordans en com-
plexion, nature, habitude, figure, et autres qua-
litez, avec les méridionaux, voire de ceux qui
sont moyens entre le Midy et le Nord. Si vous
ne regardez au ciel, vous et tous ceux qui vou-
dront en discourir, n'y ferez que l'eau claire.
Mais qui prendra garde à la nature des planètes,
on trouvera, ce me semble, que la division d'icelles
s'accommode à ces trois régions suivant Tordre
naturel d'icelles; et, donnant la plus haute planète
qui est Saturne, à la région meridionele, Jupiter
à la moyenne, et Mars à la partie septentrionele,
le Soleil demeurant, comme la source de lumière,
commun à toutes également ; après lequel nous
camperons Venus, propre au peuple du Sud,
Mercure au peuple moyen, et la dernière, qui est
la Lune, au peuple du Nord : qui monstre l'in-
clination naturelle du peuple de Septentrion à la
guerre et à la chasse, propre à Mars et à Diane;
302 DES PROGNOSTICS
au peuple méridional la contemplation et en
outre l'inclination vénérienne; et aux peuples du
milieu la qualité de Jupiter et de Mercure, pro-
pres aux gouvernements politiques.
— Demeurez icy, Seigneur Alphonse; vous
avez plus parlé, va dire le S^' Pastorelli, qu'il ne
vous estoit requis. Je vous vay prendre par le bec,
encores que ne l'ayez si grand que le Tocan de
Thevet. Vous bastissez la diversité des mœurs des
peuples sur la différence qui est entre les constel-
lations des astres qui leur prédominent. Je vous
vay monstrer des pays et contrées qui sont en
mesmes climat, en pareille latitude, voire en
mesmes degré, qui pour cela ne laissent à diffe-
renterpar ensemble. Cela se cognoist à veue d'œil
es montaignes qui s'estendent d'Occident en
Orient, comme l'Apennin qui divise presque toute
l'Italie en deux, le mont Saint Adrien en Espagne,
les monts d'Auvergne en France, les Pyrénées
entre la France et l'Espagne, le mont Taureau
en Asie, le mont Atlas en Afrique, qui con-
tinue depuis la mer Atlantique jusques aux fron-
tières d'Egypte plus de six cens lieues ; le mont
Imaus, qui sépare la Tartarie de l'Asie Meri-
dionele; les Alpes, qui commencent en France et
continuent jusques en Thrace, et le mont Car-
phat, qui divise la Poloigne d'Hongrie. Qui fait
que ceux qui sont en Toscane sont d'humeur
ET PREDICTIONS ASTR O LO GI QJJ ES. 3o3
contraire à ceux de Lombardie et beaucoup plus
ingénieux, comme aussi on voit ceux d'Arragon,
de Valence et autres peuples delà les Pyrénées du
tout differens à ceux de Gascoigne et du Langue-
doc. Les peuples deçà le mont Atlas sont beau-
coup moins ingénieux que les Numides et autres
nations delà le mont Atlas : aussi les uns sont
presque blancs, les autres du tout noirs; les uns
sujets à plusieurs maladies, les autres sains, ale-
gres et de fort longue vie.
— Seigneur Pastorelli , répliqua le S^ Al-
phonse, j'ay en main deux moyens de response,
encores qu'à dire levray,vous n'en méritiez point.
Le premier, que je vous accorde ce que vous
dites, et n'y trouve rien à redire que vostre con-
clusion. Je ne vous ay pas dit que ceux qui
sont sous un mesmes degré ne puissent avoir
ensemble quelque diversité. Il y a plus de seize
minutes et plus de trente trois secondes en un
degré; de sorte que, bien que les peuples sis sous
mesmes degré soit diversifiez, cela ne fait pas
contre moy. Encores que les larrons qui pour-
ront estre en Turquie n'ayent rien de commun
avec les gens de bien et d'honneur qui sont en ce
pays, sera ce à dire que les larrons de ce pays vous
ressemblent, à moy ou à autre de ceste notable
compaignie?
11 y a plus, que, sans y penser, vous avez plaidé
3o4
DES PROGNOSTICS
pour moy. Car si ainsi est que les peuples habi-
tans une mesmemontaignesont neantmoins diffe-
rens, il s'ensuit que ce n'est la terre qui unit leurs
complexions montaignardes, ains que c'est une
cause supérieure qui subtilise les uns et appesantit
les autres. Encores qu'il y ait des veines de soul-
phre, d'or, d'argent et d'autres métaux en une
montaigne, il ne sera pas question de publier que
ceste montaigne soit toute d'or, d'argent ou de
soulphre. Ce ne sont que certains petits cartiers qui
en ruisselent. De mesmes en ces montaignes que
nous venez de spécifier, certainement il y a des
e^sprits gaillards et gentils, d'autres lourds et fa-
quins. Attribuerez vous telle diversité à la mon-
taigne? Ce seroit bien rencontré. La montaigne
les rend montaignards, et l'influence céleste les
diversifie.
En voulez vous une preuve palpable? Ceux qui
vont de Bouloigne la grasse à Florence, ou de
Carcassonne à Valence, trouvent un merveilleux
changement du froid au chaud en mesmes degré
de latitude, pour la diversité du val tourné au
Midy et l'autre au Septentrion. Pareille diversité
trouveront ils aux esprits. C'est pourquoy Platon
rendoit grâces à Dieu qu'il estoit Grec et non
pas Barbare, Athénien et non pas Thebain, com-
bien qu'entre Thebes et Athènes il n'y ait pas
vingt lieues; mais l'assiette d'Athènes e.stoit tour-
ET PREDICTIONS A ST R O LO GI Q^U E S. 3o5
née au Midy, baissant vers le Pyrée, ayant une
petite montaigne à dos, et la rivière d'Asopus
entre les deux villes. Aussi les uns estoient du
tout addonnez aux lettres et aux sciences, les
autres aux armes; et, combien qu'ils eussent
mesme gouvernement populaire, si est ce qu'il n'y
avoit point de séditions à Thebes, et les Athé-
niens avoient bien fort souvent quereles et dissen-
sions pour l'Estat.
Je renouëray donc mon propos, lequel vous
m'avez interrompu. Seigneur Pastorelli, et vous
monstreray que les mœurs, affections et habitudes
des peuples se reiglent à la cadence du change-
ment et constitution du ciel. Vous avez le juge-
ment de Pierre d'Ailly, chancelier de Paris et
depuis cardinal, qui a rapporté les naissances,
changemens et ruines des republiques et des
religions aux conjonctions des autres planètes;
mais vous n'estes de ceux (que j'estime) lesquels
croyent à crédit et [ut vulgo dicitur) in fide pa-
rentum (ce n'est pas que je vueille dire que vous
soyez fils de cardinal), il faut que je vous four-
nisse d'exemples. Pource je vay vous monstrer
que les proprietez des régions sont changées au
changement, cours et mouvement successif et
divers du ciel. Nous voyons les Gaulois, Ger-
mains, Escossois, Anglois, qui anciennement ont
esté tenus pour barbares et sauvages, estre au-
39
3o6 DES PROGNOSTICS
jourd'huy de meilleure façon, plus courtois, doux,
amiables, et user de plus d'humanité que toutes
les autres nations. Je m'en rapporte au François
qui ne peut estre qu'il ne soit courtois. La bonté
des Germains est toute notoire. Anciennement,
en Alemaigne et en la Gaule Belgique ne se par-
loit point de ladres; cest article touchoit plus
l'Afîrique. La Palestine,jadis tant fertile qu'Isaac,
fils d'Abraham, en retira cent mesures pour une
de semence, est aujourd'huy seiche et peu fruc-
tueuse. L'Alemaigne, au temps des premiers em-
pereurs romains, estoit infertile d'or et d'argent,
et les monts Pyrénées abondans en telles miniè-
res. De nostre temps, nous voyons le contraire,
c'est à sçavoir les mines d'or et d'argent en Ale-
maigne, et les monts Pyrénées privez de ceste
richesse. Sansema, autheur de VAgriculture fort
ancien, tesmoigne qu'il y a des régions qui n'ont
peu porter vignes ny oliviers pour la violence de
l'hyver; lesquelles depuis, comme le ciel s'est
changé, rendant un froid plus modéré, ont porté
huiles et vins à grand'foison. Il y a donc change-
ment aux régions, comme le ciel change et envoie
autres constellations et aspects.
— Ce seroit une fort bonne et pertinente illa-
tion, Seigneur Alphonse, répliqua messer Nicolas
Pastorelli, si je n'avoie dequoy vous payer. Je
tiens avec Copernic que les changemens dont
ET PREDICTIONS ASTRO LOG I QJJ E S. Boy
faites pyvot sont causes du mouvement de l'ex-
centrique de la terre; tellement que vous pourrez
bien, s'il vous plaist, recacher au ciel vos spé-
cieuses constellations ; autrement je ne craindroie
pas une éclipse, mais que leur fissiez donner du
nez en terre.
— Je suis fasché, Seigneur Pastorelli, que
vous estes venu aheurter tresmal à propos à une
si lourde niaiserie, va dire le seigneur Alphonse.
Car, encores que je soye des vostres, et que je ne
croye à ce qu'on dit si on ne me monstre dequoy,
je ne veux point icy traiter Copernic à l'escar-
mouche; je sçay que son intention ne symbolisa
onques avec vostre excentrique terreité.
Il ne veut pas qu'on tienne ses hypothèses
pour véritables, combien qu'il en ait fait les
démonstrations. Ayant trouvé l'impossibilité et
faulseté des autres théories, qui nous ont rendu
un calcul faux et mal asseuré, il s'est mis en devoir
de faire mieux par hypothèses faulses qui nous
puissent représenter le vray calcul. Car, des pro-
positions faulses, nous est loisible de tirer des
conclusions vrayes, comme Aristote nous a en-
seigné.
De fait, Copernic, au commancement de son
œuvre, proteste qu'il n'est besoin que telles
choses soient véritables ou vray-semblables, mais
qu'il suffit qu'elles nous rapportent un calcul
3o8 DES PROGNOSTICS
respondant aux observations bien faites. Pource,
quand il parle des changemens d'estat procedans
de l'excentrique de la terre, il entend cela de
quelque autre cause occulte qui peut respondre
et se rapporter à l'hypothèse de cest excen-
trique.
Voire quant Copernic auroit esté si sot (con
vostra reverenza) que de tenir à bon escient une si
fatte proposition touchant l'eccentrique de la
terre, je luy monstreroie, et à tous ceux qui vou-
droient bransler la pique pour luy, qu'ils sont du
pays de Libourne, bastis sur le lourd, et que,
s'ils ne se font escorcher bien tost, on les trou-
vera couverts et emmitoufflez de leur peau natu-
relle de veau. Car,encores que je ne vous veuille
battre par le ny qu'a fait Averrois, qu'il y eut
aucuns cercles eccentriques au ciel, si n'estes vous
encores eschapé, attendu qu'il faut que vous
sçachiez que jamais corps simple ne peut avoir
qu'un mouvement qui luy soit propre, ainsi que
le petit mignon et subtil secrétaire de Nature,
Aristote, l'a tresbien remarqué en son premier
livre de Cœlo. Puis donques que la terre est l'un
des corps simples, comme est le ciel et les autres
elemens, il faut nécessairement conclurre qu'elle
ne peut avoir qu'un seul mouvement qui luy soit
propre , et neantmoins vostre. brave Copernic
luy en assigne trois tous differens, desquels il n'y
ET PREDICTIONS A ST RO L O G 1 QJJ E S. Boç
en peut avoir qu'un propre; les autres seroient
violens, chose impossible, et, par mesmes suite,
impossible que les changemens des republiques
viennent du mouvement de l'eccentrique de la
terre.
Les Arabes nous descouvriront plus particuliè-
rement quelle force ont les planètes, voire les
douze signes du zodiaque, sur nos corps, quant
ils nous apprennent que la vie des hommes nous
est signifiée par le soleil, auquel ils attribuoient
pour cest effet la guide, reigle et conduite tant
du cerveau que du cœur. A Mercure ils don-
noient à gouverner la langue et la bouche; à
Saturne la ratte; à Jupiter le foye; à Mars le
sang; à Venus les reins et la semence génitale, et
à la lunel'estomach. Et quant au Baudrier porte-
enseigne, il n'a esté chamarré d'aucun signe qui
n'ait esté bouclé à quelque partie de nostre corps.
Le Bélier a eu nostre chef; nostre col a esté
attaché au Taureau; nos bras et espaules aux
Bessons; nostre cœur à l'Escrevisse; nostre poi-
trine et estomach au Lyon; nostre ventre à la
Pucelle; nos reins et fesses à la Balance; nos
parties naturelles (qui ne seront d'avantage des-
couvertes parce que nos damoiselles sont trop
jeunes et pourroient en avoir peur, ou autre
chose) au Scorpion ; nos cuisses à l'Archer ; nos
genouils au Chevreul; nos jambes au Vers'eau, et
3io
DES PROGNOSTICS
nos pieds aux Poissons. Ce qui a esté fort bien
remarqué par le poëte Mallius en ces vers :
Signa hxc prxcipuas in toto corpore vires
Exercent : Aries caput est ante omnia princeps;
Sortitur quoque sensus et pulcherrima colla
Taurus; et in Geminis œquali brachia sorte
Scribuntur convexa humerisj pectusque locatum
Sub Cancro est; laterum regnum scapulxque Leonis;
Virglnis in propriam descendant ilia sortem ;
Libra régit dunes , et Scorpius inguine gaadet ;
Centauro femora accédant; Capricornus utrisque
In^perat in genibus ; crurum fundentis Aquari
Arbitriain est, Piscesqae peduin sibi jara reposcunt.
Nos aages mesmes sont reiglez par l'ordre des
sept planètes, d'autant que (selon les Arabes) la
lune a la charge de nous jusques au cinquiesme
an ; Mercure dix ans après ; Venus des huict années
ensuivans; le soleil de vingt et un an; Mars de
quinze; Jupiter de douze, et Saturne du reste du
cours de la vie. Ou bien, selon le département
qui en est fait par les nostres beaucoup plus ayse-
ment et familièrement, la lune aura la garde et
conduite de l'enfance; Mercure, de la pueritie (il
faut escorcher non le regnard, mais le latin,
parce que nous n'avons mot propre pour expri-
mer cest aage qu'en periphrasant); Venus, de
l'adolescence ; Mars, de la virilité; Juppiter, de la
vieillesse, et Saturne, de la vieillonge et aage
décrépit.
ET PREDICTIONS AST RO LO G I CLU E S. 3ll
Jusques icy, Messieurs, j'estime avoir si suffi-
samment prouvé la nécessité des influences ce-
lestes, que vous, Seigneur Pastorelli, ne devez
me la refuser, mesmes lors que vous voyez que
naturellement je la vous représente. Pensez vous
estre trompé? Vous faites si grand cas de vostre
Platon, escoutez la leçon qu'il vous donne, c'est
que les yeux avoient esté donnez à l'homme pour
l'amour de l'astronomie : parce il nous apprend
qu'entre tous les corps créez il n'y en a point de
si beaux, gentils et excellens que sont ces flam-
beaux célestes, et qu'à ceste occasion les hommes
estoient ravis sur tout, pour jouir de la veuë
d'une si précieuse beauté. De moy, il me semble
que les yeux ont une merveilleuse accointance, et
qui les rend dignes d^estre rapportez avec les
astres; attendu que, comme dit l'Angevin Bre-
tonnayau en sa Fabrique de Vœil :
Ainsi que l'œil mondain enflamme et illumine
Du tresgrand animal la tresgrande machine^
Le seul œil est du corps comme un petit soleil.
La couronne des cieux se courbe peinte en l'œil,
Dont l'esclat tout perçant toutes choses pénètre :
Plustost que le penser il est où il pense estre.
Il passe bien plus outre, car il soustient que ,
l'œil est un troisiesme monde, fourny et equippé
de toutes ses parties, ainsi que le grand.
D'un, de trois et de sept (dit-il), à Dieu nombre agréable,
:>I2 DES PROGNOSTICS
Fut composé de l'œil la machine admirable;
Le nerf et le cristal, l'eau et le verre pers,
Sont les quatre elemens du minime univers.
Les sept guimples luisans qui son rondeau contournent.
Ce sont les sept errans qui au grand monde tournent,
Car le blanc qui recouvre et raffermit les yeux,
Nous figure Saturne entre ces petits creux;
La tunique d'après, etc.
Et nostre Aristote sera il point de la partie,
mesmement lors qu'il dit que ce monde d'enbas
est gouverné par celuy d'enhaut, et que les
choses supérieures donnoient bransle, mouve-
ment et cadence aux inférieures? Ouy da, il le
mérite fort bien, sur tout pour la raison sur la-
quelle il fonde son dire, laquelle je treuve, Sei-
gneur Pastorelli mon amy, de fort bonne grâce.
Si le commencement du mouvement est du ciel,
il s'ensuit que le mouvement céleste doit estre la
cause qui fait mouvoir toutes les autres choses
qui sont au dessous. Or, que la conséquence soit
tres-necessaire, si vous aviez de bons yeux, vous
l'appercevriez aisément. Je vous veux donner des
lunettes, et pour de tant plus soulager vostre
veuë, rapprocher ma preuve de si prés que, si
voulez, la pourrez tenir tout contre vos yeux.
Considérez, je vous prie, si en la constitution
de nos corps le cœur n'est pas l'aisné de nature,
si ce n'est pas luy qui le premier se meut, et qui,
par ses vifs babatemens, esmeut tous nos mouve-
ET PREDICTIONS A ST R O L O G I Q^U ES. 3l3
mens : voire que, dés lors qu'il perd souffle, tout
le reste de nostre corps demeure resigné aux
griffes de la mort. Et c'est ce que l'on a coustume
de dire, que le cœur est le premier vivant et le
dernier mourant. Vous ne ferez point de diffi-
culté de passer cest article pour le microcosme,
et vous oserez desreigler tels mouvemens pour
raison du grand monde : faut que doutiez du rap-
port qui est du cœur humain au soleil; comme
si vous ne sçaviez que tout ainsi que le soleil,
par sa féconde vertu, anime de ses rais le corps de
tout le monde, de mesmes lecœur n'est pointchaud
seulement à cause de luy, mais aussi en faveur de
tout le corps, auquel il doit fournir de la chaleur
sans intermission. Ce qu'il fait aussi, distribuant
un esprit et un sang fort chaud et délié, en toutes
les parties du corps, par les artères qui luy servent
de canaux. Ignorez vous que le dessaisonnement
du soleil ne trouble le cours de la cadence et le
bransle des célestes flambeaux? Estes vous à ap-
prendre, si le cœur ne babatoit sans cesse, que
tout aussi tost chasque membre du corps vien-
droit à s'anéantir? Si donques l'indisposition du
cœur amortit nos forces et facultez corporelles,
parce que le cœur est son premier moteur, qu'il
luy donne et entretient son bransle, sa santé et
sa vie, ne pourray je pas légitimement conclurre
que le cœur du grand monde ou que l'influence
40
3l4 DES PROGNOSTICS
céleste avive, reigle et gouverne le mouvement de
toutes les parties du corps mondain et orbicu-
laire ? Cela est plus clair que le jour, et, si voulez
persévérer à le mettre en ny, en bon billot je
vous diray : Escoutaz, que le maulubecvous, etc.
— Tout beau, Messieurs, vay je dire : hé!
vous estes en si beau chemin, voudriez vous bien
icy faire quelque folie ? Seigneur Alphonse, mon
gentilhomme, mon grand petit amy, courage;
monstrez vous sage. Vous ne pensez pas au
grand honneur que vous apportera ce discours,
si l'enfoncez comme il appartient. Je ne sçay pas
ce qu'on dit de moy, mais bien ce qu'on dit
d'autruy. Poussez, de grâce, il semble que vous
soyez eschauffé; voulez vous ce linge pour vous
essuier? Contre fortune bon cœur; si pouvez
deconfire Messer Nicolas, je m'asseure qu'avec
le temps serez contant : vivez enceste espérance. »
Il n'y eut pas un de la compaignie qui ne me
seconda, et se mit en devoir de faire reprendre
les armes à ces deux braves champions. A la fin,
d'honte ou d'honnesteté, le seigneur Alphonse,
après s'estre assés proprement évacué, et par
enhaut et par enbas, comme s'il eut esté des-
chargé d'un grand fais qu'il portoit dans le moule
de son brodequin, il rentra en conférence, frais,
leste^ gaillard et dispos plus qu'auparavant.
— Bien, Messieurs, va il dire en se riant à la
ET PREDICTIONS ASTROLOGIQUES. 3l5
gorgiase, il faut que je quitte ma propre volonté
pour me ranger à la vostre. Or ça, Seigneur Pas-
torelli, je vous ay desja donné de si rudes coups;
vostre bresche, voire toute la muraille anticelo-
tique est toute astrologisée; les moyens que j'ay
emploie sont si pregnans que je crois (astra Id
fatls annuentibus prœsagiunt) si vous vivez usque
ad consiimmationem seadi^ et si je vous puis
revoir, vous me le sçaurez à dire : que par cy
après, au propre jour de ce mois, d'icy à fort
long temps, on sentira une particulière influence
céleste qui astrologiquement découlera, pour tes-
moigner l'astrologique affection que j'ay eu à
miaintenir les influences astrologiques alencontre
de l'antiastrologisme. Pour cela je cognois à
vostre minois que n'estes délibéré de quitter le
champ; et pource, je vay boucher ma défense
astrologique par les authoritez sainctes et divines
qui favorisent aux influences célestes.
Prenez moy ce qui est dit au commencement
du Genèse : Dieu dit : qu'il y ait luminaires en
restendue du ciel, pour séparer la nuict du jour y et
soient en signes, en saisons, en jours et en ans.
Voila donc que porte l'ordonnance du Tout-
Puissant : c'est que les estoiles, qui sur tout sont
douces de lumière et clarté, distinguent, varient
et reiglent, par les qualitez propres à la nature
des mixtes, les bornes des jours, des mois et des
3l6 DES PROGNOSTICS
ans. Qu'elles soient en signes, qu'est ce autre
chose, sinon qu'auparavant estans regardées, con-
templées et considérées, elles nous advertissent
de bonne heure des commencemens, suites et
bouts des saisons, comme aussi des divers chan-
gements qui surviennent et sont moiennez par la
force des estoiles mesmes? Comme de fait, il n'est
pas croyable qu'une si grande troupe de corps
brillonnans ayent esté posez et plaquez au ciel
pour servir de monstre et parade seulement, ce
seroit attacher à la main laborieuse du grand ou-
vrier de l'univers une nonchallante oisiveté, con-
tre l'expérience manifeste que cy dessus nous
avons touché, et de laquelle le seigneur Peucer,
en son Astrologie, couche de fort beaux et segna-
lez exemples.
His accedit, que l'usage, qui est religieusement
gardé par toute la chrestienté, à nommer les
jours de la semaine par le nom des planètes,
monstre tres-evidemment que l'influence céleste
n^abhorre de la pieté chrestienne. Autrement
j'attacheroie de paganisme tous ceux qui, parlans
du lundi, mardi, mercredi, jeudi et vendredi, ne
nous font estât que de la lune, de Mars, de Mer-
cure, de Juppiter et de Venus.
— Seigneur Alphonse, respondle seigneur Pas-
torelli, nous ne sommes théologiens; à un chas-
cun son godet; c'est assez, je vous prie, ne vous
ET PREDICTIONS A ST RO LOG I Q^U ES. 3lJ
ruez si fort sur la Sainte Escriture, ce n'est pas
vostre gibier ny le mien aussi : vous pourriez
retirer vostre pain cornu, pour ne l'avoir bien
enfourné. Avant que je me mette à canonner con-
tre vostre judiciaire astrologie, deschargez vous,
non pas comme avez fait tantost, autrement il me
faudroit du musq; je ne sçay quel diable vous
avez mangé, vostre fecalité sent bien autre saulce
que la civette. Deschargez vous donc des preuves
lesquelles vous vous vantez avoir, pour monstrer
que vostre astromanie (non, la langue me brayette :
pour éviter querelles, prenez que je vueille dire
astronomie) nous est fort nécessaire et proffitable.
— On me presse fort, mes maistres, à ce que je
voy, va dire le S^ Alphonse; soit, je ne veux
vous rendre en ce mal contans. Je m'en vay à la
mer : voulez vous dire que l'astrologie n'y soit
nécessaire; que les astres ne guident pas le navire;
qu'on puisse singler sur ce vaisseau humide et
plein d'inconstance sans la cognoissance des es-
toiles? Vous n'estes pas, ce croy je, si veau : je
suis Gascon ; pardonnez moy^ je vouloie dire beau
contrediseur. Or, pour vous lever d'erreur, et
tous ceux qui pourroient avoir choppé contre
une si lourde, ridicule et palpable absurdité de
mescroyans, je vous veux icy coucher une liste
de quelques prognostics des tempestes et orages
qui se monstrent, tant par le soleil que par la lune.
3l8 DES PROGNOSTICS
Pline^ au i8 livre de son Histoire Naturelle,
chap. 45, escrit que le soleil, s'il est beau et net
sans estre fervent lors qu'il se levé, signifie un
jour beau et serain; s'il se monstre jaune, il pro-
met pluie et gresle. S'il semble estre creux quand
il se levé, il amené la pluie et vents ; comme aussi,
si à son lever on voit devant luy quelques nuées
vermeilles, et qu'aucunes d'icelles se perdent vers
le nord ou vers le sud, c'est asseurance de vents
et grandes pluies. S'il semble que le soleil cueille
ses rais quand il se levé ou se couche, il signifie
la pluye. Si on voit quelques nues rondes par des-
sus le soleil avant qu'il se levé, c'est prédiction
de grand froid ; cela s'entend quand elles se reti-
rent vers le midy, après que le soleil est sorty;
mais si elles se retirent devers l'oiiest, c'est pré-
sage de beau temps. Si quelques nuées environ-
nent le soleil, d'autant qu'elles luy lairront moins
de lumière et clarté, c'est asseurance de grande
tempeste, laquelle sera plus forte si sa rondeur
semble estre double. Si on voit des nuées ver-
meilles couchées sur le soleil quand il se levé,
c'est une menace que le vent soufflera de l'endroit
où elles sont couchées ; mais si le vent tient de
midy, on n'attend que la pluye. Si, lors qu'il se
levé, il est environné de nuées, croyez qu'il ven-
tera du costé où la rondeur sera descouverte, et
s'il se descouvre du tout également, ce sera signe
ET PREDICTIONS ASTROLOGIQUES. BiQ
de beau temps. S'il jette ses rayons bien loin
parmy l'air et traverse les nuées quand il se levé,
et il semble avoir quelque peu de vuide au milieu
du soleil, on aura de la pluye. Si avant qu'il sorte,
les rais se monstrent, on aura des vents et de
l'eau. Si, au coucher du soleil, son cerne se
monstre blanc, c'est présage de tempeste pour la
nuit, et de vents s'il fait bien chaud. Si la ron-
deur du soleil apparoit noire ou trouble quand il
se couche, il fera grand vent du costé où il se
descouvrira le plus.
Et quant à la lune, ceux d'Egypte observent, le
quatriesme jour de la lune, que, si elle se trouve
resplendissante avec une belle clarté, ils ne font
estât que du beau temps; de vents, si elle est
rouge ; de pluye, si elle est noire. Si le cinquiesme
jour les cornes de la lune ne sont aiguës et dé-
liées, mais grosses, mousses ou rebouchées, cela
signifie pluye. Si la lune est droite et renversée
contremont, elle signifie grands vents, tant plus
s'il advient au quatriesme jour. Si le quatriesme
jour la lune se tient droite, elle signifie tempestes,
sauf si elle a autour d'elle un cercle bien net. Si,
en son plein, elle se trouve nette au milieu, c'est
présage de beau temps, ou si lors elle a un cercle
autour d'elle, on aura du vent du costé où elle
sera plus resplendissante. Quand elle est nou-
velle, si elle se levé ayant sa corne de dessus
320 DES PROGNOSTICS
comme noire alentour, il pleuvra au dernier
quartier; et si la corne d'embas est aussi noire
alentour, il pleuvra avant la pleine lune. Si la
lune monstre ses cornes grosses à sa naissance,
elle signifie tempeste, et sera tant plus grande,
si le vent d'ouest ne souffle devant le quatriesme
jour. Si le sixiesme jour elle a grande couleur
de flamme, elle signifie tempeste.
Bref, si les feux Latoniens n'avoient authorité
et commandement sur la marine, les pilotes se
peineroient ils si fort à rechercher les hauteurs,
les longitudes, latitudes, le méridien, les décli-
naisons solaires, l'estoile du Nord et ses sept
gardes, et les marées, par le moyen des jours de
la lune et de la conjonction?
— Vous estes comme coigne-festu, Seigneur
Alphonse, respond le S'" Pastorelli; vous vous
estes estendu bien au long, présumant faire un
bon coup, et n'avez rien fait pour vous. C'est
encores à recommencer. Tout ce long discours
qu'avez fait des prognostics tant du soleil que de
la lune ne tend qu'à monstrer que ces deux lumi-
naires sont esté plantez au ciel à celle fin qu'ils
fussent en signes de sérénité et de tempeste ; mais
de surbastir les signes adventuriers de Testât de
nos vies, cela est par trop hardiment jouer au
deviner. Si vous n'avez autres moyens, je pré-
vois et ne feray point de conscience de prédire
ET PREDICTIONS AST RO LO GI QJU E S. 321
que j'emporteray gain de cause, avec despens,
dommages et interests.
Par ma foy, vous me faites souvenir du S'' Gau-
lard, lequel, ayant entendu que le coq d'un clo-
cher qu'il voyoit, estant tourné du costé de la
bise, tesmoignoit qu'il feroit beau, croyoit fer-
mement que la beauté et sereneté du temps des-
pendit de ce coq; et pource, il le fit clouer et
attacher, ayant la queue tournée au Nord. Enquis
à quelle occasion, respondit que ce n'estoit que
pour cinq ou six jours, afin qu'il eut beau temps
durant son voyage. Vous estes aussi fins l'un que
l'autre.
Or, afin que je vous couse le bec du premier
coup, je vous demande si, parce que par le
calendrier des bergers et bonnes gens, nous
trouvons plusieurs prédictions du beau et mau-
vais temps par les bestes brutes, vous serez
si hardi qu'il y ait quelque influence brutale qui
esclaircisse le temps ou qui embrouille le ciel de
nuées?
Quant les puces vous mordent plus fort que de
coustume, aussi tost vous venez à présager la
pluie : est-ce que la saignée que vous donnent ces
petites bestioles alambique la pluie du ciel.? Et
neantmoins, parce que le soleil et la lune nous
advertissent des temps, vous voulez inférer que
les astres découlent leur vertu sur nous. Si tost
41
322 DES PROGNOSTICS
que vous m'aurez passé l'article des puces, je
demeureray d'accord avec vous.
— Ne débridez pas si viste, Seigneur Pasto-
reili, va dire ieS^ Alphonse, je vous vay renvoier
chez vos parens. Ah! que- vous faites du difficile,
comme si on ne voyoit pas que vous pesle-meslez
le ciel avec l'eau, et qu'il n'y a aucun rapport de
la puce à Taspect de nos astres. Toutesfois, parce
que je sens que quelques uns de la compaignie
s'ennuyent de ce que ceste aprésdisnée les rend
trop long temps sédentaires, que les fesses leur
démangent, je ne sçay s'ils ont quelque puce qui
les festoie, ou autre vermine. Je suis trescontent
d'estaler icy le reste de mes preuves. Irons nous
aux escoles de médecine, et vous en forbannirez
l'astrologie ? Vous ferez ce que je n'ose dire : je
payeray trois bussars de vin normand, soit peré
ou citre, tant plus que du moins, s'il vous plaist
en dresser des thèses et les soustenir en l'escole
de médecine : Ohl qu'on vous veineroit en fils
de bonne maison. Ne pensez vous point qu'il
faille à la saignée prendre garde aux astres? En
temps chaud on a accoustumé de prendre méde-
cine : que diriez vous des jours caniculaires.?
Lors qu'il fait fort froid, les purgations et phle-
botomies, si elles ne sont contraintes, ne sont
elles pas interdictes?
— Quoy, Seigneur Alphonse, va dire mçsser
ET PREDICTIONS ASTROLOGICLUES. 323
Nicolas, il n'y aura pas la médecine qui ne vous
serve pour surbastir vos astromanies : j'ay bien
dequoy vous payer, vous verrez que me devrez
de reste. Je ne suis de ces niais superstitieux qui
font difficulté de la saignée d'un .patient lors que
la lune est en Gemini, sous lequel signe ils po-
sent le bras, ou pendant qu'elle est en autre signe,
aiant sous sa domination autre membre du corps
humain. Premièrement, quel démon est entré
dans leur sermonniere pour leur manifester ces
phantastiques regards qu'ils attribuent aux pla-
nètes? Si l'un le veut blanc, l'autre le veut noir;
si faudra il que le sang soit rouge. Hippocrate,
Galen, Avicenne, Oribase, iEginete, et autres
excellens médecins nous ont ils astraints à tel
régime.? Leurs livres ne nous en conseillent un
seul mot. Et la pratique contraire nous fait dépar-
tir de ces superstitieuses reserves, mesmement
puis que nous voyons que ceux qui n'ont tenu
les derniers rangs entre les plus habiles médecins,
sans s'arrester à ces signes ou aux conjonctions
du soleil et de la lune, ont fait saigner les malades
et bailler medeccine lors que la nécessité le reque-
roit. Par ce moyen, ils en ont plus veu guérir
que de ceux qui, beans après les bonnes heures,
perdoient cependant les occasions d'obvier à la
force et violence des maladies.
— 11 faut donc, Seigneur Pastorelli, répliqua
324 ^^^ PROGNOSTICS
le S^ Alphonse, que vous desmentiez Pierre d'Ap-
pon, qui nous rapporte qu'un certain person-
nage, pour avoir esté saigné au bras, la lune es-
tant aux Bessons, tomba en inconvénient de
mort.
— Croiriez vous. Seigneur Alphonse, repon-
dit messer Pastorelli, que je soie si mal-advisé
que de lascher un desmenti si mal à propos con-
tre un si honneste homme qu'estoit celuy duquel
vous me parlez? Je ne décrois point le fait qu'il
recite, j'admets la circonstance du temps; mais,
au lieu qu'il impute l'accident survenu à l'indis-
position de la lune sous cest aspect, je le veux
rejetter ou sur l'inhabilité du chirurgien, qui
n'estoit pas bien adroit en sa charge, et qui par
malice auroit peu blesser le malade, ou au malade
mesmes, qui auroit fait le sot, branslé ou remué
le bras; ou finalement à la lancette qui n'auroit
esté nette et bien parée. Mais que la lune en fut
cause, ce n'est non plus véritable que si on vou-
loit dire que, si on vous avoit donné un coup
d'espée au travers du corps, j'en seroie esté cause
parce que j'auroie passé alors par là. Je ne vous
suis point ennemy.
Vous faites un grand quanquam de ce qu'Hip-
pocrate en ses Aphorîsmes dit que les purgations
sont ennuyeuses et nuisibles au temps des jours
caniculaires. Comme si ce médecin entendoit que
ET PREDICTIONS ASTROLOGIQUES. 325
le signe du Petit-Chien soit contraire aux purga-
tions. Il n'y pensa onques, non plus que moy, à
telle intention que vous mettez en avant; ains
parce que les corps, estans lors desseichez et en-
flambez, ne soustiennent la force des médecines
purgatives, lesquelles sont grandement chaudes
et sèches^ et mesmement celles dont on usoit
en ce temps là : si bien qu'au lieu de faire quel-
que bien aux corps, alors elles les eussent préparé et
disposé à la fièvre, attendu qu'en temps de grand'
chaleur la vertu des corps se resoult et débilite.
Galen nous en donne une autre raison, qui est
que la médecine attire des parties extérieures
aux intérieures, et la chaleur de l'air en la matière
de la chaleur du bain, attire des parties intérieures
aux extérieures, et par ce moyen la médecine est
empeschée en son opération. Or ce n'est point
l'excès du chaud qui rebousche l'effet de la méde-
cine, ains aussi le trop grand froid, pourautant
que, quant le temps est beaucoup esloigné de la
tempeture et tire le plus à la froidure, les hu-
meurs sont généralement coagulez et endurcis ; au
moyen dequoy on fait alors grande difficulté de
purger et esmouvoir. De fait, si on vouloit pur-
ger à bon escient en tel temps avecques méde-
cine laxative, l'inconvénient de l'excoriation des
intestins seroit grandement à craindre, pource que
la froidure de l'air comprime et repousse les
326 DES PROGNOSTICS
humeurs à restomac et aux intestins, la dysenterie
s'en pourroit ensuivre par la violence faite par
la médecine laxative, d'autant que nature auroit
esté lente et paresseuse à l'évacuation des humeurs
colezou attachez aux membres.
— Vertu bille, quels grands médecins vous
estes, se met à dire le seigneur Galeas; on diroit
que de vostre vie ne fîstes autre chose que doser,
medeciner et syringuer des clisteres dans les grot-
tesques ventriculieres. Per fidem, le cœur me faut;
et si vous continuez à remuer ces fecalitez purga-
tives, j'en rendray aussy, id est, en bon françois,
afin qu'un chascun l'entende et n'en prétende
cause d'ignorance, vous me ferez escorcher le
regnard, devant lequel vous fuirez, comme font
les poules à la présence de la queue vulpine.
Quitez moy toutes ces selles culieres, et les cou-
pez court. Je crois, Seigneur Alphonse, que n'au-
rez d'aujourd'huy fait pro affirmativa. Si messer
Nicolas estend aussi loin le chevrotin pro negativa,
je vous prédis in terminis hab'dibus et secundum
quid, cela s'entend sans estre astrologue, que,
quoy que j'aye bonne envie de sçavoir qui sera
victuSy je seray bien homme, aussi bien qu'autre
de ma parroisse, pour rompre demy jeusne, hoc
est, que je pourray prendre une volte de ressiner.
— Puis donc qu'il ne m'est loisible, va dire le
S'" Alphonse, de plus me mesler de la médecine,
ET PREDICTIONS ASTROLOGIQUES. 827
je m'en vay vous meteorologiser et vous ramen-
tevoir que la pluspart des météores nous mena-
cent et ce monde élémentaire de quelque sinistre
malheur. Pour éviter prolixité, je ne donneray
mire qu'à la comète, laquelle nous sçavons n'avoir
empenné de feu le ciel, qu'à sa queue elle n'ait
traîné de grans vents, des sécheresses estranges,
la famine la peste, la guerre, les inimitiez et
morts des princes et grans seigneurs; d'où vient
que le poète Claudien a tresbien dit que jamais
on ne vit comète sans un triste événement. Quant
aux prognostics des vents, stérilité, faim et peste,
vous n'en voudrez pas paraventure faire grand
compte, parce que naturellement vous en descou-
vrez ceste raison, qui est que puis que la comète
est composée d'une exhalaison seiche et chaude,
il faut bien que l'air qui en est embeu soit aussi
corrompu : les vers du poète Aratus vous l'ap-
prennent. Mais dés qu'il faut prognostiquer ce
qui dépend de la volonté des hommes, je m'as-
seure, Seigneur PastoreUi, que vous vous en tai-
rez et que vous confesserez que ces impressions
de l'air mesmes ont vertu sur nostre vie et sur
nos deportemens. Je passeray bien plus outre, et
par la raison vous monstreray que ce prognostic
outre-naturel nous est naturel.
Prenez donc qu'il y a une si estrange exha-
laison de laquelle est engendrée ceste chevelue
328 DES PROGNOSTICS
impression, qu'elle ne seiche et eschaufîe pas seu-
lement l'air, mais aussi nos corps, dans lesquels,
estans bien eschauffez, s'empraint une forte et
roide colère, le propre de laquelle est de nous
pousser à la guerre, inimitiez, violences et excès,
qui en entraînent beaucoup. D^ailleurs, ceste ex-
traordinaire ardeur et sécheresse jointe, et sur-
adjoustée aux bons, friands et délicieux morceaux,
desquels les grarxds seigneurs ont accoustumé se
repaistre, leur embrase et ternit toute leur vigueur
vitale.
Je ne vous dresseray point icy la liste des co-
mètes veuës anciennement et de nostre temps;
j'ay peur de tenir trop long temps ceste apres-
disnée : la Météorologie de Garceus suppléera ce
que pourriez icy souhaiter.
— N'ay je pas beau moyen. Seigneur Alphonse,
va dire messer Nicolas, si je vouloie, de vous ga-
1er? Estimez vous que les raisons qu'avez icy
proposé soient nécessaires et concluantes? Vous
imputez la mort des princes et grands seigneurs
aux morceaux exquis de leur repas, aux espice-
ries des Molucques et autres viandes chaudes,
aux vins candiot, espaignol et autres chauds ap-
pâts de gueule. Afin que vostre argument ne per-
dit la face de raison, faudroit que tous ceux qui
sont plus excessifs, qui ne se pavent les gosiers
que d'aiguillons à Venus, et qui ne remplissent
ET PREDICTIONS A ST R O LO G I QJU E S. 829
leur panse que des tisons outre-marins, passassent
le pas. Je passe par là dessus comme si vous n'en
aviez ouvert la bouche, afin que, si vous pouvez,
vous veniez à toucher au profit qui nous pourroit
estre causé par vostre astromanie.
— Je n'ay. Seigneur Pastorelli, respond le sei-
gneur Alphonse, plus que un mot à vous dire;
c'est que, quoy qu'on ait voulu gasouiller de nos
prognostics, que la fin nous est fort profitable; par
les fruits vous cognoistrez que je n'avance rien
contre la vérité.
Ptolomée, en son livre de l'Utilité des preno-
tions, les vous représente. « Celuy (dit il) qui a
ceste cognoissance des astres peut destourner
plusieurs effets des estoiles, se préparer, munir
et défendre avant que l'exécution en advienne. »
Joint que le prévoir accoustume et règle nostre
esprit par la méditation, tant des choses qui sont
absentes que de celles qui sont présentes, et l'ap-
preste à recevoir ce qui est à venir avec tranquil-
lité et constance, juxta illud : Tela prœvisa minus
nocent. Pour exemple, voila le ciel qui est caracté-
risé d'une comète; tous les princes et grands sei-
gneurs, s'ils sont tels que je les désire, doivent
alors penser à leur conscience, et croire que c'est
le présage de leur mort, à chascun particulière-
ment. C'est un resveil qu'on leur donne, de peur
que le larron ne les surprenne dormans. S'ils
42
33o DES PROGNOSTICS
meurent, les voila advertis; ils ont eu le loisir de
donner ordre à leurs affaires et de prendre leurs
habits nuptiaux pour aller à la feste. S'ils sont
gratifiez d'un delay, qu'y perdent ils? Ont ils
occasion de se mescontanter? Tout autant que
celuy qui auroit esté en Turquie, et là auroit des-
couvert que l'Infidèle armoit contre quelque
prince chrestien ; si, passant par toutes les villes
chrestiennes, il les advertit de telle entreprise, le
Vénitien, le Pape, le François, l'Anglois et l'Es-
paignol ne seroient ils taxez, s'ils se formali-
soient alencontre de ce fidèle espion, parce que
le prince mahemetan se rueroit sur la Bohême ou
Hongrie seulement?
Au reste, vous vous abuseriez de beaucoup,
Seigneur Pastorelli, si vous estimiez que nostre
astrologie bridast les actions, deportemens et
exécutions des hommes; que nos prédictions
soient arrests qui emportent avec eux leur exécu-
tion parée; qu'on ne puisse eschaper ce dont
les astres nous menacent, et finalement que le
bureau des astrologues soit un second siège de
la Divinité, où on détermine et conclud des af-
faires humaines. Ce n'est point tout cela : la vo-
lonté nous demeure libre pour régir et maistriser
nos actions; si quelquesfois d'appréhension elle
est tenue en relais, poussée ou retenue pour
l'accomplissement de ces prédictions, si ne luy
ET PREDICTIONS A ST RO LO G I QJJ E S. 33l
tient on la bride si roide qu'elle ne puisse à son
aise se tourner et plier là où il luy plaist, ou se
roidir contre l'effect menacé par les astres, voire
mesmes se départir du train où les prognostics
célestes l'auroient chassé. Quant aux evenemens
qui ne ressortissent pas immédiatement de la libre
volonté de l'homme, mais nous sont dénoncez,
rapportez et signifiez par quelque aspect céleste,
la nature n'est point si flaque et faillie de pou-
voir qu'elle ne les puisse contre-barrer, rompre et
dissiper : d'ailleurs nous pouvons les empescher,
adoucir et retarder par nostre soin et diligence,
par l'accoustumance et par l'invocation du divin
secours.
— Vous nous gardiez donccecy. Seigneur Al-
phonse, va dire messer Nicolas Pastorelli, pour
l'arriere-mets, présumant que me fermerez la
bouche contre vostre astromanie : si est ce que
n'est pas eschappé qui entraine son lien. Pour
contremire de l'utilité qu'avez attaché au pied de
vos prognostics celotiqs, sans entrer en colère,
parce qu'elle me pourroit estre nuisible, je vous
renvoieray à ce qui a esté déduit en la matinée
qui est dédiée aux vieillards, afin que par redite
je ne vienne à vous ennuyer. Avec quelle cour-
toisie Laerce nous apprend il que Diogenes pati-
noit messieurs vos astrologues? Ils veulent,
disoit il, prendre le soleil et la lune aux dents, et
332 DES PROGNOSTICS
ne peuvent appercevoir ce qui est à leurs pieds.
Stobée rapporte que le sage Bias se moquoit de
vos astrologues, parce (dit-il) qu'ils ne sçauroient
veoir les poissons nouer dans l'eau qui n'est pas
à demy toise de leur veuë, et toutesfois, ils se
font entendre qu'ils prendront à la truble ceux
qu'ils campent au ciel. D'aussi bonne grâce est
le traict que donne le cynique Diogene à ce
maistre astrologue, lequel, pour se faire estimer
quelque chose, avoit tracé en un tableau quel-
ques estoiles, et disoit que celles là qu'il mons-
troit estoient errantes. « Helas, mon amy, dit
Diogenes, ne mentez point, je vous prie : ce ne
sont point les estoiles qui' errent, mais ceux qui
sont icy avec toy. »
Les loix mesmes se sont armées contre ces en-
joUeurs. Les Athéniens monstrerent bien à
Anaxagoras que son astrologie ne leur estoit à
gré, lors qu'ils le condamnèrent à mort, de la-
quelle à peine son disciple Pericles le peut sau-
ver : si fallut il aller en exil. Agrippa, pendant
qu'il estoit aedildu temps de l'empereur Auguste,
dechassa de Rome tous les astrologues et magi-
ciens. L'empereur Tibère les chastia par mort.
L'empereur Vitelle, après la déconfiture qu'il
eut d'Otthon, dechassa de Rome tout tant d'as-
trologues qui y estoient.
De fraische mémoire nous avons Alphonse, roy
ET PREDICTIONS ASTROLOGIQ^UES. 333
d'Arragon, lequel est prisé, entre autres siennes
vertus, pour avoir esté tresliberal envers les gens
de lettres; mais quant à vos astromanthes, il n'en
voulut tenir aucun conte, dont plusieurs s'esba-
hissoient, attendu que c'est la coustume des
grands de se servir plustost de ceste racaille et les
avoir à leur suite que d'autres qui serviroient de
beaucoup au public. Un jour, il y eut quelqu'un
qui voulut en sçavoir la raison, auquel on fît
response : Sydera stultos regunt, sapientes astris
imperant, c'est à dire : les estoiles gouvernent les
fols, et les sages commandent aux astres; comme
si on eust voulu faire entendre que ce sage prince
avoit bonne envie de si bien dispenser ses finan-
ces qu'elles ne tombassent qu'en mains qui le
méritassent; et quant aux astrologues, qu'ils es-
toient indignes, attendu qu'ils s'amusoient à une
profession qui affoloit les fols et estoit de fort
peu d'édification. Je passeray plus outre, et diray
que ce sage prince faisoit conscience d'entretenir
et soudoyer ceux lesquels il sçavoit ne tendre
qu'à la piperie et séduction des hommes. S'il les
eut porté, qu'il les eut entretenu et qu'il leur eut
soulevé le menton, on le vous eut tenu pour un
maquignon d'imposteurs.
Voila comment, quelque haillon que vous jet-
tiez sur le misérable corps de vos astromantes et
33
DES PROGNOSTICS
cœlicoles, tousjours on descouvre qu'il y a de
l'ordure en leur fluste.
— Faut que soiez bien enverré contre les as-
trologues, Seigneur Pastorelli, répliqua le sei-
gneur Alphonse, qu'il ne tient à vous que ne
les rendiez justiciables au fagot comme héréti-
ques, sans regarder si la qualité de cœlicoles leur
appartient. Contre les cœlicoles vous trouverez
que les ordonnances des empereurs ont esté au-
tant et plus rigoureuses que contre les hérétiques,
voire contre les juifs. La loy Cœlicolarum, qui est
tant au Code Theodosien qu'en celuy de Justi-
nien, de Judxis et Cœlicolis, vous fera toucher au
doigt la différence qu'il y a entre nos astrologues
et ces cœlicoles. Je sçay bien que le mot latin de
Cœlicola vous a esberlué vostre imagination, et
que présumez que les cœlicoles estoient ainsi
nommez, quia colerent cœlum, parce qu'ils ado-
roient le ciel; mais cela est mal entendre les escri-
tures, Seigneur Pastorelli, et virer la charrue
avant les bœufs. Car, quant mesmes vous ne
vous mesprendriez en la signification du nom de
cœlicole, si est ce que vous seriez à harauder de
ce que vous voulez que nos astrologues adorent
le ciel. N'estoit la compaignie et le respect que
je vous ay, si un autre me venoit viedaser le nez
de telles niaiseries, il n'y a point tant de cheveux
ET PREDICTIONS A ST ROLO G I CLU E S. 335
et poil sur le corps d'un sauvage tout velu que je
luy donneroie de milliers de démentis, potestate^
non actu, pour ne tomber en altère. Mais reve-
nons à nos moutons; vous confondez nos astro-
logues avec les cœlicoles. Lisez ladite loy Cœlico-
larum, distingue tempora^ et conciliabis scripturas.
En icelle vous trouverez que les empereurs Hono-
rius et Theodose remarquent expressément que
c'estoit une nouvelle secte qui s'estoit eslevée en
leur temps. Or on sçait que les prophètes, et
entre autres Sophonias, ont dés long temps
dressé leurs plaintes de ce qu'ils adoroient la
gendarmerie du ciel. Geste superstition n'estoit
pas donques nouvelle, mais très-ancienne, ou il
faudra que vous mainteniez que ces empereurs
ayent fait un pas de clerc. Le principal sera de le
vérifier. Mais voulez vous sçavoir qui estoient
ces vénérables cœlicoles? Rien autre que des
membres, branches et rejettons du Donatisme,
lesquels se qualifîoient cœlicoles, comme s'ils
eussent esté habitans du ciel, ainsi que vous
voyez que les regnicoles sont ceux qui habitent le
royaume, et les incoles les habitans. Or, que ces
cœlicoles ayent esté esclos par les Donatistes, je
n'en veus autre preuve que ce que nous lisons
que les Donatistes se donnoient le nom de Bien-
heureux (et où logez vous les bienheureux qu'au
ciel?), encores qu'ils rampassent en ce monde.
336 DES PROGNOSTICS
— Seigneur Pastorelli, je sçay bon gré au
S^" Alphonse d'avoir bon cœur, va dire messer Ga-
leas Gamarin; je crois qu'il ne se rendra qu'à fine
force. Advisez à bien ergotter : par le sang goy,
il est savant jusques aux dents, et est subtil en
diable, quod dicitur valde. Or ça, qu'on vous en-
tende un peu canonner contre les astres, sur tout
gardez la lune des loups : jusques icy, le seigneur
Alphonse a la meilleure cause de France ; que si
ne luy faites perdre terre, il vous en donnera du
long et du large.
— A bon chat bon rat, respondit le seigneur
Pastorelli; si faut-il que je vous en donne le
passe-temps. Que direz vous, Seigneur Alphonse,
à ce que, par l'authorité de la parole sacrée, il
nous est expressément interdit de fureter aux
cieux, sur tout de nous amuser à vos présages
astromaniques? Isaye le prophète, au chap. xlvij,
voicy comme il parle à la cité de Babylone, qui
avoit idolâtré après vos astrolatries : Maintenant
que les espieurs du ciel viennent en avant , et ceux
qui contemplent les estoiles, devinans selon les lunes,
et te sauvent des choses qui sont à advenir sur toy.
Voicy : ils sont faits comme Festeule, le feu les a
consumés. Et au chapitre xliv, en la personne de
Dieu le créateur : Je suis (dit-il) le Seigneur qui
fais toutes choses, qui ay espandu le ciel et affermy
la terre sans autruy, qui enfreins les signes ausquels
ET PREDICTIONS A ST R O LO G I C)_U E S. 337
s'arrestent les devins, et tourne les magiciens en fu-
reur, destournant les sages au rebours, et faisant
leur science estre folie. Le prophète Hieremie, au
lo chapitre, s'exprime assez ouvertement contre
vos prognostics, parlant à ceux de la maison
d'Israël : N'apprenez point (dit-il) les voyes des
Gentils, et ne craignez point les signes du ciel, ainsi
que les Gentils les craignent.
Sur ce passage, S. Hierosme remarque que le
prophète parle des peuples et personnes qui pen-
sent que le monde soit regy par les astres, et que
toutes choses terriennes ont leur naissance des
causes célestes, lesquelles toutesfois ne peuvent
faire ny bien ny mal. Et par les signes il n'entend
que le soleil, la lune et autres estoiles mises par
la puissance divine au ciel pour distinguer les
ans, mois, jours et saisons. Pourtant ne faut les
craindre, parce qu'en ces astres n'y a aucune di-
vinité : ces estoiles ne sont dieux, ainsi que les
Gentils ont estimé, ayans quelque pouvoir, ains
créatures de Dieu qui les a colloque au ciel pour
signes.
De mesmes les docteurs de l'Eglise ont fou-
droyé contre ce levain d'impiété, pour garentir
les compaignies chrestiennes du reproche et vice
d'Egypte : ainsi est qualifiée vostre cœlofolie au
canon sed et ïllud en la cause 2 3, question
deuxiesme. Sainct Augustin, au chap. 5 du 5 li-
4-"
338 DES PROGNOSTICS
vre de la Cité de Dieu n'y oublie aucune chose,
non plus que S. Ambroise en son Hexameron. Je
vous tiendroie trop long temps si je vouloie icy
reciter tout ce que ces personnages ont tressainc-
tement escrit touchant vostre astromanie : si faut
il que je vous cotte un passage de S. Basile, le-
quel à cors et à cry soustient que les astres ne
nous peuvent donner quelque force ou puissance,
tant pour la constitution de nostre estre et tem-
pérature, que pour reigler nos d^portemens et
actions; d'autant que si ainsi estoit, ce seroit à
dire que nous ferions Dieu autheur du péché,
parce qu'il nous y contraindroit, pousseroit et
forceroit par ses vertus célestes. Cela n'est ce
pas atheiser et se despouiller de l'habit chres-
tien? Pource, S. Paul se faschoit aux Galates de
ce qu'aucuns d'eux, s'adonnans à vos devinations,
contoient par forme d'importance les jours, les
temps et les mois : « J'ay crainte, dit il, que ce
que je vous ay enseigné ne face aucun fruict en
vous. )> Voulant par ce inférer que malaisément
la parole de Dieu peut avoir efficace en ceux qui
s'amusent à telles superstitieuses observations.
— Ceste charge. Seigneur Pastorelli, vous
semble bien roide, répliqua le seigneur Alphonse,
vous verrez que je la faulseray sans beaucoup
m'y eschaufîer : un seul petit mot vous couperoit
la broche à vos illations cornues, c'est que toutes
ET PREDICTIONS ASTROLOG I Q^U ES. SSç
VOS allégations ne tendent que contre ceux qui
veulent gentiliser et nécessiter les hommes selon
le règlement des astres. Vous sçavez, Seigneur
Nicolas mon amy, que telle opinion et absurdité
ne me vindrent onques en fantasie. Seulement je
soustiens (je crois que j'auray Origene de mon
party) que les astres nous sont signes, marques
et tesmoignages des choses passées et à venir :
voire que tout ne plus ne moins que dans un li-
vre qui auroit esté dressé des prophéties qui de-
vroient advenir, nous pourrions lire les choses
futures, ainsi dans les astres Dieu de son doigt
a engravé ce dont nous sommes menacez et qui
nous est promis. C'est comme un registre, cayer
et protocolle, où sont couchées les liberalitez et
tresjustes vengeances lesquelles Dieu doit des-
ployer sur nous. Si par nostre mescognoissance et
impieté nous nous rendons indignes de ses mu-
nificences, ou si par nostre repentance et aman-
dement nous prévenons l'ire divine, les astres
pour ce ne sont illusoires. Les astres sont lettres
hiéroglyphiques où sont caractérisées les pro-
messes et menaces célestes : pource dira on que
l'astrologie soit frustratoire, parce qu'à point
nommé et à tous coups l'effet et exécution ne
s'en ensuit, ou que nous attachions la toute-
puissance de l'Eternel aux estoiles? Ce seroit
avec autant d'apparence que si on disoit que le
340 DES PROGNOSTICS
papier du secrétaire d'Estat, qui contient les dons
d'un prince faits aux particuliers, porte exécution
parée alencontred'un prince. Il n'y a que sa libé-
ralité qui l'astraigne. L'ingratitude du donataire
peut faire retirer le don; mesmes le don pourra
estre tel, qu'il le faudra vérifier en la chambre
des comptes. Je ne veux donner des contreroleurs
à la volonté de Dieu; je sçay qu'elle porte son
exécution; mais puis qu'il luy plaist de nous gra-
tifier de tant, que nos deportemens, quoy qu'ils
ne vaillent rien, soient neantmoins comme cou-
chez et allouez, acceptilationis jure, pour jouir du
fruit de la munificence supernelle, pourquoy
n'aurons nous recours à ce riche et précieux
cayer? Pourquoy ne le fueilleterons nous pour
sçavoir si nous sommes couchez ou en Testât des
favoris, afin de nous insinuer de tant plus aux
bonnes grâces de nostre prince, ou, si nous som-
mes menacez de quelque malheur, pour tascher
de l'éviter?
Or encores qu'ainsi soit, si faut il que particu-
lièrement j'examine chascun de vos moyens, par
lesquels vous efforcez d'astromaniser l'astrologie.
Le texte cotté d'Isaie ne condamne pas l'astrolo-
gie, ains les abus qui s'y commettent. Croiriez
vous bien que je veuille partiser pour le mes-us?
Je ne veux point prendre la parole, soit pour
ceux qui, esclairez par quelque chetif et illegi-
ET PREDICTIONS ASTROLOGIQUES. 841
time gain, exaltent rastrologie reprouvée par
dessus le reste de toutes les sciences, soit pour la
témérité des autres, qui veulent garrotter la toute-
puissante main de l'Eternel aux liens et conjonc-
tions des astres. A ceux là, je suis l'un des pre-
miers qui m'employeroie de bien bon cœur pour
livrer la guerre. Je ne suis point si mal advisé,
par la grâce de Dieu. J'assujettis les astres au pre-
mier moteur de tout l'univers.
Il semble que vous nous vouliez gentiliser,
comme si nous adorions les estoiles. Vous sçavez
bien le contraire : nous avons l'ame caractérisée
du sceau de la chrestienté aussi bien que vous. Que
si nous observons le cours, la conjonction et les
significations des astres, ce n'est pas à dire que
nous adorions les créatures de celuy qui, estant
le Créateur de toutes choses, ne peut endurer
que nous transportions ou communiquions à au-
truy l'honneur d'adoration qu'il tient exclusive-
ment incommunicable à autre. Seriez vous bien là
logé que nous faire craindre les signes? Nous ne
sommes Gentils, Egyptiens ny Chaldeens; nous
sçavons tresbien que Dieu est tout-puissant pour
reboucher la force et exécution des signes; et
comment le pourrions nous mettre en ny? Cest
axiome est tout commun en la bouche d'un
chascun, que sapiens dominabitur astris.
Cy dessus nous avons remarqué que l'astrolo-
342 DES PROGNOSTICS
gie nous apportoit, entre autres comoditez, celle
cy : qu'estans advertis d'un inconvénient qui de-
voit donner sur nous, par nostre prévoyance
nous pouvons le rabattre. Mesmes je treuve que
le cardinal René de Birague, chancelier de
France, tenoit ceste maxime que, pour venir à
chef de quelque haute entreprise, il n'y avoit
que le prévoir qui mit un personnage en estime.
Le passage tiré de S. Basile a donné de la peine
à plusieurs, par faute d'avoir bien sceu distinguer
l'estre de l'homme, après qu'il a péché, d'avec
l'intégrité de sa nature incorrompue. Avant que
nos premiers pères eussent preste l'aureille à Sa-
than, il y avoit une sympathie et accord louable
de l'homme avec les elemens et les choses célestes ;
mais dés que l'infection du péché vint à tacher le
pauvre Adam, la terre refusa son devoir; les as-
tres se bandèrent contre celuy qui, criminel de
felonnie alencontre du Seigneur commun, les
armoit contre sa mescognoissance. Toutesfois,
comme Dieu est plus enclin à pitié et miséricorde
qu'à courroux, pour donner moyen de respirer à
son ingrat Adam, il voulut, par manière de dire,
imprimer au front de chasque astre une marque
du malheur qui estoit prêt de tomber sur les
humains, afin que, s'ils sont sages, ils y pren-
nent garde. Est-ce donc la raison de condamner
l'astrologie parce que les astris nous menacent
ET PREDICTIONS ASTROLOGIQUES. 843
du mauvais naturel qui doit prédominer sur
Néron, Caligule et autres monstres d'impiété?
Qui en eut esté adverty, pensez vous que l'em-
pire romain eut esté deshonoré par le gouverne-
ment de tels garnemens? L'illation est par trop
cornue (gardez qu'elle ne vous donne sur le nez,
peut estre elle vous pocheroit les deux yeux au
beurre noir) de dire que Dieu seroit cause de nos
maux. La solution dépend du thème de la prédes-
tination, dont je ne veux pas icy parler, parce que
la response est aisée, et qu'aussi je pourroie m'en-
gager en des incidens qui me feroient esgarer de
mon sujet, ou me feroient reputer pour autre que
je ne suis. Il y a plus, que c'est une matière théo-
logale à laquelle je m'en garderay bien de tou-
cher : je ne suis ny en Testât, ny en l'habit.
Mais je pense et repense à la force de vos argu-
mens; il semble que vous voudriez avec S. Basile
qu'on raclast toute notre céleste astrologie, parce
que les Gentils en ont mal usé. Là dessus je vous
respons que vostre conclusion n'est pas néces-
saire, quare? quia, pource que, d'autant que,
pourautant que nous ne la pervertissons à mal,
ains nous en sentons comme il appartient. Je
vous voudroie demander si quand vous avez esté
parmy la ville à pied, à cheval, sur mule, sur
mulet, sur asne, ou sur autre monture portative
(je dis cela à cause des chameaux et des croche-
344 ^^^ TROGNOSTICS
teurs, par lesquels vous pourriez vous estre fait
porter), aut aliter^ vous n'avez jamais apperceu
que, lors qu'on couvre une maison, on a accous-
tumé de tendre une perche au bout d'une corde,
cela, à vostre advis, n'est ce pas pour vous ad-
vertir, et tous les passans, de se donner garde?
Maintesfois cela m'a sauvé de recevoir maints
plâtras et plusieurs coups de tuiles. Vous ne direz
pas que, ou ceux qui mettent là cette perche
soient cause de la mort que recevra celuy sur qui
on jettera quelque mortier, ou que tous ceux qui
regardent ce signal, et à cause de luy, se retirent
gentiment, de peur de recevoir talemouse. Que
si quelcun estoit si estourdy que de se venir
donner par le nez de ceste perche, ou qu'il
oublia que ce signal le preservoit de quelque
mal, quant mesmes on le vous assommeroit de
pierres, laives et ardoises, seriez vous d'advis. Sei-
gneur Pastorelli, qu'on fît une ordonnance ou
statut par lequel on defendroit aux couvreurs de
plus mettre telles perches ? Vous retrancheriez
l'usage pour l'abus. Donques, tout ainsi que ce
signal vous advertit que si vous passez là dessous
où il est, vous serez en danger de recevoir quel-
que coup, aussi les astres nous monstrent et signi-
fient le péril eminent qui nous menace en leur con-
jonction ou autrement : à celle fin que nous nous
escartions des coups, et qu'avant de passer, tout
ET PREDICTIONS ASTR O LOGI dU ES. 845
ainsi que l'on crie au couvreur qu'il arreste de
peur de nous blesser (prenez cecy comparate, et
vous souvenez que toutes comparaisons clochent),
nous supplions le grand ouvrier du monde qu'il
luy plaise retenir le plâtras de son ire, au moins
qu'il ne nous en écrase nos testes.
— Par mon foye, Seigneur Alphonse, répliqua
messer Nicolas, cela est trop braver, je trouve de
vous ce que m'en a dit le S'' Galeas Gamarin :
si n'est-il pas question de demourer en si beau
chemin, on diroit, par man-dea, que je seroie
un fat, que je me lairroie tondre la laine sur le
dos, et que, par faute d'avoir bien débattu ma
cause, je l'auroie perdue. A ceste heure, je vous
veux battre de la contrariété qui est entre vos
astromanthes; mesmes ils ne se peuvent accorder
pour les principes et reigles qu'il convient suivre
pour deviner. Car les Chaldées, en la division du
Zodiac, y mettent non pas les douze signes
comme les autres, mais onze images de diverse
longueur et largeur, et si ne distribuent point les
planètes par mansions, mais regardent seulement
aux hauteurs. Les autres, combien qu'ils s'accor-
dent en la division des signes et degrez, toutes-
fois se contredisent au département des miansions,
de sorte que l'on est bien empesché de sçavoir
ausquels plustost croire. Ainsi, il advient que la
planète qui, selon les uns, est en la première man-
44
846 DES PROGNOSTICS
sion, est colloquée, selon les autres, en la seconde
ou douziesme; cela fait que les regards, domina-
tions et forces d'icelles sont grandement con-
traires, au moins la diversité y est du tout pal-
pable, parce qu'une, estant forte en la première
ou quatriesme ou au coin, n'aura aucune force ny
vigueur en la douziesme maison.
Et, à dire le vray, il est fort estrange qu'une
estoile estant en la quatriesme mansion sous la
terre, ait plus d'efficace et influence sur la créa-
ture venant au monde, que celle qui sera en l'on-
ziesme ou douziesme, en l'orizon, et dessus la
terre, lors d'icelle nativité. A ceste occasion, aucuns
ont esté contraints contredire à la commune opi-
nion, soustenans que les estoiles estansen l'orizon
et sur la terre lors de la nativité sont plus fortes
et de plus grande opération que celles qui lors
sont cachées et ne sont en évidence. Leur con-
trariété vient de là, quant à la force et vertu des
mansions. Ptolomee mesmes quelquesfois prépose
l'onziesme en force à la première, quelquesfois
est d'opinion diverse; d'avantage il donne la
vertu principale au milieu du ciel, Abrazar à
l'orient.
Quant à la distribution des regards et à la
nature des planètes, ils se contrarient aussi mer-
veilleusement; car Abarangel et Alcabite ont
estimé que la lune estoit froide; et toutesfois.
ET PREDICTIONS ASTROLO G I QJU ES. 847
Abrazaret Ptolomée Font réputée estre chaude.
Le pareil est de la bonté ou malice d'icelles, en
quoy ils ne s'accordent non plus qu'au reste. Ave-
nazra attribue les testicules (je suis contraint de
nommer ainsi ces deux petits tesmoins virils et
latiniser, de peur de faire venir l'eau à la bouche
à nos Damoiselles) à l'Archer; Abrazar au Scor-
pion. Quant au diaphragme qui sépare les mem-
bres spirituels des membres servans à la nourri-
ture, Alcabite le range sous la Pucelle; Porphire
sous le Lyon, auquel il resigne le ventre, encores
que les Arabes le mettent audessous de la Pu-
celle. Aucuns supposent les, genoux à l'Archer,
mais les Arabes et Latins le livrent au Chevreul.
Heliazar Hebrieu assigne à l'Ecrevisse les mains
et les pieds; les autres donnent les mains aux
Bessons, et les pieds aux Poissons. Aucuns font
présent des parties qui ne sont à nommer (parce
que nature les rend honteuses et ne veut qu'elles
soient esventées, surtout devant une aussi notable
compaignie qu'est ceste-cy) au Scorpion : les
autres veulent qu'elles soient sous l'Archer. Voila
de terribles confusions et incertitudes, desquelles
je ne fais que me jouer, et ne daigneroie m'en
estonner, puis que je sçay quêtant d'astrologues,
qui se meslent de juger, ne font que voltiger
parmy l'air et, se repaissans d'air, ne nous peu-
vent donner rien autre que du vent.
348 DES PROGNOSTICS
— J'ay, Seigneur Pastorelli, respondit le sei-
gneur Alphonse, double moyen en main pour
vous rabattre les doux de vos contrarietez. Le
premier est fondé sur ce que nos astrologues,
pour avoir eu diverses considérations, ont peu
aussi avoir diverses opinions et divers jugemens.
Si vous pensiez que toutes choses fussent en un
chosier, vous vous tromperiez bien. Je ne vous
veux donner qu'un exemple pour vous esclaircir
le poinct que je poursuis, mais ce sera sans sortir
de nostre carrière. Vous avez opposé Heliazar
Hebrieu contre les autres astrologues ; je veux
faire d'avantage ; je le vay faire contrarier à soy-
mesmes : vous avez dit qu'il assignoit les mains
et les pieds à l'Escrevisse; je trouve qu'il a attri-
bué à la Livre les grèves et les pieds, et si pour
cela n'a point laissé d'en faire part à l'Escrevisse.
Le voila, direz-vous, qu'il se dément et contredit
luy mesmes : mais escoutez la raison d'une telle
diversité. Il donne les pieds et grèves à l'Escre-
visse, parce qu'ils servent pour marcher, et à la
Livre, pourautant qu'en allant on les levé et
abbaisse, qui est une ressemblance qu'ils ont avec
la Balance ou la Livre.
Le second moyen est que la contrariété des as-
trologues ne peut faire tort à l'astrologie : c'est
une maladie de laquelle je treuve que tous les arts
et sciences ont receu coup. Me nierez vous que
ET PREDICTIONS A ST RO LOGI Q^U E S. ^49
la Théologie soit parsemée de lignes contraires
et diverses? Je ne parle point des hérétiques et
schismatiques, ils ne méritent point le nom de
théologiens. Ce ne sont point les Scholastiques
lesquels je pretens icy faire entrechoquer : les
partis de Paul et d'Apollon y sont trop manifestes.
Visitons ceux qui sunt in gradu positivo. Aucuns
d'eux ont tenu qu'il estoit loisible se meffaire.,
lors que la chasteté estoit en danger d'estre
volée: je m'en rapporte à ce qui est couché au
Can. non est nostram, 23. caus., quest. 5. S. Au-
gustin tient formellement le contraire en sa Cité
de Dieu, attendu que, s'il ne faut faire mal afin
qu'il advienne bien, can. quod ait, distinct, c. 4,
pourquoy se violentera on pour éviter l'effort?
En la physique combien trouvons-nous de
mesaccord entre les naturalistes? A tous bouts de
champs, ils sont aux cousteaux tirer pour les prin-
cipes, pour les causes, pour les éléments, pour
l'ame, pour le flux et reflux de la mer, et pour les
principaux points de la naturalité. La médecine et
jurisprudence sont embarrassées de tant de diffe-
rens, qu'avant qu'on ait bien entendu le secret et
le mot du guet de celuy sous l'enseigne duquel on
veut trotter, courir et s'achallander, on a la teste
negeuse. Pour toutes ces contrarietez, pour la
diversité des opinions^ pour l'incertitude des
sciences, je n'estime pas que vous soyez si teme-
35o
DES PROGNOSTICS
raire que de vouloir conclure au retranchement
des disciplines; autrement on diroit qu'Agrippa
vous auroit grippé par ses griffes, et par consé-
quent que ne vaudriez pas un parapharagaramus ;
mais ce que j'ay trouvé aujourd'huy, je ne dis,
rien.
— Vos syllogismes, Seigneur Alphonse, va dire
le seigneur Pastorelli, sont ils en harroco, bara-
liptum, non; je tiens qu'ils sont en celarent. On
voit bien qu'il y a de la fourbe que cachez au des-
sous du reply : si n'estes vous pas encores hors
de mes mains. Venez ça, que voulez vous dire
aux edits et ordonnances qui courent contre vos
gentils astrologues? Vous n'y trouverez pas que
la recherche soit ainsi rigoureuse contre ces parti-
sans adversaires qu'avez trouvé aux autres pro-
fessions : comment ont ils esté traitez par les Athé-
niens, par Agrippa, Tibère et Vitelle? Vous avez
un titre tout exprès, au neufiesme livre du Code,
destiné de guet à pend contre vostre astromanie :
vos devinations y sont défendues; les maistres
n'y sont point seulement punis, mais aussi les
apprentifs : quelle grâce pourrez vous espérer,
vous qui taschez de faire revivre parmy nous
la peste de nos consciences, ceste rage qui
tend à dethroner du siège le souverain? N'est ce
rien d'attacher aux estoiles ce qui appartient à
l'Eternel? de donner le gouvernement de l'uni-
ET PREDICTIONS ASTROLOGI CLU ES. 35l
vers à des créatures ? Je tiens tant de vous, que
vous ne nous rafraischirez la sotte et tres-imper-
tinente réponse de Lucius Bellancius, lequel, se
voyant pris aux filez par ces ordonnances et que
sans doute l'astromanie alloit faire le soubre-
saut, s'est avancé de dire que les empereurs au-
theurs de ces saintes loix ne sçavoient ce qu'ils
faisoient. Vous sçavez que c'est crime de sacri-
lège et impieté. Et n'en seriez sauvé pour faire
comme le seigneur Gaulard, lequel eut un jour
un procez contre un marchand qui avoit haussé le
gantelet et allongé les SS de son livre de Raison.
Quand il vid que l'advocat de son marchand disoit
que les livres de raison dévoient faire foy, allé-
guant à ce propos Barthole et Jason, in l. admo-
nendi, ff, de jureju.; Guido Pape, quœst. 441, il
n'eut pas la patience que son advocat respondit à
cela, mais luy mesmes dit : « Monsieur le juge,
croyez que Barthole, Jason et Guido Pape sont
de faux tesmoins, s'ils en ont déposé ; car je suis
asseuré qu'ils n'y estoient pas, et s'ils y eussent
esté, ils ne diroient pas que j'en eusse pris d'avan-
tage que j'ay confessé. »
— Je n'en viendray pas là. Seigneur Pastorelli,
respondit le seigneur Alphonse, n'en ayez pas
peur. Je ne suis que fasché de ce que vous dites
que nostre astrologie tend à démettre Dieu de
son throne : onques telle impieté ne me vint en
352 DES PROGNOSTICS
la cervelle; mais je pense faire d'autant plus hon-
neur à Dieu que je monstre que ses créatures sont
excellentes. Ah! que vous estes abusé de penser
que la recerche des Astres et de leur vertu
secrettedeminue quelque chose de la grandeur et
puissance de Dieu. Sa majesté en est beaucoup
plus illustre et plus belle de faire si grandes
choses par ses créatures, que s'il les faisoit par
soy mesme, et sans aucun moyen. Encores qu'un
roy soit seigneur souverain, direz vous que sa
puissance est retranchée, parce qu'il remet le gou-
vernement de son Estât entre les mains de quel-
ques siens sujets et serviteurs, en la preudhom-
mie, suffisance et intégrité desquels il luy plaira
se fier? La comparaison chancelle, je le confesse,
si est ce qu'estant prise m terminis h abilibus^ elle
pourra estre appropriée à nostre propos.
La sévérité des peines qu'avez ramenteu ne
nous esbranle aucunement, parce qu'encores
qu'ainsi soit, nostre astrologie ne laisse de
florir es cours des plus grands princes chrestiens
de la terre. En France, Alemaigne et Italie, nos
prédictions ne sont rejettées. Ce n'est contre
nostre astrologie qu'on les a proposé, ains contre
celle qui est reprouvée: nous ne sommes point
Chaldées.
Nostre profession apprend les vertus des
estoiles ainsi qu'elles sont cogneues par une con-
ET PREDICTIONS ASTROLOGIQUES. 353
tinuelle expérience, leurs qualitez, reglemens,
inclinations et dispositions sur les elemens et
corps humains, qui prennent leur source de la
lumière et du mouvement des estoiles: à ces qua-
litez, reiglemens et inclinations, se rapportent
aussi leurs actions, si elles ne sont empeschées
par le doigt de Dieu ou par autres causes.
Vous trouvez que le bon homme de Bellancius
a fait tort aux empereurs; je ne veux pas icy
entrer en conteste pour le purger de crime ; si est
ce qu'il avoit quelque raison de leur reprocher
leur ignorance et tenir peu de compte de leurs
ordonnances. Il voyoit que ceux mesmes qui
avoient si fort maltraité nos astrologues, ont per-
mis de se servir de mauvais et illégitimes moyens
pour garder les fruits de la terre qu'ils ne fussent
greslez, gastez et oragez. Cela n'est ce pas paga-
niser.? Et cependant l'ordonnance y est expresse
en la loy : Eorum 4 c. de maleflc'ds, mathematicis
et cseteris similibus. Si en ce chef des empereurs
ont esté deceus, pourquoy ne dirons nous qu'en
d'autres ils auront eu la berlue ?
— Messer Nicolas, je m'estonne bien fort, va
dire le seigneur Panthaleon, de ce qu'avez pris si
grand peine pour canonner contre les astres; mon
amy, il ne falloit que prendre le cartel aux judi-
ciaires et astrologues, composé par un nommé
Jaques Moland, soy disant docteur es droicts et
354 ^^^ PROGNOSTICS
advocat au bailliage de Masconnois. Je despite
Mahom si, sans vous peiner, vous n'eussiez inca-
gué toute la manthique compagnie des astrolo-
gues encuirassez, encavalez, encoutelacez,embou-
belinez, entintimbraillez, etc.
— Soit, Seigneur Panthaleon, respond messer
Nicolas, si vous voulez, j'en suis contant : nous
l'emploierons pour renfort et refrein de la balade.
Tenez, Seigneur Alphonse, lisez icy le procès
fait et parfait à vos Astromanthes, et, si me croyez,
ne nous venez plus matagraboliser voscabaliques
et ouranographiques Anestiolalies. Je suis fasché
que plus tost il n'est tombé en mes mains: j'en
eusse donné du plaisir à la compaignie. Emparal-
lellez vos thalmuthisteries demonanthropiques
aux Elenchaires de cest héroïque astromiriarche.
— En si peu de temps. Seigneur Pastorelli, va
dire le seigneur Alphonse, vous voila, ce crois
je, molanisé. Si vous vous laissez mouler guère
long temps au moule de Moland, nous ne chom-
merons pas gueres de farine, moyennant que les
asnes, mulets, jumens, basteaux, les vents et l'eau
V ne nous manquent. O les belles meules molen-
dinées par Moland pour mouldre in molendino,
galL au moulin. Je ne sçay qui est ce docteur es
Courbes, c'est, par ma conscience! un des gros
sots de sa parroisse. J'ay desja jette l'œil sur
ces niaiseries; si me croyez, n'y jettez la veue
ET PREDICTIONS ASTROLOGIQJUES. 355
qu'une fois le mois; il vous pourra servir de pro-
vocatif à égosiller et rendre gorge; il faudroit
aussi bien que vous vous enjYrass'iez^ jaxta illud:
Bonum est in mense semel inebriari. Je pense avoir
leu autant qu'homme de mon temps, mais onques
livre ne tomba entre mes mains si gofîe et ridi-
cule que cet inepte cartel. Vous y avez le langage
le plus fat et le plus bigerre que Cerberus chia de
sa vie. Molandmesmes l'a bien recogneu : car, sur
la fin de son cartel, il nous a donné un vocabu-
laire pour nous expliquer quelques mots obscurs.
Il devoit commencer dés la première ligne jus-
ques à la dernière, finissant ainsi soit il dresser un
commentaire de ses mots saugreneux, de ses syno-
nimes cornus et de ses sentences, s'entretenans
comme crotte de chèvre. Le pauvre homme eut
beaucoup mieux fait de s'entretenir en sa pré-
bende monachale à l'instruction des novices de
S. Hugues; il n'eut perdu sa terre et seigneurie
de la Cra (vray repaire des philosophes et hu-
meurs phantasques); il n'eut esté en mauvais
mesnage avec un qui est maintenant juge royal;
finalement, il ne se fust exposé en risée à tout le
monde. Je ne regrette que la louange que quatre
ou cinq braves champions des muses luy ont
donné, ils l'ont fait ad cautelam, c'estoit ou pour
s'entretenir de luy, depeur qu'il ne se mit à mes-
parler d'eux, ou pour manifester la goffe lour-
356 DES PROGNOSTICS
derie de la meule molandine, opposée à la subtile
et diserte faconde de ces enfançons d'Helicon.
— Tousjours vous trouvez à redire, Seigneur
Alphonse, répliqua le seigneur Pastorelli, à ce
que je vous mets en avant : si faut il que vous
veniez au point et me quittiez ces devinations ;
autrement il vous en prendra mal. Zoroastre fut
jadis estimé l'un des plus sçavans astrologues de
son temps, et pource il devoit cognoistre et pré-
voir pour s'en garder, les inconveniens qui luy
pourroient advenir, et toutesfois, il fut vaincu en
guerre et occis par Ninus, roy des Assyriens.
Pompée se servoit de toutes sortes de devins et
leur ajoustoit grand'foy : au contraire, Caesar
n'en faisoit aucun compte. En fin toutesfois.
Pompée fut deffait par Caesar. L'empereur Justi-
nien, ennemy de vostre astromanie, comme il ap-
pert par ses ordonnances, n'a pas laissé d'estre
victorieux et faire plusieurs belles conquestes. Au
contraire, Julien l'Apostat, tres-curieux de toutes
superstitions et devinations, perdit misérablement
et vie et empire. Ayez donc recours à vos astro-
logues.
— C'est bien dit, Seigneur Pastorelli, respond
le seigneur Alphonse; la faute vient peut estre de
ce qu'ils n'ont esté bien advisez en leurs affaires,
et n'ont bien pris les conseils des astrologues.
Voire mesmes quant les prédictions n'auroient
ET PREDICTIONS ASTROLOGIQUES. BSy
tousjours bien réussi, ce ne seroit à dire qu'on
deut condamner l'astrologie ; autrement faudroit
fouler aux pieds la médecine, parce que le malade,
quoyque bien pensé, ne relevé tousjours du lit,
ou le recours qu'on a au Tout-Puissant, parce
que nos requestes ne sont tousjours exaucées.
Mais qu'est ce que vous voulez dire de Zo~
roastre ? Par sainte Maraude, je crois que vous
estes forgé au coin de l'empereur Domitien, qui
se pensoit si habile homme qu'encores que sa'
inevitahile fatum , ce neantmoins, il voulut le
rendre menteur pour l'effect en la personne d'As-
cletarion, lequel fut accusé parce qu'il avoit pré-
dit la mort de cest empereur. Interrogué si cela
estoit vray, ne voulut le mettre en ny. « Et bien,
dit Domitien, qu'est ce que tu nous diras de la
tienne ? )) Il respondit que les chiens le deschire-
roient bien tost. « Je te tromperay, » dit Domi-
tien, et sur le champ le fit tuer, puis entcmber en
une fosse fort creuse, laquelle il fit couvrir de beau-
coup de terre. Par ce moyen cest empereur esti-
moit que la prédiction d'Ascletarion seroit faulsée,
et on trouva le contraire, car il pleut si fort que le
corps de cest astrologue prit aucunement air : les
chiens l'ayans esventé, ne cessèrent jusques à ce
qu'ils l'eurent déterré. Ce que Domitien ayant
apperceu, fut persécuté d'une estrange appréhen-
sion qu'il eut que le présage d'Ascletarion s'effec-
358 DES PROGNOSTICS
tua sur son corps. Voila ce que nous en tesmoigne
Fulgose, au 8 livre, ch. ii. D'autres toutesfois
aiment mieux croire que Domitien le fît brusler
tout vif, pour prévenir la dentée des chiens, mais
que, lors que ce supplice s'executoit, survint une
grande ondée depluye,que le feu fut amortyet de-
meura le corps d'Ascletarion à demy rosty, sur le-
quel les chiens se ruèrent, en guise de carbonnades.
Escoutez, vous qui rabaissez si fort nostre as-
trologie, ce que Yalere le Grand nous apprend
au huitiesme livre, chapitre onziesme, touchant
Sulpice Gaulois, et Periclés. Là vous verrez que
Sulpice, estant lieutenant de L. Paul en la guerre
contre le roy persan et la nuyt devant que la
bataille se deut donner, lors que le temps estoyt
tout coy et serain, mesmes la lune luisoit, toutes-
fois, soudain se va éclipser : ce qui espouvanta
grandement toute l'armée romaine, comme si
c'eut esté quelque signe monstrueux ou mauvais
présage, de sorte qu'elle perdit cœur et désir de
guerroier contre ses ennemis, qui avoient la vic-
toire en main sans coup fraper, si Sulpice, leur
discourant de la forme du ciel et nature des astres,
ne leur eut prouvé que naturellement se faisoit
Teclipse, tant du soleil que de la lune, et par ce
moyen remis le cœur au ventre des Romains.
Cette histoire me fait souvenir d'une autre, la-
quelle est recitée par ceux qui nous ont descrit
ET PREDICTIONS ASTROLOGI QJU ES. BSç
les descouvertes faites par les Espaignols aux
Indes, laquelle je suis bien content d'adjouster,
pour de tant plus justifier que l'astrologie est
tres-necessaire. Vous entendrez donc que Cris-
tophle Colomb, capitaine génois, se trouva si à
Testroit parmy ces Indiens, que les vivres lui de-
failloient, et si luy estoit impossible d'en recou-
vrer par eschange, ny prières ou amitié, non plus
que par force. Comme nécessité ouvre la porte a
toutes inventions, Colomb, lequel avoit preveu
que bien tost il y auroit éclipse, mande quérir
quelques uns du village voisin, ausquels il donna à
entendre, s'ils ne luy fournissoient dequoy vivre ,
qu'en bref Dieu envoieroit un tel fléau du ciel
qu'ils mourroient tous de maie mort : en tesmoi-
gnage de ce, qu'ils s'asseurassent de voir la lune
toute pleine de sang, s'ils y vouloient prendre
garde. Quand ces pauvres pécores virent la lune
ensanglantée par l'eclipse, ainsi qu'avoit prognos-
tiqué cest admirai, luy allèrent quérir des vivres et
luy en fournirent autant comme il en eut besoin
tout le temps qu'il demeura en ce quartier là,
avec treshumble requeste au bout de leur vouloir
pardonner et n'estre plus courroucé contre eux.
Maintenant je vous demande si l'astrologie ne
nous est pas fort nécessaire, quand ce ne seroit
que pour empescher qu'on nous deniaisast.
Je reviens à l'Athénien Periclés, lequel remit
36o DES PROGNOSTICS
en vie ses concitoyens par la cognoissance qu'il
eut de l'astrologie. De fait, comme les Athéniens
fussent en grand esmoy, pensans que la mort leur
fut signifiée du ciel, voyans que le soleil avoit si
soudain perdu sa lumière, ce qui ne leur estoit
accoustumé, Pericles adonc se va jetter parmy
eux et leur déclara ce qu'il avoit appris de son
maistre Anaxagoras touchant le cours du soleil et
de la lune ; si bien les prescha qu'il leur fit cra-
cher toute la crainte qui leur frissonnoit leur ame.
— Seigneur Pastorelli, j'ay esté autresfois sur
les termes, va dire le seigneur Gamarin, de me
bander ainsi que vous faites contre l'astrologie,
mais le seigneur du Plantain nous paye de si belles
et pregnantes raisons, que je suis contraint baisser
les aisles et faire la poule. Quand tout est dit, je
treuve que les astrologues prédisent des choses
qui adviennent infailliblement , dont je veux
vous donner icy des exemples, à celle fin que vous
cognoissiez que c'est à tresjuste occasion que je
tiens le party en partie des partisans de l'astrolo-
gie. Dion, en la vie d'Auguste, et Fulgose, livre
huitiesme, chapitre onziesme, remarquent que
Tibère fut dechassé par son beaupere Auguste et
relégué à. Rhodes, où sa vie estoit fort hazardée.
Thrasylle, le vo3^ant jouer au desespoir, voulut le
consoler et l'asseurer que les affaires pourroient
se bien porter. Mais le pauvre Tibère estoit si
ET PREDICTIONS ASTROLOGIQUES. 36l
bien surpris, qu'il commanda qu'on jettast dans la
mer son précepteur Thrasylle, pource qu'il avoit
envie de l'amuser par ses balivernes. Thrasylle ne
le voulut abandonner, ains, regardant attentive-
ment du costé de la mer, descouvrit un vaisseau
qui venoit vers Rhodes, lequel il présagea appor-
ter bonnes et heureuses nouvelles à son disciple,
lequel ne laissoit à faire du renchery pour le
croire. Toutesfois, après que le navire eut pris
port, il trouva que la prédiction de Thrasylle es-
toit véritable, car il receut lettres de l'empereur
et de sa femme Livia,qui le rappelloient à Rome.
Une autrefois, Tibère, pendant son exil de
Rhodes, délibéra de faire jetter du haut d'une mu-
raille cet astrologue, de dépit qu'il avoit qu'il
estoit celuy qui seul descouvroit ses secrets. A
peine en eut il fait le dessein, qu'il apperceut que
Thrasylle estoit chagrin et melancholique. Enquis
pourquoy, respondit qu'il soupçonnoit qu'on luy
devoit jouer un meschant et lasche tour. Ce qui
fut cause que Tibère ne voulut passer outre.
Cuspinian, en ses Caesars, raconte d'un astro-
logue de la cour de l'empereur Frideric, deu-
xiesme du nom, qu'il faisoit tout plein d'honneur
à Rodolphe, compte de Harspurg, et, quoy
qu'il ne fut des plus avancez en dignitez et
moyens, si luy portoit il plus de respect qu'à au-
cun des autres. L'empereur voulut un jour en sça-
46
362 DES PROGNOSTICS
voir la raison de luy, laquelle il luy dit estre,
parce qu'il voyoit bien qu'au defîaut de la lignée
de Frideric, Rodolphe seroit guindé à l'empire,
et, de bas qu'il estoit, serait eslevé pardessus tous
les autres. Le présage fut effectué, car l'an 1278,
le premier jour d'octobre, lors que Rodolphe te-
noit le siège devant Basle, les princes d'Ale-
maigne l'esleverent à Franc-fort roy des Romains.
— Vous en estes donc là logé. Seigneur Gama-
rin, répliqua le seigneur Pastorelli, que vous voila
gentiment ennassé en la fondrière du seigneur
Alphonse. Je suis d'advis que vous vous décla-
riez ouvertement. Hé! que vous estes aisé à gai-
gner. Pensez vous que je face conte, mise, ny
recepte de tout ce que vous me venez de reciter,
ou que pource je daigne attacher quelque néces-
sité aux prédictions astrologiques? Pour vous
monstrer l'honnesteté qui est en moy, par la-
quelle j'ay envie traiter avec vous , je veux
qu'en vos comptes ces routes vous soient tirez
hors ligne, et de grâce passez et advouez : de là
vous ne pourrez pas tirer vostre illation pour
l'astrologie ; soit que Thrasylle ait preveu beau-
coup de choses, ou que l'Allemand ait véritable-
ment prédit la dignité impériale qui branloit sur
l'empereur Rodolphe, quid inde? Je vous nie que
ce soit l'astrologie qu'ils ont pris pour guide.
Comme ils estoient mondains et sages politics.
ET PREDICTIONS ASTROLOGIQUES. 36!^
ils ont peu juger de Tadvenir ainsi qu'ils ont fait.
Voulez vous que je vous die à qui vous semblez ?
A ceux qui, dés qu'ils voyent un personnage le-
quel fait bien ses affaires, luy jettent aussi tost le
chat aux jambes de sorcelerie, ou qu'il est poussé
et duit par l'art diabolique : voire mesmes, quand
je vous passeroie qu'en qualité d'astrologues ils
aient peu prédire, cela ne feroit pas pour la né-
cessité devostre conclusion. Le menteur ne peut
qu'entre un millier de menteries, il ne s'eschappe
de dire quelque fois la vérité.
Mais afin que je vous touche droit à la gan-
grené de vostre astrologie, je vous vay monstrer
que, quand on vous passeroit la possibilité des
prédictions astrologiques, soit par les influences,
soit par les significations (que non toutesfois), si
est ce que vos prognostiqueurs donneroient du
nés en terre. Or voicy le moyen que j'ay : c'est
que la cognoissance que nous avons des choses
vient de l'observation que nous en avons fait, non
point tant en gênerai que sur tout en particulier.
Donques, pour sçavoir en gênerai si Saturne et
Mars, estans avec Jupiter et Venus, se trouvant
en la cinquiesme maison qui est maison de mal-
heur, causeront tousjours en celuy qui naistra en
un tel poinct et sous le mesmes horoscope, em-
peschement aux mains et aux pieds, il est besoin
qu'un tel effect ait premièrement et plusieurs fois
364 DES PROGNOSTICS
esté sceu par le sens, afin que par les expériences
et puis par la mémoire on vienne à la cognois-
sance de cest effect. On sçait que l'aage d'un
homme, à peine de quinze Nestors, suffiroit pour
voir une seule fois un semblable aspect.
— Approchez vous de la fraischeurCastalique,
Seigneur Pastorelli, va dire le seigneur Gamarin ;
vous vous eschaufferez : ah ! vous touchez sur la
grosse corste, cela est coup de maistre. Voicy
charge de second : c'est que les sciences n'ont pas
esté basties d'un seul jour, non plus que le temple
de S. Pierre de Rome : chascun y a apporté ce
qu'il a peu. En l'astrologie, je recognoistray que
la perfection n'y a pas esté apportée la première
année ; mais la continuité du temps a fait meurir
les choses. Ainsi les astrologues qui nous ont de-
vancé ont laissé par escrit les effets qu'ils ont
veu, afin que ceux qui dévoient venir après eux,
tenans tels effets pour véritables, les accompai-
gnassent d'autres semblables qu'ils auroient veu
eux mesmes. Par ceste suite d'observations conti-
nuelles a esté esclose, formée et parachevée l'as-
trologie.
— Vous avez bien de la peine à couvrir les
imperfections de vostre astromanie , Seigneur
Gamarin , respond le seigneur Pastorelli. Ça
qu'on vous passe, par manière d'acquit, ce que
venez de mettre en fait : quoy qu'on sçache que
ET PREDICTIONS ASTRO LOGI Q^U E S. 365
les observations sont fort diversifiées pour la di-
versité d'observateurs divers. Pour vous traiter
plus que par raison, on vous pose le cas que telle
succession peut estre sans erreur ; mais s'il faut
venir au point, au calcul et au compte, vous voila
fauché. Du plus loin que vous pourrez prendre le
commancement de l'astrologie^ c'est trois ou
quatre mil ans : je dis que telle espace de temps
ne suffit pour donner cognoissance de plusieurs
conclusions générales que les astrologues mettent
pour véritables, pourautant qu'elles ont besoin
de sens en maints effets, car non pas en quatre
mil ans mais encor' en trente, voire quarante mil,
cela n'advient une seule fois, parce que trente six
mil ans et (selon plusieurs) quarante neuf mil
s'escoulent devant qu'une mesme constellation
de tous les corps célestes lumineux apparoisse de-
rechef. Voila pourquoy les astrologues parlent de
plusieurs constellations et aspects qui, e.n quatre,
six, huit et dix mil ans, adviennent une seule
fois, de manière qu'il est force de dire que, pour
n'avoir peu précéder la cognoissance sensitive en
tels effets qui naissent d'icelle, ils ne peuvent pa-
reillement en avoir la cognoissance intellective.
Adjoustez à tout cecy l'imperfection des instru-
mens sur lesquels est fondé le commancement de
l'astrologie judiciaire, ainsi que Ptolomée le nous
apprend : estant malaisé que tels instrumens ne
366
DES PROGNOSTICS, ETC.
soient imparfaits en quelque chose ; si que de la
moindre faute qu'on trouve en eux s'en ensuit
une très-grande en la cognoissance du cours du
ciel, sans que les diverses diaphanitez et transpa-
rences de divers moyens qui sont entremy nostre
veue et les corps célestes puissent, par la fraction
des rayons visifs de nostre veuë, se tromper et
décevoir grandement. »
I
APRESDISNÉE IX
DES LUNATIQUES
peine fut hier appaisée la dispute des
astrologues, que la lune commença à
rentrer en son quartier, et à qui char-
geroit des lunettes pour lunetter les
lunes de nos lunatiques. Le S^ Theophanes, afin
de couvrir l'indiscrétion de Tun de la compaignie
qui avoit trop mal à propos fait voye à la lune,
pressa si fort le S^ Bertachin qu'il fut contraint
se tenir coiffé d'une belle lune tout le long de
l'apresdinée. Deslors, il commença à charger le
casquet à la Mahemetane et de se déclarer pro-
tecteur plus que jamais de la lune alencontre des
loups. En fin finale, la compaignie, d'un commun
advis, trouva bon que l'on passast l'apresdisnée
après les lunatiques. Le S^ Bertachin en faisoit
368 DES LUNATIQUES.
en partie du scrupule, crainte de moquerie, de la-
quelle il prevoyoit bien qu'il ne se pouvoit
secouer, parce que, sur le myjour, la lune n'a
accoustumédefestoier nostre hémisphère: toutes-
fois, par honte ou autrement, quoy que despit,
il fallut qu'il mit en jeu sa lune, de laquelle il eut
bien voulu pour grande chose n'estre saisi. La
plainte fut formée par le S^ Bertachin, en la pré-
sence de toute l'Académie, tout de mesmes que
si on eut esté en un aréopage ou un parquet.
Celuy qui estoit chargé d'avoir luné le complai-
gnant, pour ceste apresdisnée ne comparut, ains
pour parlier, il eut le S^ Theophanes qui se leva en
point et, après avoir fait les honneurs, révérences
et bonnetades en tel cas requises et nécessaires,
plaida fort doctement pour la descharge de son
amy absent, requit bien humblement l'Académie
qu'il luy pleut absoudre le defîendeur des fins et
conclusions en cas d'injure, convices etcontumelies
prises par le demandeur. L'assistance fit retirer en
un recoin, tant le S^ Theophanes que Bertachin,
pour délibérer sur ce qui seroit à faire. En fin,
après que le tour des opinions fut fait, on trouva
bon que le S^ Bertachin se departiroit de sa pour-
suite criminelle en action d'injures, et que, pour
le contanter, la matière seroit mise sur le bureau,
à ce que le S*" Theophanes justifia ce que il avoit
mis en avant: asçavoirque le S^ Bertachin n'avoit
1
I
DES LUNATIQUES. SÔç
occasion de se topiquer de la façon, puis que le
mot lasché par l'absent n'emportoit injure : et au
cas que les preuves du S^Theophanes ne seroient
trouvées pertinentes, que l'absent seroit rappelle
pour se dédire de la contumelie mal à propos
prononcée contre le S'' Bertachin et faire toute
telle réparation que de raison.
Cette détermination académique, estant venue
aux oreilles du S^ Theophanes, luy fit faire une
capreole en l'air la mieux entrecoupée que je vis
onques. Après avoir un peu repris ses esprits et
mis sa joye à recoy, il remercia bien humblement
la compaignie de la courtoisie dont elle le grati-
fioit, loua leur délibération, et à belles pierres
(comme l'on dit) commença la deffense de son
amy absent.
— Seigneur Bertachin, va il dire, j'ay mainte-
nant à plaider avec vous devant ceste honneste
compaignie : du fait, nous en demeurons d'accord.
Je sçay que le S^ Camille (ainsi avoit nom partie
adverse) vous a dit que vous estes un lunatique :
je ne veux point fonder son innocence sur ce que
vous pourriez luy avoir donné occasion de vous
tenir tel langage, mais, sur mon honneur (c'est
beaucoup), je soustiens que vous ne devez estre
intéressé de ce petit mot. Or, voicy mes moyens :
Le premier est qu'il ne vous a appelle que ce que
vous estes. Vous estes lunatique, il vous a appelle
47
3/0 DES LUNATIQUES.
lunatique; vous a il fait tort? Le second qu'il
vous a fait un grand honneur de vous enrooler et
coucher en Testât des serviteurs de la plus grande
princesse de l'univers.
— Ce n'est pas, Seigneur Theophanes, res-
pondit le S^ Bertachin, le tout que de dire, il le
faut vérifier. Vous dites que je suis lunatique, je
dis que non; au contraire, je maintiens que tous
ceux qui voudront soustenir cette injure contre
moy en ont menti [con vostra reverenzà), Mes-
sieurs, que ce sont poltrons, bisongnes et vie-
dases. S'ils se sentent piquez de cecy, je leur en
feray la raison toutes et quantesfois qu'ils vou-
dront. Et quant à l'honneur que vous voulez
m'estre fait, je vous prie croire que j'ay le cœur
trop bon pour me laisser beffler et nazarder de la
façon; je suis un masle : ergo non lunaticus, sed
solaris. Vous pensez que je soie ladre et que je
sente pas quant on me pique. Si on avoit envie
de me porter l'honneur et le respect que vous
preschez, il falloit me ranger au soleil. Suis-je
hermaphrodite, tiens je de la lune et du soleil?
Par le droit, vous sçavez que le changement du
nom est punissable, et que sexum mentirinon licet.
Qui vous lairroit faire, vous m'en presteriez de
belles, avec messer Camille, auquel je mande
qu'il est un forfant, un becco cornuto et un sot, en
contreschange de son lunatique de merde. Qu'à
DES LUNATIQUES. Sjl
tous les diantres soit le coyon : que le feu S.
Antoine luy ensoulphre son hernie ; le mau de
terre le vire; le mau fin feu de ricque racque,
aussi menu que poil de vache renforcé de vif-ar-
gent, luy puisse entrer au fondement.
— Si vous ne vous commandez autrement, Sei-
gneur Bertachin, répliqua le seigneur Theo-
phanes, vous ferez un mal et un bien. Pour moy,
le mal sera que vous me mettrez en peine de vous
faire tenir à quatre, ad exemplar de ces sires qui,
quoy qu'ils craignent d'en taster, se font accoster
tout exprès par compères, commères et frares
Piarres. Vous menacez le seigneur Camille : il est
bien homme pour vous ; il en sçait à vous et à vos
grands chevaux. Le bien que vous me ferez sera
que me relèverez de la peine que j'auroie après
ma preuve. Avisez à vous. Il y a plus, que vous
vous mettrez en danger de recevoir cargue, par
qui? par ego. Vous me faites voye à la récrimi-
nation. Si je vous monte sur le collet, par mon
espée vierge, vous me monterez autant qu'un
estron dans vostre gorge, ou qu'un grain de
millet en la gueulé d'un asne, ou que les Pygmées
contre Hercules. Si vous faites du fol, jamais
le messier ne fut si tost troussé et conduit par
les escoliers au glorieux S. Mathurin, que je
vous feray enlever, pour vous y faire graisser
les espaules durant vostre neuvaine lunatique.
^J2
DES LUNATIQUES.
Cela soit dit afin de vous abbattre un peu vostre
eau.
Maintenant, je vay vous justifier tout ce que je
vous ay proposé, puis je resoudray les difficultez
que vous faites. Je vous ay dit que vous estes lu-
natique, vous le niez. Au contraire, je soustiens
que c'est une qualité qui vous est propre propriis-
sime et in quarto modo. Ou vous estes homme, ou
vous ne Testes pas. A vous voir, je vois bien que
vostre teste n'est pas cuite et que n'estes une pierre.
Vous estes animal, ergo gluc, c'est à dire, ou
homme ou beste. Qui que vous soyez des deux,
la lune ne laisse de loger en vostre cartier. A vos-
tre face, je vois bien que vous estes homme; si
estes homme, vous estes lunatique : ergo j'ay bien
dit que vous estiez lunatique.
Un homme lunatique, c'est un auquel la lune
commande, prlmarie aut secundariè, soit par un
moyen qui soit proche, soit par un autre qui soit
esloigné : vous sçavez que la lune n'abandonne
point cest univers; ses maisons ne sont illusoires
et ineffectueuses. L'expérience nous apprend que
la lune anime nostre vitalité ;*je m'en rapporte
aux os qui sont plus pleins en pleine lune que lors
qu'elle est en son decours. L'esclanche d'hier au
soir nous le monstra. En un mot, je sçay que vous
partisez pour l'influence céleste. Vous estes au
bas univers : ergo regy par la lune. Donnez une
DES LUNATIQUES. SjS
exception pour vous en sauver, et je restraindray
ma généralité.
Nous ne sommes pas prés d'en venir là, car si
jamais homme a esté lunatique, vous Testes. Mes-
mes si on dressoit confrairie des lunatiques, par
prérogative spéciale, vous devriez en estre le mais-
tre et faire la loy et portion congrue aux autres,
lesquels ne sont pas, je le sens bien, si desgoutez
que vous : car, s'ils sçavoient le langage que je
tiens de vostre seigneurie, je m'asseure qu'aussi
tostils me feroient appeller en cas de trouble et de
nouvelleté. Pour prévenir leur crierie, je m'en vay
icy vistement proposer six articles sur lesquels
vous pourrez fonder et appuier vostre préémi-
nence lunatisée alencontre des lunatiques.
Au premier, je remonstre que vous estes amou-
reux, et tellement animé de cest humeur amoureux,
que, tout vieillard que vous estes, ne pouvez vous
tenir que ne juchiez sur quelques jeunes et affri-
quées amourettes. Or, que l'amour soit vassal de
la lune, cela est plus clair que le jour: les che-
vauchées ne se font principalement que lors que
la lune a fait faire retraite à son Phœbus. Les lar-
cins d'amour doivent estre lunez, hoc est cachez.
De sorte qu'estant amoureux, vous estes sous-
vassal de la lune. Si le seigneur dominant com-
mande à son vassal, doutez vous si le sujet du
vassal ne doit pas honneur, devoir et obéissance
374 I^ES LUNATIQUES.
au seigneur du fief dominant ? Ce qui vous rend
d'avantage lunatique en ceste qualité amoureuse,
est que vous estes esclave des femmes, qui par
vostre propre confession sont lunatiques, et
quand voudriez le nier, Plutarquelevous appren-
droit, elles mesmes le vous feroient descouvrir, si
elles vouloient vous faire voir les attiquettes em-
pourprées qui leur sont imprimées à leur porte
lunatique chasque mois. Et ainsi vous estes es-
clave des sous-vassalles de la lune : partant luna-
tique. De gré, vous vous fourrez à la besoigne
de la lune : sans y estre semons et appelle, vous
vous jettez dedans, et après vous voudrez nier que
ne soyez lunatique. C'est bien rencontré, n'est ce
pas?
Vous estes marié, ergo par double moyen lu-
natique. Le premier parce que foulez l'herbe, le
champ et le terroir de la lune : vous estes le la-
boureur de la lune, tellement sujet à ses loix,
statuts et ordonnances, que vous n'oseriez outre-
passer ses lunatiques commandemens. Lors
qu'elle a paragraphe de ses rubriches le trou
Madame, seriez vous bien si osé ny si hardy de
vouloir besoigner; c'est une feste chommable et
commandée, sur peine de ne rapporter ses outils
autres que sales, vilains et debifîez; ne pouvoir
ramener vostre povre courtaut de Tarée qu'il ne
soit emplastré des pustules des rougets; quelque-
DES LUNATIQUES. ByS
fois d'encourir Tindignation lunatique, tomber
en grosse, lourde et dangereuse maladie. La se-
mence que vous aurez lasché durant l'interdiction
lunaire, demeurera pour la plus part infructueuse,
ou si elle prend pied au fons, c'est en despit de la
lune, qui s'en sçait bien vanger, et ne seront qu'a-
vortons et fruits contre-naturez, peprez des mal-
heurs lunatiques. Estant donc mary, vous voila
le laboureur lunatique : le pis que j'y vois est
qu'il faut que ce soit à vos despens que tout le la-
beur se face.
Le second lunatisme du mariage vous devroit
estre agréable, parce que la lune vous fait cest
honneur de vous tenir pour l'un de ses confrères,
ce qui advient lors que vostre femme se fait limer
sa serrure par un autre lunatique : alors vous
portez les cornes lunatiques le plus gentiment de
France. Avez vous jamais veu ces garsons de vil-
lage allans à la feste de leur parroisse ? Vous leur
verrez porter de gros bouchons de bouquets sur
leur chapeau, à faute de targes, pour prendre party
à la corvée lunatique. De mesmes vous autres.
Messieurs les mariez, portez bragardement les
cornes en guise de bouquet, comme ceux qui,
ayans par un long temps travaillé au service de la
lune, estes de tant favorisez par elle que vostre
corvée lunatique vous est faite par d'autres lu-
natiques. Or, que ces cornes lunatiques vous ac-
376 DES LUNATIQUES.
quierent une prééminence sur le reste de vos lu-
natiques, cela ne doit estre trouvé estrange^ attendu
que le Bélier est mis premier entre les douze signes
du Zodiaque , parce que de sa corne il heurte et
choque la borne de Fan nouveau.
Le quatriesme article prend fondement sur ce
que vous estes changeant au possible, inconstant
tout ce qui se peut, en quoy vous ressemblez à la
lune, laquelle ne peut durer en un estre. Ne pen-
sez pas qu'à crédit je vous donne ceste instabilité,
elle vous est deuë entant qu'estes homme et mor-
tel; vous l'apprendrez (s'il vous plaist) du docte
de Salluste, lequel, au quatrième jour de sa Se-
maine, après avoir discouru des changemens de
vostre maistresse, de sa rondeur et clarté, de son
cours et decours, voicy comme il conclud :
Ainsi tu te refais, puis tu te renouvelles,
Aimant tousjours le change, et les choses mortelles,
Comme vivans sous toy, sentent pareillement
L'insensible vertu d'un secret changement.
Je ne vous deduiroie pas icy le cinquiesme ar-
ticle, n'est que je vous vois refroigner contre ce
titre de lunatique , bien qu'il ne vous puisse es-
chaper : Amicus Plato, amicior veritas, il faut que
je vienne à mon honneur de ma défense. Vous
n'estes seul qui estes sujet à la gonorrhée; il y en
a de plus grands seigneurs que vous ne serez de
DES LUNATIQUES. 877
vostre vie qui en voudroient bien estre guéris.
Vous sçavez que tous les mois, vous ne faillez à
payer le tribut à la lune, et après vous ferez du
mauvais garson quand on vous appellera luna-
tique.
Voicy le sixiesme article qui vous représente
encores mieux que les autres en lunatique, c'est
que vous estes vieillard, et par conséquent grison,
pituiteux, crache-enruelle, qui ne pouvez voir que
par lunettes et finalement patronné aux humeurs
lunatiques de la lune. Elle est morfondante, vous
estes morfondu : elle est froide, vous estes froid.
Si donques ainsi est, seigneur Bertachin, que vous
soyez esclave des vassaux et sous-vassaux d'amour,
son laboureur, cavalcadour, masson, chauderon-
nier, etc., son esclave et sujet, son tresdigne
cornu confrère, inconstant et muable, que les
coulans de vos naturalitez se reiglent par le cours
lunaire, denique vieillard, je soustiens envers et
contre tous que vous devez tenir le haut de la
table entre les lunatiques, quels qu'ils puissent
estre.
Il y a une difficulté magistrale en ceste affaire,
et qui n'est pas trop aisée à deschiffrer, sur laquelle
il faut que je donne tant de coups de marteaux que
vostre qualité de lunatique vous demeure saine,
sauve et entière. Il faut donc que vous sçachiez
que vos confrères et qui pourront estre avec le
48
378
DES LUNATIQUES.
temps, auroient moyen de vous battre, de ce que
Vergile nous apprend que la lune est muette,
qu'elle ne fait aucun bruit. On sçait que de vostre
naturel, l'aage vous y pousse, vous causez comme
une pie borgne, vostre aage vous y semond. Tel-
lement que vous rompriez la teste à la lune, et
ainsi il faudroit qu'elle vous quittast le quartier
ou que changeassiez de façon de vivre ; ce qui ne
se peut faire, vostre camelot a pris son ply. Au-
tresfois je me suis esbattu à fureter les livres et,
entre autres, Servius qui a glosé Vergile et Ma-
crobe, qui barbouillent prou de papier pour faire
jaser la lune. De ma part je consens que la lune
ait le bec cousu, qu'elle ne sonne mot, pourtant
vous ne devez estre dechassé de sa compagnie.
Vous parlerez pour tous deux et elle se taira pour
tous deux, et ainsi vous ferez les uns pour les au-
tres. C'est ainsi qu'il faut vivre entre amis.
Au reste, l'honneur que je vous fais n'est pas
petit. Seigneur Bertachin, je vous mets à la suite
et l'un des premiers officiers du second honneur
des célestes chandeles de la princesse de la mer.
Vous ne sçavez pas que c'est que je vous confère,
je vous donne place au ciel, et si vous fais admi-
rai et vis-roy de toute la mer. N'estimez vous rien
cela? Je vous fais pair et compaignon de la lune,
je vous enroole en sa confrairie, vous estes adopté
en sa famille, vous voila à cheval , tenez vous bien,
DES LUNATIQJUES. 379
mon amy, et par cy après, ne soyez si mal advisé
que de crier avant que l'on vous escorche.
A ceste heure il faut que je vous rabatte les doux
de vostre mescontantement. Pauvre enfant de Ze-
bedée, vous ne sçavez que c'est que vous deman-
dez ! je vous fais du bien et ne le pouvez cognoistre.
Vous dites que vous estes masle, et, partant, que
devez avoir empraint le soleil en vostre devise, et
non pas la lune.
La raison sur laquelle vous vous fondez est que
la lune est femelle, et, en ceste qualité, adorée
sous le sexe de déesse ; quant à vous, vous estes
masle, ennemy de la gynecocratie , ergo, dites
vous, qu'estes mal attaché du regard lunatique.
Mais que direz vous, Seigneur Bertachin, à la
response que j^ay preste en main, et qui vous
fera, je m'asseure, tressaillir vostre virilité ani-
male. C'est que nous trouvons qu'il y a eu un
dieu nommé Lune, adoré et respecté par les an-
ciens de telle façon, qu'^Elian Spartian tesmoigne
qu'à Carres il y avoit un temple qui luy estoit dédié
et consacré, où les masles luy faisoient leurs peti-
tes superstitieuses dévotions en habit femenin, et
les femmes en habit viril. Si bien que la difficulté
que vous faites de vous laisser enrooler en Testât
de la lune, quia mulier sit, ne vous peut sauver et
garentir du titre de lunatique : la lune ne vous
battra point, et si aurez sur vostre chef le zénith
38o
DES LUNATICLUES.
lunatique, qui vous donnera d'un rayon masle à
plomb sur le cap.
Mais quand ainsi seroit, et que vous continuas-
siez à faire du revesche , parce que vous détestez
les idolâtries et faulses adorations des faux dieux
et déesses, qui n'ont esté que trop pratiquées an-
ciennement par les payens, encores serez vous
bien attenu à moy de ce que je vous donneroie
place si honorable auprès de la lune. C'est vostre
advantage d'avoir deux cordes tendues à vostre
arc. Ne vous souvient il point du compte de celuy
qui disoit qu'il aymoit beaucoup mieux estre le
coq, l'aisné et le monsieur en son village, que de
tenir rang de poule , de cadet et de valet en une
ville? Je demeure d'accord avec vous que le soleil
est bien plus excellent que la lune; qu'il est le
mary, elle la femme. Mais si je vous mettoie en-
tre les solaires (mon pauvre Bertachin), vous y
tendriez la queue, et, au lieu que vous estes vis-roy
de la mer, on ne vous passeroit que pour un che-
tif tournebroche, ou un rinsegodet, ou marmiton
de la Gadouarde, cousine de messer Fifi.
— Vous avez envie de gausser. Seigneur Theo-
phanes, respondit le seigneur Bertachin, portant
une mine aussi peneuse qu'un qui , pensant faire
un pet de navets, en a fait un de maçon dans les
draps, et qui, en bon françois, a chié au lit. Vous
tournez la truye aux choux. Nous avons l'imagi-
DES LUNATIQUES. 38l
noire pointue. Vous pensez nous amuser par je ne
sçay quel beaubeau, et voulez faire croire que nous
sommes bien heureux d'estre lunatiques. Je suis
contant que vous vous saisissiez gentiment et beau
de ce tant glorieux et magnifique titre, afin que,
s'il vous plaist, vous en faciez vostre proffit. Je
prens à mal ce nom de lunatique , et crois que
vous me voulez taxer de quelque manie ou folie.
Le S^ Camille, et vous aussi, vous passeriez bien
d'ainsi m'injurier : je ne vous en apprestay on-
ques les occasions. Déportez vous donc, Seigneur
Theophanes, entant que vous m'estes amy, de
plus me faire passer par devant le nez vos lunati-
ques impressions, et consentez à la réparation qui
me doit estre faite par le S^ Camille.
— Et à quel propos, mon petit belaud, mon
Bertachin? répliqua le S^ Theophanes; on dit que
vous estes si bon homme. Vostre femme le corne
par tout. Sur vos vieux jours, voudriez vous bien
faire du mauvais alencontre de nostre amy com-
mun ? Je feray tant envers luy qu'il vous pardon-
nera : aussi bien ne sçavez vous que c'est que vous
faites. Il y a du vif-argent qui vous trouble la ser-
monniere lunatique. Vous faites du mutin. Qui
vous a offensé? C'est, dites vous, le S^ Camille
qui vous a appelé lunatique : ergo, concluez vous,
fol et maniaque. La conclusion, je la vous nie.
Elle pèche en la forme. Quand bien elle vaudroit.
382 DES LUNATIQUES.
si est ce que vous n'auriez occasion de crier alarme
de la façon que vous faites. II faut que vous pré-
sumiez que vous soyez autre qu'homme; autre-
ment, si l'eussiez creu, vous eussiez apperceu qu'il
y a tousjours de l'humeur ou brusque et gay, ou
biserrement folastre, ou verveux, resveur, fan-
tasque, sec, noir, etc. Pour ce le médecin Bre-
tonnaiau commance son Melancholique par ces
vers :
En fut il onq' un seul? en est il ? qui sera-ce,
Voire fut il issu de la céleste race,
Sur terre cheminant, portant visage humain,
Qui n'ait le cerveau creux, et trop léger d'un grain,
Ou de deux, ou de trois?
Cela il le preuve par tres-vives et pregnantes
raisons; après voicy comme il conclud :
Voila comme le monde est des fois une cage
Ou bien un eschaufaut, où un monde de fouis
S'entre-jouent l'un l'autre et se moquent de tous,
Ou bien une grand'nef de fols passagers pleine,
Voguant sur la grand'mer de ceste vie humaine, etc.
Vous estes homme mondain et au monde, il
s'ensuit donc que, vous appellant fol, on ne vous
fait tort.
Tout homme se sent de la folie, mais non point
tous d'une façon : il y a différence entre le fol
marqué et celuy qu'on repute sage : l'un tient sa
DES LUNATIQUES. 383
marotte en sa main, l'autre la fourre finement dans
son sein; toutesfois, ce n'est point si accortement
qu'en sa vie le plus souvent on ne voye eschapper
quelque trait de folie. On vous a fait le plus de
grâce qu'on a peu, et vous criez qu'on vous es-
corche. Il y a plusieurs sortes de fols : vous ne
pouviez éviter que ne fussiez de la partie; on vous
a mis entre les moins mauvais : vous n'en sçavez
gré, que dira on de vous ? Vous vouliez estre du
costé du soleil et partant en ardeur, voila donc
une folie chaude qui emphrenesira vostre enten-
dement. On veut attremper vostre chaleur par la
moyteur de la lune, pource on vous fait lunati-
que, et vous tordrez le nez, vous en rechignerez .^^
Cela est une estrange mescognoissance. Me vou-
lez vous croire ? Au partir de ceste apresdisnée,
allez vous en de ce pas trouver le seigneur Camille :
mon homme vous apprendra où il est ; remerciez le
humblement de la grâce, du bien, de l'honneur et
faveur qu'il luy a pieu vous faire; requérez luy
pardon de la téméraire poursuite qu'avez inju-
rieusement fait contre luy, et, quant au reste,
laissez moy faire, j'en viendray bien à bout.
— Ce me sera le plus expédient, mon cherTheo-
phanes : oh ! que vous avez ce jourd'huy fait un
grand coup, et pour vous, et pour le seigneur
Camille, et pour moy. Pour vous, de ce que vous
avez acquis en mon endroit une obligation telle
384
DES LUNATIQUES.
que, n'estoit que je craindroie qu'eussiez fait
quelque parafîe secrète dans vostre culier, je vous
baiseroie tres-volontiers le moule du derrière de
vostre haut de chausses. Pour le seigneur Camille,
de ce que j'avoie bien envie de le grater; à ceste
heure il m'est amy, il pourra disposer de moy
comme de celuy qui, n'estoit la honte ou de peur
qu'on ne dit que je seroie idolâtre, baiseroit le pas
où il poseroit la semelle de ses souliers. Pour moy,
de ce que m'avez relevé d'une grande peine où je
m'alloie enhydrer, et aussi que m'avez fait co-
gnoistre Testât qui m'estoit acquis successoire-
ment en l'admirauté de la mer.
L'Académie, ayant ouy discourir si bravement
le seigneur Theophanes, en fut trescontante, mais
encores plus de ce qu'il avoit appaisé le seigneur
Bertachin. Partant, attendu le consentement et
accord des parties reconciliées, elle les renvoya
hors de court et de procès, sans despens. Et ce
pour plusieurs causes qui seront quelque jour pu-
bliées, si je ne me trompe ou que vous ne vous
abusiez.
FIN,
NOTES
DES APRÈS-DINÉES
Page 4, ligne 24. — Faire un trou à la nue, ou à la
nuit, est l'analogue de notre expression : faire un trou
à la lune.
— 26. — Galocher en martinet, traîner la galoche,
se promener à l'aventure, faire l'école buissonnière. On
donnait alors le nom de martinet aux écoliers qui ne
demeuraient pas dans un collège, qui le fuyaient chaque
jour, comme des martinets.
P. 5, 1. 26. — M. Gaulard, c'est Jean Tabourot,
qui a recueilli les Contes et \esApophthegmes du seigneur
Gaulard, qu'on trouve imprimés à la suite de ses Biga-
rures et de ses Touches. On peut croire que ce seigneur
Gaulard était un Bourguignon salé, comme on disait,
grand conteur de choses grasses, lequel a réellement
existé, mais dont Tabourot a gaillardement ravivé la
joviale figure.
P. 8, 1. 8. — Distinguo par gluc. Dans la dialectique
de l'école, le distinguo était un terme de scolastique
indiquant qu'une proposition pouvait avoir deux sens dif-
férents. On disait donc plaisamment. « Distinguo par
glic et par gluc », en manière d'onomatopée, glic et gluc
49
386
N OTES
remplaçant par ci et par là et formant deux sons gut-
turaux dans lesquels on avait peine à découvrir deux
mots significatifs. Cependant glic était le nom d'un jeu
de hasard, qui se jouait avec des cartes ou des dés, en
répétant à l'occasion le mot glic pour annoncer un coup
ou une chance.
P. 9, 1. 8. — Cent mil escus autres que ceux de Thou^
louse ou de Saint-Marcel. C'étaient sans doute des écus
sans valeur, de mauvais aloi, en plomb ou en argent
fourré_, mais nous n'avons rencontré nulle part l'expli-
cation de ce terme proverbial qui met en cause la ville
de Toulouse et un des bourgs portant le nom de Saint-
Marcel.
P. 10, 1. 28. — Kien n'y manquait que Vespoussette^
c'est-à-dire : il ne manquait qu'un coup de brosse pour
les faire briller, Vespousselte ou vergette étant une brosse
de crin qui servait à nettoyer les habits.
P. 18, 1. 9. — Est de bien haute liste, c'est-à-dire com-
plexe et de grande étendue.
P. 21,1. 20. — Abstemii, abstèmes, qui ne boivent
pas de vin. On appelait ainsi, parmi les premiers chré-
tiens, ceux qui, dans le sacrement de Teucharistie, ne
voulaient pas prendre de vin et ne communiaient que
sous la seule espèce du pain symbolique.
P. 27, l. 21. — La maistresse de VŒU d'avis. Il faut
chercher, dans l'anagramme de VŒU d'avis, le nom d'une
femme que Cholières paraît avoir aimée (voy. la Notice
biographique). Plus loin (p. io3), une phrase de
Cholières indique que la demoiselle « à laquelle quelcun
de ceste troupe a, fort à mon gré, donné pour ana-
gramme VŒU d'avis, w était « de la partie » , c'est-à-
dire de la société des Matinées et des Après-Dînées.
P. 28, 1. 18. — Partis amoureux. C'est le titre d'un
ouvrage inédit et inconnu de Cholières, lequel ne semble
pas avoir été imprimé. (Voy. la Notice biographique.)
DES APRES-DINÉES. 887
P. 3o, 1. II. — Escorcher le regnard, rendre par la
bouche ce que l'on a pris. Nous disons aujourd'hui
piquer un renard. Nous trouvons aussi, dans ChoUères,
tirer au regnard, avoir envie de vomir. Ce sont des
métaphores rabelaisiennes.
P. 38, l. II. — Temple de VAme. Voici le titre com-
plet de ce poème de Bretonnayau : La Génération de
Vhomme et le Temple de Vame, avec autres œuvres poé-
tiques extraittes de VEsculape de René Bretonnayau
(Paris, Abel l'Angelier, i583, in-4°).
P. 43, l. 8. — // n'y a qu'un mot qui serve, et puis
la fin, expression proverbiale équivalant à cette phrase :
Ce que je vous dis est mon dernier mot.
P. 43, 1. 28. — Afin que je ne vous soye double,
comme un asne rouge. Cette expression nous paraît faire
allusion à l'âne d'or d'Apulée, lequel avait double nature,
celle de l'homme et celle de l'âne.
P. 44, 1. 18. — = Servir de graisse aux fosses Saint-
Innocent, aller engraisser la terre du cimetière de Saint-
Innocent, à Paris.
P. 45, l. 6. — Baye, contes, bourdes que tout cela.
P. 45, 1. 35. — N'en eut pas voulu tenir deux œufs à
Pasques rouges, c'est-à-dire : n'eût pas voulu qu^on lui
donnât à Pâques deux œufs rouges, pour l'empêcher de
parler.
P. 52, 1. I. — Hazard sur les balais. On disait pro-
verbialement pisser sur les fagots, dans le sens de cacher
son jeu, mener les choses à l'aventure, perdre son temps
et sa peine.
P. 56, 1. 19. — // ne sera pas besoin de despouiller
nostre semlante. Nous ne comprenons pas cette expres-
sion proverbiale, à moins que semlante ne soit là pour
semellante, dans le sens de semelle; ce qui voudrait dire
alors : il ne sera pas besoin d'ôter nos souliers, c'est-à-
dire de nous reposer.
388 NOTES
p. 58, 1. 17. — Une caprice mulesque, une fantaisie
étrange, digne d'une mule entêtée et capricieuse. Nous
ne connaissons pas d'autre exemple de caprice au féminin.
P. 60, 1. 4. — Ce dit ly contes. C'est une expression
très usitée dans les fabliaux et les contes antérieurs au
XV*" siècle, employée ici par Cholières à titre de cita-
tion; elle signifie : « comme le dit le conte ».
P. 60, 1. 14. — Vous ne vous deparceleriez de toute
cette relevée, vous ne vous sépareriez pas de toute cette
après-midi. Le sens de relevée vient de ce qu'on se cou-
chait à midi pour faire la sieste, et qu'on avait ainsi
à se relever du lit pour finir sa journée.
P. 64, 1. 23. — Ce n^est marché de chevaux, c'est-à-
dire qu'on ne peut, comme lorsqu'on a acheté un cheval
vicieux, rendre sa femme pour vices rédhibitoires.
P. 67, 1, 19. — Vaureille prime, la teste verte et Vceil
au hois : ce sont les conditions d'un bon chasseur qui
guette le gibier à l'entrée d'un bois.
P. 82, 1. 24. — // maquignonneroit pour les enfants
de la matihe. On appelait enfants de la mathe ou de la
mate les gueux^ les voleurs et les filous des cours de Mi--
racles.
P. 88, 1. 21. — Ce pauvre Agamemnon de la Cru
est sans doute un mari esclave de sa femme. Quant à la
Cru, nous n'en avons pas deviné le sens, à moins que
Cholières n'ait donné le genre féminin à un mot de chasse,
essentiellement masculin, le cru, qui caractérisait le buis-
son où la perdrix se cachait pour échapper au chasseur. —
La crou est une terre sablonneuse et peu fertile.
P. 91, 1. i5. — Madona Francisquina. Nous croyons
que cette expression proverbiale fait allusion à la Mac/ona
dont saint François d'Assise était amoureux. Voy. l'ou-
vrage satirique de J. B. Renoult : Aventures de la
Madona et de François d'Assise (Amsterdam, 1701,
in-8).
DES APRES-DINEES 889
P. 97, 1. i5. — Jean de Boissières, né à Montferrand
en Auvergne, avait publié un poème imité de l'Arioste,
la Croisade, ou le Voyage des chresiiens en la Terre sainte
(Lyon, i58o, in-8), et trois volumes de poésies fran-
çaises, imprimées à Paris en iSyg.
P. 99, 1. 8. — C'est du camelot, expression prover-
biale qui signifie qu'il n'y a plus à y revenir, parce que
le camelot, étoffe de poil et de laine, garde toujours le
pli qu'il a pris.
P. 102, 1. i5, — Paroissien de Saint-Pierre aux Bœufs,
cornard, à cause des cornes des bœufs.
P. io3, 1. 8. — UŒil d^advis. Voy. ci-dessus, p. 27,
1. 21, la maistresse de l'Œil d'avis, qui est appelée VŒU
d'Aris dans les poésies de Cholières.
P. io3, 1. 26. — Un médecin angevin. C'est René
Bretonnayau, dont Cholières a déjà parlé avec éloge en
plusieurs endroits de ses Mafmees. (Voy. ci-dessus, p. 38,
et la note correspondante.)
P. 104, 1. 27. — Vostre belle solitude des neiges. Le
sieur Pantaléon répond ici à cette phrase de messer
Alexandre : Qui a il de plus misérable quun homme
seul ? Vx homini soli. C'est là ce qu'il appelle la solitude
de neiges.
P. io5, 1. 22. — Les Ténèbres du Mariage. Voici le
titre rimé de cette pièce de poésie, divisée en neuf leçons
pour être chantée aux Ténèbres dans la semaine sainte :
Cy ensuivent en bref langaige
Les Ténèbres de mariaige,
Lesquelles furent, sans mentir,
Composées par ung vray martir,
Lequel fut dix ans en servaige
Comme appartient au mariaige.
Il existe cinq ou six éditions gothiques de cette pièce
satirique contre les tourments du mariage.
P. 106, 1. 6. — Y. K., poète saintongeois. Yves
SçO NOTES
Rousseau, né en Saintonge, était théologien avant de
se faire poète. Il avait fait paraître à Alençon, en i565,
le Traité de la préparation de la Cène et plusieurs dia-
logues, avant de publier à Paris différentes pièces de
poésie, entre autres les Louanges de la vigne et du vin.
« Il florit cette année 1584 », dit La Croix du Maine.
P. 117,1. i3. — La Kose des Nymphes illustres est
un ouvrage de Cholières, appelé ici Monsieur de Céans,
ouvrage que nous ne connaissons pas et que les biblio-
graphes n'ont pas cité.
— 20. — Que cette belle Kose aura roulé sur Vestampe,
c'est-à-dire : aura passé sous presse (ital. stampa,
presse).
P. 118, 1. 17. — Tartarin de Belleperche. Nous
croyons entrevoir quelque analogie entre ce Parquet ou
plutôt Pacquet de mariage, adressé à M"° des Basses
Marches, et le petit livre de Jean de la Roche, baron de
Flavigny : la Vie et actes triomphans d'une tresillustre
et renommée damoiselle nommée Catharine des Bas Sou-
haits (dite la Courtisane bordelaise); imprimé sur la
copie de maistre Nicolas Paris, imprimeur à Troyes,
sans date (vers i595), in-8. Cette Catherine des Bas
Souhaits n'était autre que la femme d'un conseiller au
Parlement de Bordeaux nommé Jean de la Borne.
P. 120, 1. 20. — La croix de saint André était la
croix de Bourgogne, que portaient comme enseigne les
Bourguignons du temps de Charles VI, dans leurs que-
relles avec les Armagnacs.
P. 129, 1. 4. — Par le sang goy, variante de Par le
sang hieu, par le sang de Dieu : juron.
— 1. 8. — Héberger le courtaut, donner l'hospitalité
à la partie de l'individu qui peut passer pour courte,
mais qui l'est plus ou moins, suivant les circonstances.
P. i3o, 1. 20. — Le 48. Pariy amoureux. Cette cita-
tion prouve que l'ouvrage, inconnu de Cholières,
DES APRÈS-DINÉES. Bçi
intitulé les Partys' amoureux, était divisé en plus de
48 chapitres.
P. i34, l. 4-9. — On ne nous jettoit point des pommes
cupidiques, etc., c'est-à-dire qu'en parlant de l'arbre de
vie, on ne songeait pas à faire des allusions licencieuses
ou relatives à l'amour.
P. 146, l. 7. — Vase doit être ici pour base, par
suite de la confusion du v avec le b, produite, dans les
langues du Midi, par la mauvaise prononciation des in-
digènes.
P, i58, 1. 21. — Ah! que ne suis-je pas seul en
Beausse ! expression proverbiale signifiant : « Plût à
Dieu que je fusse seul maître du terrain et de la
place ! »
P. 173, 1. 12. — Festes est ici pour faites, hauteurs.
P. 177, 1. 16. — Suppost, terme de philosophie :
ce qui est la base de l'homme, ce qui constitue l'homme.
P. 189, 1. 2 5. — Avaleur de lampvillons. Les lam-
prions sont de petites lamproies. Cette expression nous
paraît synonyme de celle-ci, qui est encore en usage :
avaleur de couleuvres.
P. 194,1. 28. — Charge et serre le casquet qui voudra.
Cette expression proverbiale, équivalant à celle-ci :
Nargue des précautions à prendre, nous paraît faire allu-
sion à la blessure mortelle de Henri II dans un tournoi,
quand Montgommery fit sauter d'un coup de lance le
ventail ou la visière du casque de ce prince, le casque
n'étant pas assez soigneusement serré et fermé.
P. 196, 1. 2. — Dechevekr signifie tirer par les che-
veux; mais ce verbe n'aurait-il pas ici le sens de faire
descendre de cheval, désarçonner?
P. 198, 1. 9. — On ne connaît pas l'auteur de ce
petit livre de poésie descriptive intitulée : les Blasons
anatomiques du corps féminin, ensemble les Contre-blasons,
avec les figures, le tout mis par ordre; composé par plu-
392 NOTES
sieurs poètes contemporains (Paris, Ch. L'Angelier,
I 55o, in-i6, fig.).
P. 200, 1. 5. — Usqtie ad viiulos, jusqu'au bout. Allu-
sion à un psaume qui commence par Miserere et finit
par vitulos. (Voir dans les Contes d'Eutrapel, chap. vu,
p. 236, 1. i3, de l'édition publiée dans nos Conteurs
français : « un autre qui le feroit danser depuis Miserere
jusqu'à vitulos. »)
P. 200, 1. 10. — Le docteur à la bouche d'or^ saint
Jean Chrysos^tome.
P. 201, 1. 7. — Se laisser emporter au bris, c'est-à-
dire à des actes de violence,
P. 204, 1. 27. — HumilimeSj très humbles, du latin
humilissimus ou humillimus .
P. 210, 1. 19. — Après bon vin, bon roussin : après
avoir bien bu, on est plus dispos à faire l'amour. Koussin
veut dire cheval entier.
P. 219. — On peut voir, dans Boccace, ce même
conte, que La Fontaine a imité sous le titre de la Jument
du compère Pierre.
P. 221, 1. 17. — Je vous sens venir : vous portez des
bots et sabots; expression proverbiale qui signifie : On
vous entend de loin, comme les gens qui ont les pieds
bots ou qui portent des sabots.
P. 282, 1. 6. — Je vous vay renvoyer en Barbarie, jeu
de mots, par rapprochement de barberie à Barbarie.
P. 286, 1. 4. — Formulaire dressé par les harangieres,
en Vannée de la reforniation. Le formulaire des haran-
gieres est ce qu'on a nommé depuis le Catéchisme poissard.
Quant à Vannée de la reformation, cela doit s'entendre
des changements qu'on avait faits ou voulu faire au style
des femmes de la Halle.
P. 287, 1. 16. — A propos de truelle, c'est mal à
propos, sans suite ni raison. On dit maintenant : à
propos de bottes.
DES APRÈS-DINÉES. SçS
P. 287, 1. 22. — Le bon Apomasar. C'est sous ce
nom que J. Leunclavius traduisit en latin VOneirocritica
d'Achmet. Cholières semble faire allusion à l'ouvrage
suivant : Apomazar, des Significations et evenemens des
songes, tourné du grec en latin par Leunclavius et mis
en françois (par Denys Duval) {Paris, Duval, i58i,
in-80).
P. 241, l. 14. — D/fes vo); est ici pour « dites voire » :
dites-moi vraiment, dites-moi un peu.
P. 242, 1. 24. — Passe menu moins pour ce que pourra
valoir le compte, expression proverbiale de commerce,
signifiant : il faut accepter ce compte pour ce qu'il vaut.
P. 243, 1. 17. — Un lifrelofre, c^est-à-dire un
suisse ou un ivrogne; expression rabelaisienne.
P, 2 5o, 1. 20. — Tesmoins de Bressure. Nous ne sa-
vons s'il faut voir Bressuire ou la Bresse dans ce mot
Bressure, qui paraît être un nom de lieu. Dans tous les
cas, ces témoins de Bressure étaient de faux témoins ou
des témoins suspects. On sait que les paysans faisaient
trafic de leur témoignage eh justice.
P. 25 1, 1. II. — Je me donne à, sous-entendu : à
Satan ou à Belzébuth.
P. 267, l. 26. — Histoire prosopographique. Allusion
à l'ouvrage suivant : la Prosographie (Prosopographie),
ou Description des personnes insignes qui ont esté depuis le
commencement du monde, avec leurs effigies (Lyon, Ant.
Gryphius, i573, in-4). L'auteur est Antoine du Verdier,
seigneur de Vauprivas,
P. 258, l. 3. — Jean Clopinar, dit de Meux.
Cholières travestit à dessein le nom de Jean Clopinel ,
dit de Meung, continuateur du Koman de la Rose et
poète royal de Charles VII.
P. 2 58, 1. 7. — Vous revirez la truye au foin, expres-
sion proverbiale, signifiant : vous contrariez le goût des
gens.
5o
394 NOTES
p. 2 58, 1. 22, — Le pèlerinage de Saint-Michel au
péril de la mer était un des plus fréquentés au moyen
âge. — Portez vos coquilles à d'autres qu'à nous^ signi-
fiait proverbialement : faites en accroire à d'autres que
nous.
P. 260 5 1. 3. — Le Caloier des philosophes doit être
Rabelais, qui s'intitulait Caloyer des Iles d'Hières, en tête
de son roman de Pantagruel.
P. 261, 1. 17. — Dire la patenostre de singe, gronder,
murmurer entre ses dents; expression proverbiale qui
se trouve un peu difîirente dans Rabelais, liv. I, ch. 11 :
Dire la patenostre du singe.
P. 269, 1. 18. — Marpaudj mistoudin, sont des
termes d'argot qui étaient devenus des noms de cama-
raderie. Le sens de marpaut nous échappe, quoique le
mot se trouve dans la farce de la Pipée. Mistoudin (racine
miste) nous paraît être l'analogue de mistouflet, mon mi-
gnon, mon joli garçon.
P. 271, 1. 9. — La maladie de saint Mathurin, la
folie, que ce saint avait la réputation de guérir.
P. 271, 1, 7. — Bussart d'eau de Canathe. Cholières
fait-il allusion à l'eau changée en vin par Jésus aux noces
de Cana? Il y avait cependant, près de Nauplie, en
Grèce, une fontaine célèbre, dite de Canaihos , où
l'on disait que la déesse Junon venait se baigner une
fois tous les ans.
P. 273, 1. 7. — Kaphael de Briguenarilles, sobriquet
d'un contemporain de Cholières, par allusion au géant
Bringuenarille, qui avalait des moulins à vent. Voy. la
Navigation du Compagnon à la bouteille^ avec les prou-
esses du merveilleux géant Bringuenarille (Troyes, veuve
de Nicolas Oudot, sans date, in-i6). Cette facétie, attri-
buée à Rabelais, avait paru sous ce titre : Le Voyage et
navigation des isles et terres heureuses, fortunées et incog-
nues, par Bringuenarille , cousin germain de Fesse-Pinte,
DES APRÈS-DINÉES. SçS
contenant des choses merveilleuses et difficiles (Rouen,
Nicolas Lescuyer, iSyS, in-i6).
P. 280, I. 2 5. — Saint Guigne-fort. Ce saint-là n'est
autre que saint Guignolet, dont la statue mobile faisait
des enfants aux femmes stériles dans diverses provinces
de France.
P. 288, 1. 21. — Gardez le fagot. On a dit depuis :
gare le fagot! dans le sens de : ce sont là des pro-
positions hérétiques qui peuvent nous mener au bû-
cher.
P. 289, 1. 3. — Kompre l'anguille au genoilj entre-
prendre une chose impossible; proverbe rabelaisien.
P. 291, 1. 6-8. — • La geyette est le jais; Voromenus
de Pline est le sel gemme; le sel aragonois est sans
doute l'anthracite ou charbon de terre.
P. 293, 1. 22-2 Ji^. — Terres seellce, Melienne, de Chio,
ErythriennCj de Bloys. Ce sont les différentes terres à
poterie, qu'on employait à faire des vases depuis l'anti-
quité. La terre seellée, c'est la terre sigillée; la terre
meliennCy c'est la terre de l'île de Milo, etc.
P. 294, 1. 27. — L'Honeste Discipline. Pietro Crinito,
de Florence, né en 1465, mort en i5o5, est l'auteur
d'un'Jivre intitulé : De Honesia Disciplina.
P. 3o8, 1. II. — Ils sont du pays de Libo^irne, bâtis
sur Lourd. C'est évidemment un proverbe local, créé sur
un jeu de mots, par onomatopée, ou analogie du nom
de Libourne avec lourd. Il sufRt de contracter Libourne^
pour y trouver le son de lourd.
P. 3o2, 1. 8. — Le tocan de Thevet, le toucan, oiseau
à gros bec, qu'André Thevet avait dessiné d'après nature
et représenté dans sa Cosmographie universelle, publiée en
1574, à Paris, au retour de ses voyages en Asie, en
Afrique et en Amérique.
P. 3x1, 1. 17. — L'Angevin Bretonnayau, nommé
souvent dans les ouvrages de Cholières, qui se plaît à
396 NOTES
citer des vers de ce médecin-poète, son ami. Voy. ci-
dessus, p. 38, 1. I r, et la note correspondante.
P. 3 1 4, 1.5. — Escoutaz, que le mauluhec vous trousse !
vieille imprécation répétée souvent dans Rabelais. Le
maulubec était le mal de gorge, l'angine couenneuse.
P. 320, 1. 9. — Les feux latoniens sont le soleil et
la lune, Phœbus et Phœbé, qui les personnifient dans la
mythologie antique, étant enfants de Latone.
P. 322, 1. 20. — Le verbe veineroit nous paraît ici
un jeu de mots pour vénéreroit. Veiner signifiait ouvrir
la veine, saigner.
P. 326, 1. 20. — Estend aussi loin le chevrotin.
On dit aujourd'hui/. Allonge la courroie, au figuré, dans
le même sens : c'est tirer les choses en longueur.
— 1. 2 5. — Le jeûne entier, c'était s'abstenir d'ali-
ments toute la journée; le demi-jeûne, c'était ne rien
prendre le matin.
— 1. 26. — Le ressiner était le goûter, collation lé-
gère entre le dîner, qui avait lieu à midi, et le souper,
qui avait lieu le soir entre sept ou huit heures.
P. 336, 1. 8. — Garder la lune des loups, se dit des
gens qui ont peur et qui font mine de menacer.
P. 348, 1. 16. — La Livre, c'est la Balance, du latin
libra.
P. 35i, 1. 11-12. — Hausser le gantelet, hausser le
coude, boire à grands traits.
— Allonger les S, falsifier un compte, parce qu'en
allongeant les s, qui figuraient des sols à la fin des
comptes, on en faisait des f, qui représentaient des
francs.
P. 364, 1. 9. — Vous touchez sur la grosse corste, ex-
pression proverbiale tirée de l'escrime. Corste est peut-
être là pour coste, ou plutôt pour croste, l'aorte, grosse
veine du cœur.
DES APRÈS-DINÉES. 897
P. 367, L 7. — Faire voye à la lune est-il synonyme
de faire un trou à la lune ?
— 1. 10. — Protecteur de la lune à l'encontre des
loups, (Voir la note de la p. 336.)
P. 371, 1. 2. — Le mau fin feu de ricque racque^ en
patois gascon, est le feu saint Antoine, la fistule à
l'anus.
P. 374, l 7. — Attiquettes doit être \kTpom étiquettes.
P. 375, 1. 21. — Targe est un bouclier; mais il est
ici employé dans le sens de cornes, à cause de l'échan-
crure en croissant que portait la targe pour y appuyer la
lance. On peut croire aussi que ces gros bouchons de
bouquets sur le chapeau des maris, à défaut de targes
ou d'enseignes dorées, étaient l'ornement des garçons de
village qui cherchaient femme.
P. 376, 1. i3. — Le Salluste ici nommé est Salluste
du Bartas, auteur des Semaines, célèbre poète que
Cholières avait en haute estime, et qu'il cite souvent
dans ses ouvrages.
P. 378, 1. 9. — Le camelot était une étoffe dont les
plis ne pouvaient s'effacer. (Voy. ci-dessus, p. 99, 1. 8,
et la note y relative.)
P. 38o, l. 21. — Marmiton de la Gadouarde, cousine
de messer Fifi. On donnait aux vidangeurs le nom de
messer Fifi. La gadouarde n'est autre que la plus fine
ramassée par les gadouards.
— l. 28. — Vous tournez la truye aux choux. Ce pré-
verbe correspond à celui-ci, qui est encore en usage :
Tourner la truie au foin, c'est-à-dire : éviter de ré-
pondre, détourner la conversation.
TABLE DES APRÈS-DINÉES.
Pages.
LES APRESDISNÉES du seigneur de Cholières. Pans, Jean
Richer^ iSSy i
Au LISEUR 3
Apresdisnée PREMIERE. Du Veiller et du domir 17
II. Du Mariage 63
III. De la Puissance maritale 112
IV. De l'Arbre de vie i33
V. Du Babil et caquet des femmes 191
VI. Des Barbes 229
VII. Des Vieillards et des jeunes enfants 277
VIII. Des Prognostics et prédictions astrologiques 287
IX. Des Lunatiques 367
Notes 385
(0 n ivers/l^'v,^
B/BLIOTHECA J
^tta.v I e nsi ^^^^
IMPRIME PAR JOUAUST
POUR
LES CONTEURS FRANÇAIS
PARIS, M DCCC LXXtX
I
'-^'\i n
La Bibliothèque
Université d'Ottawa
Echéance
Celui qui rapporte un volume
après la dernière date timbrée
ci-dessous devra payer une amen-
de de cinq sous, plus un sou pour
chaque jour de retard.
The Library
University of Ottawa
Date due
For failure to return a book on
or before the last date stamped
below there will be a fine of five
cents, and on extra charge of one
cent for each additional day.
CE
39003 002'4^35^6b
CE PQ 1607
•C38A12 1379 V2
COO CHOLIERES»
ACC# 1367116
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